Chapitre 10 - Partie 3
Je me gare un peu à l’arrache. Je vais me présenter avec le bon de commande. Personne à l’accueil. Tout est verrouillé.
Je remarque un papier scotché sur la porte vitrée. Un message, griffonné à la main. En grec. Je reconnais à peine les lettres. Un truc de dernière minute, visiblement. Je prends une photo que j'envoie à Jona.
- Tu peux me traduire ça ?
Il répond dans la foulée.
- Fermé exceptionnellement jusqu’à 13h30.
Je jette un oeil dans le bureau : 12h40.
Fait chier… Une heure à attendre.
Je m’installe contre un muret à l’ombre, la chaleur d’un côté et la fraîcheur de l’ombre de l’autre. Je ferme les yeux, pour chasser ma mauvaise humeur. Je me concentre sur ma respiration. Rien d’autre. Je finis par sortir mon téléphone. Je lance un jeu de cartes pour tuer le temps. Une victoire facile plus tard, je regarde l’heure. 13h. Plus qu’une demi-heure à tuer.
Un fourgon arrive. Je me redresse, prêt à jouer les lèches-culs si ça peut me faire gagner du temps. Et puis je reconnais le patron de la discothèque voisine.
Et merde…
Il descend de son véhicule avec cette attitude qui me donne envie de gerber. Cette façon de marcher comme s’il possédait le monde entier. Et ce sourire de connard sûr de lui. Il m’aperçoit et vient droit sur moi. Je sens que ça va partir en couilles.
- Salut, petit. Je suis content de tomber sur toi. On a des choses à se dire. Ça va être plus facile de régler nos affaires sans la barrière de la langue. On dirait que tes collègues font exprès de pas comprendre, débite-t-il sans me laisser en placer une.
- On a rien à se dire. Je viens juste récupérer une commande.
Il me regarde avec son air supérieur et me tend une main. Il pue le parfum cheap
- Moi c’est Thierry. Thierry Lemoine.
- Écoutez, je suis juste venu récupérer la marchandise, je répète en serrant sa main mais sans donner mon nom. Tout ça, ça me concerne pas.
- T’as l’air d’être un bon gars. Je suis sûr qu’on peut s’arranger toi et moi. En temps que compatriotes, on doit être solidaires. Pas vrai, gamin. Je suis sûr que tu peux être… flexible.
Je le fixe dans les yeux, mon regard aussi impassible que possible. J’ai envie de lui dire de foutre le camp. Mais je connais les types comme ça. Plus on en dit, plus on leur offre la possibilité de vous baiser. Alors je ne dis rien. Je vois bien que ça l’embête. Tant mieux.
- Je vais être direct, petit. Votre petite affaire, là. Et bien ça fait du mal à mon business. Alors, je me disais que… quand tu viens, comme aujourd’hui, tu pourrais peut-être faire en sorte que vous n’ayez pas tout. Ou peut-être que tu pourrais me refiler une partie des caisses, histoire de me donner un coup de main. Et puis, entre nous, tu pourrais facilement faire en sorte qu’il y ait un petit accident dans ton bar. Rien de grave, tu vois ? Juste un petit dégât, histoire que la discothèque puisse avoir le monopole quelques semaines… Ça passerait inaperçu, votre bar a souvent des petits soucis, non ?
Je reste muet. Il prend ça comme un signe d’intérêt.
- Alors, petit, on est d’accord ? Bien sur, je te dédommagerai. T’as pas à t’inquiéter là-dessus, gamin.
Appelle-moi encore une fois “petit” ou “gamin” et je te fais bouffer tes dents.
- Je ne suis pas inquiet.
Mes mots le font sourire, triomphant.
- Ni moi, ni personne du bar ne trempera jamais dans vos petits plans de merde, je lâche.
Il fronce les sourcils, déstabilisé. Il me fixe, comme si le seul fait de me regarder allait l’impressionner. Mais, malgré ses tentatives pour me rabaisser, je ne suis pas un gosse. Il se tait pendant un instant, cherchant à lire ma réaction, mais il voit bien que je n'ai pas l’intention de céder.
- Pas besoin que ça vienne de l’intérieur, siffle-t-il tout à coup. Je peux me débrouiller autrement. Les accidents, ça arrive. Vous n’êtes pas sur place 24h/24. Un vol, un problème électrique, ou même un petit incendie… C’est pas bien compliqué à organiser…
- J’en doute pas. Mais faudra vous débrouiller tout seul. Comme un grand garçon, j’ajoute pour enfoncer le clou.
Ma dernière pique a l’effet escompté. Sa mâchoire se crispe et ses yeux se plissent. Je ne dis rien, je me contente de le fixer, mon regard aussi glacé que le sien.
- Pas d’humeur à négocier… Je vois… On en reparlera.
Cause toujours, enculé.
Puis il se détourne et s’éloigne, mais pas sans un dernier regard hautain.
Je prends une grande inspiration, essayant de faire redescendre la pression. Ce mec me fatigue, mais je sais que ce n’est pas fini. Bien sûr qu’il reviendra. Il faudra que j’en parle à Matteo. Parce qu’il faudra bien qu’il gère ça à un moment ou à un autre.
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