Chapitre 11 - Partie 3
Ma curiosité l’emporte sur ma gêne.
- Pourquoi « Zed » ? Tu ne m’as jamais dit.
Je sais qu’elle ne l’a pas choisi par hasard. Pas elle.
Pendant un moment, elle m’a appelé “355”. Comme le nombre de jours qui nous séparent. Comme pour rappeler qu’elle est plus vieille que moi. Ça m’énervait. Pas pour la blague en soi, mais parce que ça appuyait pile là où ça fait mal : elle est censée être avec quelqu’un comme Nate, pas avec un gamin comme moi. Un jour, je lui ai dit que ça me gonflait. Sans entrer dans les détails. Et c’est devenu “Zed”, un truc plus proche de mon prénom. Mais cette fois, elle ne m’a pas donné d’explication.
- Je ne suis pas sûre que tu veuilles entendre la réponse à cette question, grimace-t-elle.
Pour le coup, je suis encore plus curieux. Et totalement flippé. Mais je me force à ne pas réagir et j’attends. Au bout de quelques secondes, Maud prend une grande inspiration et se lance.
- Et bien d’abord parce que tout le monde t’appelle « Ceddy » et que je trouve que ça fait un peu enfantin – elle me gratifie d’une grimace narquoise - alors que moi je te vois comme un homme.
Je te vois comme un homme.
La fin de sa phrase résonne comme un écho dans ma tête et booste mon ego, je l’avoue. Elle continue :
- Ensuite parce que personne d’autre que moi ne t’appellera jamais « Zed ». C’est mon surnom pour toi et personne d’autre.
Sa réflexion me fait sourire. C’est exactement ce que je me suis dit quand elle est venue me retrouver dans la cuisine pour l’anniversaire de ma mère. Personne d’autre qu’elle ne m’appelle comme ça. C’est le petit nom qu’elle me donne.
Ou plutôt, celui qu’elle aurait pu me donner si on avait été un couple, en fait.
- Il correspond plus à l’homme que je vois en toi. Ça fait mystérieux, chaleureux, aventurier, sensuel, foutrement sexy…
Elle marque une légère pause, comme pour juger ma réaction face à tout ce qu’elle a dit. Ma réaction ? Je me force à ne pas en avoir et c’est méga dur. Putain, je déteste les déclarations qu’elle me fait. Venant de n’importe qui d’autre, la personne se serait déjà faite envoyer bouler. Je hais les compliments. Je déteste qu’on s’intéresse à moi. Ça me force à sortir de ma zone de confort, ça me fait ressentir des choses qui sont beaucoup trop dangereuses. Et venant d’elle, c’est encore plus dangereux.
Putain arrête de mentir Cédric !
Ok, ce n’est pas vrai. J’adore qu’elle me dise ça. J’adore savoir que je suis spécial pour elle. Mais je n’en ai pas le droit. Je ne peux pas répondre aux déclarations qu’elle me fait et ça, je déteste. Je continue de me battre intérieurement lorsqu’elle conclut finalement :
- Et aussi parce que ton nom complet me donne des papillons absolument partout. Alors euh… c’était plus « sage » de t’appeler autrement.
Oh ? Alors ça…
Je me sens complètement con tout à coup. J’avais imaginé une raison bizarre genre je sais pas, un de jeu de mot pourri. Mais non. En fait son attirance pour moi va bien plus loin que je l’avais cru. Maintenant que j'y pense, je ne me souviens pas l'avoir jamais entendue m'appeler par mon prénom. "355", c’était pas juste pour me chambrer. C’était pour se recadrer, elle. Parce que rien que de prononcer mon prénom… ça la met dans tous ses états. Et c’est putain de dangereux ! Pour elle. Pour moi. Pour tout.
- Enfin bon… ça n’a pas d’importance, conclut-elle avant de se dénouer ses jambes de ma taille.
Je me fais violence pour ne pas les raccrocher fissa et la coller contre moi.
- Je commence à avoir un peu froid. Je pense que je vais rentrer, me dit-elle en s’éloignant encore.
- D’accord.
Ça me laissera le temps de digérer un peu tout ça…
- Moi je vais quand même faire quelques brasses.
Histoire de me vider la tête et de garder la forme…
- Je te retrouve à la mai… chez moi plus tard.
Putain mec, t’étais à deux doigts de dire « à la maison » ? Sérieux ? C’est PAS ta copine !
Me flagellant mentalement, je m’approche d’elle et l’embrasse doucement sur la joue. Comme je l’ai fait mille fois avant. Comme si rien n'avait changé. Mais tout a changé et j’en veux plus. Alors je plonge avant de faire une énorme connerie. Je reste un moment à nager en apnée. Pour mettre un maximum de distance entre elle et moi. Pour ne pas être tenté de la convaincre de rester. De garder ses bras autour de mon cou et ses cuisses autour de mon corps. Je suis rapidement à court d’oxygène et remonte. Je continue de nager en direction d’une autre des bouées de balisage qui me servent de repère dans mes longueurs. Lorsque je l’atteins, je m’autorise un regard vers la plage. Maud est en train de se sécher. Elle remonte ensuite la plage. Je suis à nouveau seul.
Okay. On oublie ce qu’il vient de se passer. On peut tenir sans alcool un jour de plus. On nage. 25 longueurs, comme d’hab’. C’est parti !
Inspire, expire…
Inspire, expire…
Je m’interdis de penser à autre chose que ma respiration. Les 25 longueurs sont vite bouclées. Je suis content d’avoir été jusqu’au bout mais quelque chose me fait chier. Je ne sais pas quoi mais c’est bien là. Je rejoins le rivage et me pose sur ma serviette. Encore un peu essoufflé, je m’allongé. Et je sens que mets le doigt dessus. Au moins en partie. Sur ce qui me fait chier.
Je n’arrive pas à y croire. Je n’arrive pas à croire qu’elle soit venue. Qu’elle soit venue seule.
D’autres questions m’assaillent soudain.
Est-ce que Nate est au courant qu’elle est partie ? Est-ce que Nate est au courant qu’elle est partie pour venir me voir moi ?
Avant qu’elle ne débarque hier, j’étais vraiment à deux doigts de me bourrer la gueule. Encore. Je repense à Daphnée. On a un peu parlé de mes problèmes d’alcool. Elle avait déjà essayé de m’aider à l’époque. Mais j’en avais pas envie. Alors elle a juste servi de garde fou. En s'assurant que je ne me mettais pas en danger dans mes pires bourrages de gueule. Et, comme je m'entraîne souvent, c’est elle qui m’a suggéré d’en faire encore plus. De voir ça comme un moyen sain de me défouler. Quand je suis arrivé ici, j’ai ajouté la natation à mes exercices. Et j’en fais souvent. Pour m’éloigner de la bouteille de Gin, essayer d’espacer les doses. Et surtout, pour oublier. Autrement.
Pour oublier ? La bonne blague !
Comme si ça me faisait vraiment oublier… Comme si je pouvais l’oublier elle ! J’ai été nagé, ouais. Et regardez comment je m’en sors. Je suis toujours seul à ruminer comme un con. Tu parles d’un exutoire !
Non. C’est faux. Ça a plutôt bien marché au cours des derniers mois… Avant qu'elle ne m'appelle pour me confronter. Ce n'est pas sa faute mais ça a réduit à néant mes maigres efforts. En plus maintenant, elle est là. Elle est là après ce qu’il s’est passé chez mes parents. C’est le bordel dans ma tête. Et oublier au Gin serait beaucoup plus facile.
Mais je peux pas faire ça, putain !
J’ai envie de boire. J’ai envie de ne plus penser à cette situation de merde injuste à chialer. Mais ça veut dire qu’elle me verra dans cet état-là. Et ça franchement, ça me dit moyen.
Je reste encore quelques minutes, étalé sur le sable, puis je me rhabille. En remontant la rue vers l’immeuble, je continue de penser à ce qu’elle m’a dit. « Tu me happes comme une tornade. Tu es mon champ gravitationnel. ». C’est hyper fort comme description. Ça ne colle pas avec ce que je ressens. Et ça me fait flipper. Cette connexion spirituelle je ne l’ai pas. Je n’ai pas confiance en moi alors je ne peux pas avoir confiance en les autres. C’est trop dur pour moi. De ne pas être paranoïaque envers mon prochain. Je peux aider les autres. J’aime plutôt ça pour être honnête. Je me sens utile. Par contre, quand les autres veulent m’aider, je me sens faible. En dessous de mes moyens. Genre : est-ce que je suis capable d’assumer ma tâche ? Suis-je inutile ?
Je réfléchis aux mots qu’elle a employés et j’essaie de comprendre. Putain j’essaie vraiment. Mais je suis trop terre à terre. Je ne pense pas avec mes sentiments. J’ai mis la fonction « émotion » sur pause depuis trop longtemps. Je me suis auto anesthésié, ou plutôt je passe mon temps à m’anesthésier à coup de gin et j’arrive pas à reconnecter les câbles.
C’est toi qui pète un câble, mec…
Je ne suis pas une personne sociale. J’ai du mal à m’attacher vraiment aux autres. Je repousse continuellement le monde entier. Et même si j’adore qu’elle m’accorde de l’attention, ça me fait vraiment sortir de ma zone de confort et forcément je déteste ça. J’aime être seul. Enfin… J’essaie de m’en convaincre. Être seul veut dire que j’ai le contrôle sur mon espace vital. Sur ma bulle. Si vous voulez entrer dans ma vie, votre présence doit être mieux que ma solitude. Vous ne vous battez pas contre une personne physique. Vous vous battez contre ma zone de confort.
Maud est l’exception. Je l'ai dans la peau. Elle est la seule à avoir pu pénétrer mes défenses. Et ça sans même essayer. J'enrage et je déprime de savoir que malgré ça, elle sera toujours hors de portée. Ces dernières années, en moyenne une fois par semaine, je pense à la meilleure façon de partir en beauté. Je ne sais pas ce que j’attends de ma vie. Et je trouve vraiment que le temps est long…
Putain, t’es déprimant mec ! Pitoyable.
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