Chapitre 12 - Partie 1

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Je traverse en trombe la pièce et m’enferme dans la chambre. Je me laisse glisser le long de la porte et reste assis là pendant plusieurs minutes. J’entends doucement gratter à la porte.

  • Zed, murmure Maud à travers le bois. J’ai quand même une question à laquelle j’ai besoin que tu répondes et où je ne te laisserai pas te défiler parce que c’est trop important. Je donne mes plaquettes tous les mois… Est-ce que j’ai besoin de me faire dépister pour quelque chose ?

Effectivement, c’est important. Je dois lui répondre. Il y a deux ans, alors que j’étais entre deux CDD, j’ai accompagné une amie qui avait eu un souci de craquage de préservatif avec un coup d’un soir. J’ai fait toutes les démarches et toutes les étapes avec elle pour pouvoir mieux la rassurer. Moi, je n’étais pas inquiet. Je sais que je suis clean de ce côté là : ma vie sexuelle est inexistante depuis que j’ai rencontré Maud. Mais je peux quand même pas lui dire que ma bite n’a d’yeux que pour elle, si ? Je me contente d’une vérité claire mais minimale :

  • Je n’ai eu aucun comportement à risque depuis mon seul et unique test.
  • D’accord. Merci.
  • Est-ce que je dois m'inquiéter ? je demande, pour la forme.
  • Non. Tu es mon unique prise de risque.

Je ne relève pas le double sens de sa phrase. Mon réveil indique 22h.

  • On devrait aller dormir.

Je sais que je ne dormirai pas. Mais si je reste avec elle, elle voudra parler. Elle n’en démordra pas. Et moi je refuse de jouer le jeu.

Je me relève et me force à me coucher. Tout habillé. Les grincements du canapé m’indiquent qu’elle en fait autant. La lumière du salon s’éteint.

  • Salut Ben, dit-elle, enjouée.

Elle doit être au téléphone.

  • Désolée de te déranger...

Son rire me transperce. Je choppe mes écouteurs et balance de la musique au hasard, juste pour noyer tout ça. Mais même avec le son à fond, je capte encore sa voix à travers la porte. J'aimerais pouvoir oublier qu’elle est là, juste de l’autre côté.

Putain de murs en papier…

Je prends un livre sur ma table de chevet. Mais entre la musique et ma tête qui part en vrille, je n’arrive pas à suivre l’intrigue. Alors je le repose. Je me demande à qui elle parle. De quoi elle parle. Comment elle va malgré mon rejet.

Au bout d’un moment, sa voix s’estompe, puis se tait. J'enlève mes écouteurs. Pas un bruit. Elle dort. J'éteins à mon tour, prends mon téléphone et coupe la musique. Je scrolle sur des sites sans intérêt, juste pour tuer le temps. Pour tuer mon humeur. Pour essayer de forcer le sommeil.

Je passe un bras sous mon oreiller. Il y a quelque chose. Je tire. C’est encore ce foutu t-shirt. Je le laisse tomber, et lâche mon téléphone. Je me frotte les yeux.

Pourquoi est-ce que tout me ramène à elle ?

J’ai beau savoir que je dois l’oublier, j’en suis incapable. Je prétends que tout va bien, que je suis impassible, mais c’est faux. Le goût de sa peau, le souvenir de ses baisers... J’essaie de les effacer, mais ils restent là, dans ma tête, et me torturent. Même quand j’arrive à passer à autre chose un moment, un truc comme ce putain de t-shirt me ramène direct à la case départ. Me renvoie mes sentiments et mes actes à la gueule.

On a déjà franchi des lignes. Je l’ai embrassée. Je l’ai touchée. J’ai aimé tout ça. Bien plus qu’aimer même. Je n’ai pas de regret. J’ai des remords : chaque geste qu’on a fait me donne l’impression de m’enfoncer plus loin dans cette folie… Et ce qui me ronge, c’est que je veux y foncer, tête baissée. La toucher, la goûter, atteindre des endroits que je ne devrais même pas imaginer. Encore et encore. Si je relâche mon attention, si je flanche, tout pourrait basculer si vite. Un geste, puis un autre, et un autre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de retour en arrière.

Je ne veux pas être un salaud briseur de ménage. Je ne peux pas faire de Maud une personne infidèle.

Je reprends mon téléphone et fais défiler les photos de mon album coupable, mes doigts hésitant un instant sur l’écran. C’est stupide, je le sais, cette collection de photos volées. Mais c’est ma manière à moi de la garder près de moi. Sans le dire, sans la déranger. Ces photos, elles sont tout sauf innocentes. Mais elles me rassurent, d’une certaine façon. Elles laissent un peu de place à ce qu’on ne peut pas dire à voix haute.

Pendant que je les fais défiler, une me reste en tête. Elle est dans le jardin de mes parents, au printemps, allongée sur notre vieux transat bleu. Et elle porte le fameux t-shirt hippocampe. Endormie, un livre posé en travers des genoux. Cachée derrière une mèche de cheveux. Je suis allé chercher un parasol pour qu’elle ne crame pas. Evidemment, j’ai sorti mon téléphone. J’ai pris la photo. Et puis je suis resté là un moment, à la regarder. À adorer tout en redoutant pourquoi elle aimait autant porter ce cadeau que moi je lui avais fait.

Je secoue la tête et soupire.

C’est sûrement, justement parce que c’est moi qui lui ai offert. Comment est-ce que j’ai pu ne pas comprendre ?

Je programme mon réveil et me force à dormir.

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