Chapitre 12 - Partie 3
Le soleil filtre à travers les volets. J’ouvre un œil. 10h47. La tête embrumée, la bouche pâteuse. J’entends du bruit dans le salon. Un fredonnement et des bruits de sac plastique. C’est elle, évidemment. Elle a l’air bien. Comme si l’épisode de cette nuit n’avait jamais eu lieu. Tant mieux. Au moins un truc que je peux rayer de la liste de mes préoccupations.
Je soupire. Il faut que je me lève. Mais j’ai envie de rester prostré ici. J’ai pas envie qu’elle me relance sur la conversation d’hier. Je ne veux pas voir ses yeux tristes. Qui me mettent face à mes conneries. Mais j’ai une envie pressante. Alors je me fais violence et je me lève. Pieds nus, je traîne jusqu’à la porte d’un pas lourd.
Je l’ouvre. Elle est là. En short et débardeur, cheveux en vrac. Lumineuse. Comme si tout était normal. Elle range des courses dans le frigo et lève les yeux vers moi avec un sourire.
- Hey, bonjour ! Je me demandais quand tu referais surface. Il est même pas 11h, c’est l’aurore pour toi, non ? rit-elle. J’ai été cherché de quoi faire un brunch, si ça te dit ?
Encore à moitié dans le coltard, je hoche la tête et grogne un “ok”. Je traverse le salon et je file dans la salle de bain. Sous la douche, je laisse couler l’eau en réfléchissant. Elle n’a rien dit par rapport à hier. Je n’arrive pas à comprendre si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Mais c’est un soulagement. Je ne me voyais pas encore devoir marcher sur des œufs avec elle.
Quand je ressors, elle est assise au comptoir de la cuisine, sur la même chaise haute qu’hier matin. Son parfum floral et sucré me frappent avec la même force. Putain, j’ai envie de l’embrasser et de la prendre sur le plan de travail. Et ça, ça me prouve que les choses ont définitivement changé.
- Regarde ça ! se réjouit-elle en me tendant un flyer.
- Tu parles grec, toi, maintenant ?
- J’aimerais bien… Mais non. Je suis passée devant le bar en rentrant. J’ai croisé Jona. On a un peu parlé et il m’a fait la traduction.
Il n’a pas pu s’empêcher d’aller à la pêche aux infos.
- C’est une cueillette libre ! Ça te dit qu’on y aille ? enchaîne-t-elle. C’est à une vingtaine de minutes en voiture. On pourrait ramener plein de trucs ! Il y a l’air d’y avoir plein de fruits. Ça serait super chouette. Un retour aux sources : on va se changer en chasseurs/cueilleurs.
Elle a des étoiles plein les yeux, parle sans s’arrêter et rit toute seule. Ça me fait sourire. C’est la Maud que je connais. Celle avec qui je suis à l’aise. Celle à qui j’ai toujours envie de faire plaisir. Mais il y a un hic…
- On n’a pas de voiture, je relève.
- Alors justement… Jona dit qu’on peut emprunter la voiture du bar, dit-elle avec un sourire trop grand.
Elle tapote ses mains, se mordille les lèvres tout en souriant. Elle est en mode gamine. Cette attitude qui me désarme totalement. Je lève les yeux au ciel, pour la forme.
- Ok, je soupire. On ira après manger.
- Ouiiii ! Merci ! s’exclame-t-elle en levant les bras au ciel.
Après ça, le brunch se fait en silence. Un poil trop lourd pour être un de nos silences. Puis on commence à ranger et je découvre ce qu’elle a fourré dans mon frigo.
- C’est quoi ça ? je demande, sortant du bout des doigts une brique de crème bas de gamme. Pourquoi tu as acheté cette daube ?
- Euh… je sais pas. Tes placards sont presque vides.
- Oui. J’ai pas eu le temps de faire les courses.
- Ça ne me disait rien non plus de grignoter à la va-vite. Alors je m’étais dit que je pourrais me servir de ce que j’ai acheté pour nous faire un truc à manger ce soir.
Je percute enfin et ça me laisse sur le cul :
- Attends… Tu pensais que je mangeais à l'arrache des trucs sortis au hasard de mes placards ?
Elle hausse les épaules et lève les mains, l'air coupable.
- Tu m'as pris pour un animal ou quoi ? je rigole.
- C'est pas comme si je t'avais déjà vu faire à manger….
- Je ne fais pas à manger. Je cuisine, moi, madame. Et certainement pas avec ces trucs qui souillent mon frigo. Tu m’as jamais vu faire parce que, quand je rentre, ma mère est trop contente de me faire sa cuisine pour me laisser aux fourneaux.
Elle continue de me fixer, suspicieuse.
- Ok, tu sais quoi ? Ce soir, je cuisine. Je vais voir ce que je peux faire avec ce qu’on aura ramené de la cueillette et cette… chose.
- Oh, ça va ! C’est de la crème, minimise-t-elle en riant.
- Ouais bah t’as intérêt à repartir avec parce que…
Son visage se ferme.
Merde
Je viens de lui renvoyer à la gueule que je ne veux pas d’elle ici. Même si c’est en partie vrai, c’était plutôt indélicat de ma part.
- Je suis… Je… Bref… Euh… Je cuisine. Euh… T’es prête à partir ?
- Oui… Juste besoin de mettre des chaussures.
Nous nous préparons, dans un nouveau silence pesant et nous mettons en route. J’envoie Maud récupérer les clés de la voiture au bar. J’ai accepté de l'accompagner. Pas de me faire cuisiner par Jona.
Dans la voiture, elle allume la radio. Un vieux tube grec qui ne ressemble à rien et l’épisode du frigo semble s’effacer. Elle chante n’importe quoi dessus. Danse en agitant les bras dans de grandes vagues presque ridicules quand on sait combien elle peut être sensuelle et en rythme. Elle joue, cherche à me faire rire.
- Allez, gros ronchon ! Balance ton groove !
C’est là que je craque. Je souris malgré moi. Pas longtemps. Mais elle le voit. Et elle me gratifie de cette moue espiègle et adorable dont elle a le secret. Celui qui me donne envie de la prendre dans mes bras.
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