Chapitre 12 - Partie 4
Nous arrivons assez vite. Les champs s’étendent sous nos yeux. Des arbres bas, des filets de protection, un vieux panneau peint à la main avec un dessin naïf : un type avec un panier qui cueille des fruits dans un arbre. Des rangées de fleurs à couper. Les quelques voitures mal garées et les gens trimballant un panier dans les champs m’indiquent qu’on est au bon endroit.
Dans une cabane à l’entrée, un gars nous file un panier et un genre de caddie plat. Comme si on allait ramener quinze tonnes de bouffe.
L’air sent la terre. Le frais. Le soleil tape, me fatigue déjà. Pas elle. Elle est déjà à moitié enfoncée dans le champ. Court presque vers les premiers rangs de légumes. Je la suis, un peu blasé, mais amusé.
- Y a des fruits partout ! Regarde ! me lance-t-elle.
Nous passons une petite heure dans les champs. A cueillir, à ramasser, à remplir le panier, puis le chariot. Pas si con le gars de l’entrée. Heureusement qu’on a une voiture. Maud s’amuse et je reconnais que je passe un bon moment. Et en bonus : on va ramener des produits de qualité pour cuisiner.
Je vois par moment ses coups d'œil, ses sourires. Je maintiens la distance. Physiquement. Elle s’extasie sur chaque papillon, sur les légumes encore à l’état de bourgeon. Je souris discrètement à chacune de ses réactions.
Puis on se dirige vers les arbres. Sous un pêcher, elle tend les bras, essaie d'attraper les fruits. Mais, bien sûr, elle est beaucoup trop petite. Je la regarde sautiller pour essayer d’attraper une branche, sans succès. A chaque échec, je cache un peu plus mon sourire derrière ma main.
T’as raison, continue. On sait jamais… La septième fois sera la bonne.
Et puis son visage se transforme en une moue boudeuse. Elle fronce les sourcils. Pose ses petites mains sur ses hanches. Elle remarque une barrière en bois près de l’arbre.
Ça ne t’aidera pas plus.
Elle monte dessus, s’appuyant sur le tronc. Et elle retente sa chance. Une main sur le tronc, l’autre en l’air. Elle est encore plus loin des fruits qu’avant, mais elle insiste. Se hisse sur la pointe des pieds, se tend jusqu’au bout des doigts.
Arrête d’être si adorable, Maud…
Je secoue la tête et décide d’entrer en piste. Je tends une main vers elle :
- Descends de là, tu vas te vautrer.
- Je gère. J’y suis presque !
- Si pour toi “presque” c’est “à vingt centimètres de la première branche”, alors oui. T’y es presque. Lâche rien, je la chambre.
Elle rigole. Et puis elle glisse en laissant échapper un couinement. Je la rattrape par le bras, maladroitement, presque sèchement. Quand elle est stable, je la relâche.
- Mais t’es pas croyable ! je râle. Je t’ai dit que tu allais te casser la gueule.
Je suis presque sûr de lui avoir fait mal. Et qu’elle va avoir une marque. Je ne sais pas pour quelle raison je m’en veux le plus. Elle se redresse, un peu gênée.
- Désolée… Ça va toi ? Je ne t’ai pas fait mal ?
- Pas du tout.
Comme toujours, elle fait passer mon bien-être avant le sien. A croire qu’elle se fiche de sa santé. Sa proximité physique me déstabilise comme jamais. Peut-être parce qu’avant je n’aurais pas passé une journée sans la toucher toutes les 20 minutes. Même un minuscule moment. Et que là ça fait des heures que je me retiens de l’approcher.
- Bon… Je vais chercher un escabeau. Essaie de ne rien te casser d’ici là.
***
Après avoir joué au mime avec les gérants, je reviens avec une échelle miniature. Pas ce qui était prévu, mais bon… J’avais pas envie de galérer plus longtemps, alors je l’ai prise. Maud me regarde arriver, et je vois à son attitude qu’elle ne comprend pas.
- C’est quoi ça ? demande-t-elle.
- Ce que j’ai réussi à avoir vu leur niveau d’anglais.
Elle éclate de rire, et ça me détend un peu. Au moins, on est tous les deux sur la même longueur d’onde. On essaie de la poser sur le tronc mais on se rend vite compte que ça reste très instable. Pas le choix : il faut que je la tienne.
Maud se faufile entre mes bras, un panier dans les mains. Elle est… trop près. Hésite sur chaque barreau. Lorsqu’elle arrive en haut de l’échelle, c’est une torture. Ses fesses sont juste là, presque à hauteur de mon visage. Je garde les yeux fixés sur l'échelle, sur la branche qu’elle tente d’attraper. Tout sauf elle. Et c’est dur. Et oui… Bien sûr, ça aussi.
- Tu t’en sors ? je demande, en me raclant la gorge.
Elle me répond sans se retourner, trop concentrée sur son objectif.
- Oui. Encore une ou deux.
Je lâche un soupir. Elle est déterminée, insouciante. Et moi, je deviens un peu plus fou à chaque seconde. Tout dans ma tête me crie de la serrer contre moi. De la faire descendre à ma hauteur sur cette échelle. De la sentir. De la toucher. De l'embrasser. Je lutte pour ne pas céder.
- Ça y est ! dit-elle. Je vais redescendre. Tu me tiens toujours hein ?
- Je te tiens, je confirme, essayant de cacher la tension dans ma voix.
Quand elle pose pied à terre, un petit soupir m'échappe. Je suis épuisé. Pas seulement par la chaleur mais aussi par toute cette tension qu’elle fait monter en moi. Elle est si près. Une fraction de seconde, je laisse tomber ma tête sur son épaule. Je me concentre sur son parfum de fleur. Sur ce contact. Furtif. Deux secondes. Juste ça. Le temps de respirer. Et de faire partir cette érection traîtresse.
- Deux secondes, je murmure, presque pour moi-même, en fermant les yeux un instant.
J’en ai besoin. Pour me raccrocher à quelque chose de réel, de concret. Pour l'avoir un peu plus près. De face, ce serait trop risqué. Elle verrait forcément la preuve flagrante de mon désir. Alors, comme ça, dans son dos, c’est un compromis acceptable. Elle ne dit rien, mais je la sens se raidir. Comme l’autre jour dans la réserve. Ça ne dure que quelques secondes. Juste assez pour me rappeler à quel point tout ça reste dangereux. A quel point j’en veux plus. Plus de contact. Plus d’elle.
De nouveau maître de mon corps, je me redresse, me libérant de cet instant de faiblesse.
Elle se retourne alors, et son regard papillonne sur le mien. Une petite feuille est coincée dans ses cheveux. Je tends la main et, d’un geste délicat, je la retire.
- Voilà, je souffle.
Je laisse ma main dans ses cheveux, contre sa joue. J’essaie de garder le contrôle, de paraître détendu. Je me demande si elle voit ce que je cache derrière mon sourire. Cette envie interdite de tout envoyer valser. De me pencher sur elle. De goûter ses lèvres.
- On rentre ? je propose en la lâchant. J’ai besoin de me détendre avant le boulot.
- Oui. Moi, il faut que je m’y mette.
On embarque l’échelle et notre récolte. On paie et on reprend la route. Elle remet la radio. Mais cette fois, elle ne danse pas.
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