Chapitre 13 - Partie 1
Ça fait un quart d’heure qu’on est rentré. Elle s’est mise au travail direct. J’ai rangé les courses et je suis allé me poser sur mon lit. Loin de la tentation. Mais je n’ai pas résisté longtemps avant d'aller la regarder.
Elle a mis une musique douce pour se mettre dans l’ambiance. Elle vibre dans l’air. Tendre, sensuelle. Sa silhouette se découpe dans la lumière du soir. Elle se lève, yeux fermés et se rapproche, son corps ondulant. Elle récupère quelque chose dans son sac, me montrant son cul au passage. Je la regarde toute entière. Ses cheveux en bataille lui donnent un air… sauvage. Sexy.
J’adore la voir comme ça, dans cet état d’esprit. Quand ses seins tressautent doucement à chaque impact. Qu’elle ferme les yeux pour se lâcher et se concentrer sur ses sensations. Qu’elle se mord les lèvres, parce que c’est trop intense.
Je pense à la douche chez mes parents. J’ai de plus en plus envie de la prendre. Je sais que je ne devrais pas. J’essaie de me retenir. Et puis je n’y tiens plus.
Clic.
Encore une photo volée.
J’en ai une similaire, mais on ne la voit pas aussi bien.
Je venais de finir un énième CDD à l'étranger et j'étais de retour chez mes parents en attendant le suivant. Je l’ai surprise sur l’ordinateur familial. Se trémoussant sur une musique tout aussi naze. Sans gêne. Adorable. Et j’ai pris la photo.
Nate et elle était remontés pour les vacances. Il était 11h. La maison vide : mon père pas encore rentré de son travail ; Nate et ma mère partis faire des courses. Maud était restée. Leur couple était récent mais ça me bouffait déjà de les voir évoluer. De la voir chercher un appart pour s’installer ensemble.
- Alors tu trouves des trucs ?
- Pfff, tu parles ! On n’est absolument pas d’accord avec ton frère alors forcément ça complique les recherches. Sans rire, on est tellement divergents que parfois je me dis que ça serait plus simple avec quelqu’un d’autre.
Je n’ai pas rit. Elle si, comme si c’était juste une blague. Comme si je n’espérais pas secrètement qu’ils se séparent.
- Tu ne devrais pas plaisanter là-dessus.
J’aurais dû me taire. Elle a levé les yeux vers moi. J’ai fait semblant de fixer l’écran.
- Vous avez de la chance d'être ensemble, j’ai menti. D'avoir quelqu'un.
- Zed… Tu es quelqu’un d’adorable quand tu laisses tomber ton masque de ronchon. Tu es drôle, bourré de charme et foutu comme un demi-dieu grec…. Je suis sûre qu'il y a des tas de filles qui rêvent d'être avec toi sans que le saches.
Aujourd’hui, je sais qu’elle faisait partie de ces filles. Que c’était un premier aveu. Mais ce jour-là, je n’ai pas percuté. J’ai ricané pour masquer l’ascenseur émotionnel qu’elle venait de déclencher.
- Un demi-dieu grec ?
- Oui, seulement demi. Faudrait voir à pas trop flatter ton ego, après tu vas être insupportable.
Elle a ri à nouveau. Moi, pas vraiment. J’aurais voulu que ce soit plus qu’un compliment en l’air.
- En fait, je te plais à fond mais tu veux pas te l’avouer.
Je l’ai chambrée, par réflexe. Pour ne pas lui montrer que je crevais d’envie que ce soit vrai. Je ne pouvais pas me douter que j’avais raison.
- Qui a dit que je ne l’avouais pas ?
Pensant qu’elle plaisantait toujours, j’ai fait comme si je n’avais rien entendu.
- Bref, voilà. Nate et toi vous êtes le parfait petit couple et je vous vois tout le temps dans les bras l’un de l’autre et même si je suis super content pour vous bah ça m’énerve aussi.
Ça me rendait dingue. Parce que je voulais que ce soit moi. Je voulais avoir tout ce qu’elle lui donnait. En sachant que je n’en aurais jamais le droit.
- Jaloux ?
Je revois son sourire. La légèreté dans sa voix. La taquinerie. Elle n’avait aucune idée. J’aurais dû répondre un truc con. Un truc pour noyer le poisson. Mais c’est sorti tout seul. Sans filtre.
- Oui.
Silence. Elle m’a regardé, son regard plus intense. Elle savait, mais pas tout. Elle a dû se dire que je jalousais le fait d’être avec quelqu’un. Pas le fait d’être avec elle. Elle m’a souri, avec cette tendresse désarmante.
- Tu veux un câlin ?
Mon cœur a raté un battement. Je ne l’avais jamais prise dans mes bras. J’aurais dû refuser. Mais j’ai juste tourné ça en dérision. Je pensais que ma proposition la choquerait ou la gênerait et qu'elle refuserait.
- Ouais mais ça serait pas pareil. Je pourrais pas te faire tourner comme le fait Nate.
- Bah, fais-moi tourner si tu veux.
Elle a dit ça tout sourire. Comme si c’était rien. Comme si ça n’était pas un risque énorme. Alors je l’ai prise dans mes bras, trop heureux d’avoir cette opportunité. Trop avide du moindre contact légitime de sa peau contre la mienne.
Je l’ai faite tourner, la serrant sûrement plus que je n’aurais dû. Je l’ai respirée. Mon nez lové dans le creux de son cou. Son parfum de sucre et de fleur. Et là, j’ai merdé. J’ai laissé glisser mes lèvres sur sa peau et je l’ai embrassée. Juste sous l’oreille. A peine un effleurement. Juste de quoi me laisser sur ma faim.
Cette étreinte volée, ce moment interdit... ça a été mon premier pas de travers. Ce jour-là, j’ai cru qu’elle n’avait rien dit par pudeur ou parce qu’elle ne l’avait pas remarqué. Depuis son appel, j'ai réalisé qu’elle l’avait sûrement non seulement remarqué, mais que ça l’avait certainement autant chamboulée que moi.
Mais, sur le moment, elle n’avait rien dit. Alors j'ai recommencé à la prendre dans mes bras. A chaque fois. Dès qu’on se revoyait après longtemps. Une excuse, devenue une habitude. Parfois je la faisais tourner, parfois non. Une étreinte qui durait une seconde de trop. Mais je n'ai jamais osé reposer les lèvres sur elle comme ça. Aussi intimement. Jusqu'à l'autre jour, dans la réserve.
- Tu apprécies le spectacle ?
Sa voix me ramène brusquement au présent. Je cache mon téléphone dans ma poche par réflexe.
Elle danse toujours. Un sourire flotte sur ses lèvres. Malicieux, presque provocateur. Je retrouve juste assez mes esprits pour répondre :
- Beaucoup.
Je devrais rester distant. À ma place. Regarder de loin.
Mais ça me semble soudain insupportable. Au-delà de ce besoin d’être près d’elle, il y a cette peur. Sourde. Sournoise. Qui me ronge depuis la veille. De m’approcher trop. Mais aussi de la perdre si je reste à distance.
Je ne réfléchis pas. Je m’avance et attrape sa main. C’est instinctif. Automatique. Un geste que j’ai fait des centaines de fois. Un geste familier, rassurant. Elle se laisse faire, comme toujours.
Je la fais tourner, lentement, savourant la fraîcheur et le poids de sa paume contre la mienne. Juste elle et moi. Comme avant. Avant qu’on sache. Avant que tout devienne si compliqué.
- Je peux participer ?
Elle arque un sourcil, amusée.
- Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait du vrai Zed ?
Je souris, mais au fond, il y a une tension qui ne me quitte pas. Elle plaisante. Elle ne se doute pas. Elle ne voit pas que je suis en train de marcher sur une corde raide. Que ce geste, autrefois si léger, a pris des allures de torture.
- Je suis toujours moi, je réponds simplement. Je me suis juste dit que tu aimerais peut-être.
Je lâche ses mains, prêt à reculer. Parce que je sais que je joue avec le feu.
Cette habitude n’aurait jamais dû exister.
Mais elle m’arrête en agrippant mon t-shirt.
- Oui !
Sa voix est trop forte. Trop rapide.
- Oui, ça me ferait plaisir.
Elle lisse le tissu qu’elle a agrippé, comme pour effacer son geste. Comme si ça pouvait effacer son aveu involontaire. Elle cherche ma proximité autant que moi. Sauf que, comme moi, elle ne sait plus vraiment comment faire.
Elle me sourit. Un de ces sourires qui me tuent à petit feu et mon cœur fait un putain de bond.
Alors je reste. Je danse avec elle. Parce que je suis faible. Et que j’ai besoin de ça. De cette illusion. Ce mensonge silencieux qu’on se raconte l’un à l’autre. Elle prétend que tout va bien. Je prétends que je peux refouler mes émotions.
Et pendant une minute, j’oublie. J’oublie tout ce qui fait que c’est une mauvaise idée. Jusqu’à ce qu’elle parle.
- Est-ce que c’est une façon de me dire que tu es disposé à parler ?
Putain. Non !
Tout en moi se referme. Instantanément.
- Non. On n’a pas besoin d’en parler.
- Si. Il faut qu’on en parle. Il reste tellement de choses…
- Maud, j’ai dit non.
J’entends la supplication dans sa voix. Mais je ne peux pas. Si je parle, si je mets des mots sur ce que je ressens, elle va me dire ce que je redoute. Que c’est Nate qu’elle choisit. Que ça a toujours été Nate. Que ça sera toujours Nate.
Moi, je ne suis que le fantasme. Le type sur la touche. L’erreur en arrière-plan. Je préfère encore me taire.
Elle cherche mon regard, essaie d’y lire ce que je refuse de dire. Mais tout ce qu’elle trouvera, c’est du silence. Du bout des doigts, elle effleure mon visage. Un contact si léger et pourtant si brutal.
- Qu’est-ce qui te fait peur ?
Tout.
De blesser mon frère. De briser ma famille. De la perdre. De l’entendre dire qu’elle ne ressent pas ce que je ressens. Qu’elle découvre mes problèmes d’alcool. Qu’elle me regarde différemment.
- Je n’ai pas peur. Je ne veux juste pas en parler… parce que je ne veux pas en parler.
Elle soupire, obstinée.
- Je ne lâcherai pas l’affaire, Zed.
- Je sais, je souffle en posant ma joue contre sa main.
Et c’est bien ça, le problème.
Ce contact c’est trop. Trop intime. Trop réel. Je me détache d’elle avant de briser les barrières que j’ai réussi à maintenir en place.
- Je n’aurais pas dû te déranger. Tu étais en train de travailler… Je vais te laisser continuer. Si tu as besoin de quelque chose, je suis dans la chambre.
Je tourne les talons. Je ne veux pas partir. Mais rester est pire.
- J’ai besoin de toi.
Je me fige. Je ferme les yeux un instant. Il ne faut pas qu’elle dise ça. Pas comme ça. Parce que ça n’a pas le sens que je voudrais que ça ait.
Et pourtant… Peut-être…
Je lui fais face.
- J’ai besoin que tu me parles.
Non. J’ai vu juste. Malgré l’attirance qu’elle ressent, je ne suis que le frère de son fiancé. Je ne dois pas en espérer plus. Je me déteste pour la peine que je vois passer dans ses yeux quand je réponds :
- Je ne veux pas.
Son regard accroche le mien. On se défie en silence. Finalement, elle lâche :
- J’ai encore des trucs à gérer pour le boulot. On verra ça plus tard. Merci pour la danse.
Je pourrais lui dire que ce genre de moment compte pour moi. Que je ne veux pas que ça s’arrête. Je sais que ça s’arrêtera si je parle. Alors, je me contente d’un simple :
- Quand tu veux.
Et je disparais à nouveau dans ma chambre. Juste assez pour reprendre une contenance. Pour essayer d’effacer ce qui vient de se passer. Ce qu’elle a dit. Le frisson de ses mains. La douceur de sa voix. La morsure de ses mots. Le sens que j’aurais voulu qu’ils aient. Cette vérité que je dois absolument cacher.
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