Chapitre 17 - Partie 3

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Quand j'arrive enfin au bar, l'odeur familière du bois, du sable et de l’encens m’accueille, mais rien de tout ça n'efface l’image de Maud dans mon salon. Sa danse, son regard. Son corps qui bougeait avec la musique. J’ai beau vouloir penser à autre chose, il n’a rien à faire : son image me nargue encore et encore.

Je salue vite fait mes collègues - Anna et Matteo pour le moment et je commence à m'occuper de mes tâches habituelles. Sauf que je n’arrive pas à me concentrer. Le bruit des conversations, les verres qui tintent, tout m’agace. Je n’arrête pas de penser à Maud, sa danse ce matin, et son corps sous mes doigts hier soir. Je sens à nouveau la tension monter. Mon sexe se tend. Mes mains tremblent.

C’est pas bon, ça.

Quand je pense que je lui ai hurlé dessus hier soir… Il est hors de question que ça se reproduise. Ni la colère, ni la folie de la toucher.

Je me rends bien compte que je ne pourrais pas garder le contrôle sur les deux tableaux en même temps. Sur ma soif de Maud et de Gin. Peut-être qu’un verre me permettrait de diminuer la pression, au moins un peu. Un problème à la fois. L’alcool, c’est tout ce qui me calme. Et je sais que ça ne fait que repousser la merde. Maud sera toujours dans ma tête. J’aurais toujours envie d’alcool.

En tout cas, j’en ai besoin aujourd’hui. Résigné mais résolu, je me penche vers la bouteille. Je me sers un verre, juste un petit. Pas trop, juste assez. Je le bois d’une traite. Le liquide me brûle la gorge, mais cette brûlure n’est rien comparée à celle qui me prend les tripes. Ça fait du bien, mais je sais que, comme avec Maud, c’est mal.

Ce verre, ce n’était rien. L’envie de me resservir me ronge. Un putain de poison dopé au manque. Si je bois un peu plus, peut-être que je pourrais oublier tout ça. Juste un peu plus. Non ! Pas question que je me laisse emporter.

Reprends-toi, bordel ! T’es au taf !

Je me force à poser le verre. Je rentre la tête dans mes épaules et serre les poings. Ce verre c’était peu, mais c’était pas rien. C’est mal, mais c’est un petit soulagement. Si je me force à me concentrer, je le ressens. Moins de tourments. Un peu moins de Maud qui me fait perdre la tête. Un peu moins de la rage qui gronde dans ma poitrine. Un peu plus de calme.

Je sors ma carte bleue, paie ma “consommation” et passe un coup d'éponge sur le comptoir. Les habitués installés en bordure de terrasse rient, Anna prend leur commande. La vie suit son court, et je peine à suivre.

  • CEDRIC ? m’appelle Matteo.
  • Yes ?
  • Jona’s running late. The newbie will be here shortly. I’ll make sure everything’s okay with her contract. Would you mind showing her around after ? Sofia won't be here for another hour, I’d rather leave Anna with the clients and I gotta call a plumber to fix this stupid toilet.
  • Yeah, sure. Just bring her over. I’ll be here.
  • Cool. Thanks, man.

Anna revient avec la commande et repart sans un mot. Je n’arrive pas à bien la cerner. Sofia c’est une fille sympa. Trop timide pour son bien, mais avec un peu d’expérience, ça ira. Anna, c’est autre chose. Souriante avec les clients, mais très peu avec nous. Pourtant, elle est chouette. Mais pas très démonstrative. Et pour le coup, je ne peux pas vraiment lui jeter la pierre.

Je remplis les verres, les dépose sur un plateau, puis je jette un coup d’œil vers la terrasse pour voir si d’autres clients s’installent. Et là, je crois halluciner.

Pas possible… Où sont les caméras ?

La silhouette familière se faufile entre les tables et se dirige droit vers l’entrée du bar. Lunettes de soleil, sac en bandoulière, cette démarche un peu trop assurée. Je ne peux pas me retenir :

  • Sérieusement ?
  • Oh bah merde alors ! s’écrie Daphnée.
  • Tu peux vraiment plus te passer de moi, en fait ? je lance en croisant les bras.
  • Je suis démasquée. Ça me manquait d'avoir les nerfs à vif à force de te supporter.
  • Touché.

Elle sourit franchement.

  • Je suis super contente de te voir, ceci dit. On a plein de choses à se dire ! Mais bref, à la base, je suis là pour bosser. Tu sais où je peux trouver le patron.
  • Attends… C’est toi la nouvelle serveuse ?
  • Elle même !

Je laisse échapper un rire nerveux et me frotte les yeux.

  • Matteo ! j’appelle.

Il sort de la cuisine. Daphnée lui tend la main, immédiatement. Et là, elle enchaîne, fluide, en grec. Je capte rien, juste le ton. Léger, complice. Matteo répond dans la même langue, avec un accent plus lourd mais l’air ravi d’avoir trouvé une alliée linguistique.

Je reste figé un instant, à les regarder parler comme si de rien n’était. Il la regarde une seconde de plus, puis se tourne vers moi.

  • Jona should be here in twenty. Can you show her around very quickly ? I need to make sure the fucking plumber will be here today !
  • Yes, sure. We’re old pals.
  • No kidding ? Small world… Anyway, I’ll leave you to it.

Il repart déjà, téléphone à l’oreille, râlant avant même d’avoir atteint la cuisine. Je me retrouve seul avec Daphnée. Elle a déjà déposé son sac dans un coin, prête à bosser, avec ce sourire qui dit “je suis chez moi partout où je passe”.

  • Attends... tu parles grec, toi ? je finis par lâcher.

Elle se tourne vers moi, petit sourire en coin.

  • Ah, Cédric… Si tu t’intéressais un peu plus aux autres, tu saurais que je suis franco-grecque.

Je hausse les sourcils, un peu piqué.

  • T’as vraiment postulé ici sans savoir ?
  • Promis, juré. Je bosse ici tous les étés. En plus j’ai des soucis perso à régler dans le coin. Les étoiles ne pouvaient pas mieux s’aligner.
  • Quelle coïncidence de merde.
  • Ça tombe bien tu veux dire. Tu vas pouvoir me raconter tout ce que j’ai manqué avec ta belle-soeur, rétorque-t-elle avec un clin d’œil.

Je lève les yeux au ciel.

  • Bon. Viens, je te montre les lieux.

Je lui présente Anna, j’en profite pour lui dire qu’elle est aux commandes pendant 15 minutes. Puis je guide Daphnée jusqu’à la réserve, passe derrière le comptoir, désigne les frigos, les codes, les consignes de sécurité. On va en cuisine, je présente le reste de l’équipe de jour. Elle me suit, prend des notes dans un petit carnet rose fluo. Toujours ce mélange improbable entre organisation maniaque et chaos ambulant. Rien n’a changé.

  • Et du coup… Avec ta belle-soeur ?

Son prénom fuse.

  • Maud.

Je préfère encore donner des bribes d’info que la laisser dire “ta belle-sœur”.

  • Oh, c’est ça son nom ? C’est joli. Bref…, reprend-elle. On en parle, un jour, de ce qui s’est passé ?

Je la fixe. Elle ne peut pas savoir ce qui se passe depuis des jours, si ?

  • Comment ça ?
  • J’en suis restée à “vous deviez parler”.

Je l'entraîne à l’extérieur du bar, par la sortie de derrière. Je lui montre la voiture de service. Une diversion de plus. Mais puisqu’on va bosser ensemble, je ne vais pas pouvoir esquiver très longtemps. Alors je raconte. La fin de l’anniversaire de ma mère. Que Maud ressent clairement quelque chose pour moi. Mais qu’elle est toujours avec mon frère. Et Jona débarque, me sauvant de cet interrogatoire surprise. Je fais les présentations et nous retournons en salle.

Anna prend le relais sans perdre de temps. Elle attrape Daphnée à la volée pour lui expliquer la répartition des tables, les zones de passage, les deux ou trois habitudes des clients réguliers qu’il vaut mieux repérer tout de suite. Daphnée écoute, hoche la tête, pose quelques questions. À l’aise, comme toujours. Trop à l’aise, peut-être.

Entre deux commandes, elle discute avec Jona de petits ajustements à faire dans la salle. Elle suggère deux-trois trucs sur la déco ou la disposition des tables. Comme si elle avait toujours bossé ici. Normal. Effrontée, mais compétente. Daphnée, quoi. Jona sourit, un peu surpris mais pas vexé.

De mon côté, je retourne direct derrière le comptoir avec Jona. La salle commence à se remplir et les commandes tombent. On enchaîne les cafés, les frappés, les premiers verres de blanc pour ceux qui s’installent pour déjeuner. Jona gère les encaissements. Moi, je garde un œil sur les bons, et envoie les boissons. Aucun moment pour reprendre ma conversation avec Daphnée. Et franchement, ça m’arrange.

Je n’ai pas envie de parler. Pas alors que tout est si flou, instable, fragile. Ce qu’il se passe avec Maud, ce n’est pas un sujet à balancer entre deux cocktails. C’est un sujet que je ne veux pas aborder. Du tout.

Alors je me concentre sur le taf. Planqué derrière le comptoir. Je bouge, je prépare les commandes, je reste occupé. Et ça me va très bien comme ça.

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