Chapitre 17 - Partie 4

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Après deux heures de travail, le manque de sommeil me rattrape. Il est temps que cette première partie de journée s’arrête.

Mais en même temps, si je finis ici, je vais affronter Maud. Et j’ai encore moins l’énergie pour ça. Comme pour répondre à mes craintes, j’entends sa voix à travers le bar :

  • Hello.
  • Hey ! répond Jona. Je ne m’attendais pas à te voir.
  • Ouais, moi non plus, j’ajoute en me redressant.

Après nos interactions de la veille et de ce matin, je pensais qu’elle resterait à l’appart. Ou qu’elle irait ailleurs. Mais non.

De loin, je vois Daphnée revenir vers nous. Des emmerdes en perspectives.

  • Au fait, tu ne connais pas la nouvelle serveuse. Daphnée, Maud. Maud, Daphnée, présente Jona.

Daphnée me fixe. Droit dans les yeux.

  • Maud ?

Et j’entends tout ce qu’elle ne dit pas : “Maud… Comme “Maud, la copine de ton frère” ?”

Oui. Cette Maud-là. Et on ne va pas en parler maintenant. Voire même jamais.

Je réponds tout aussi sobrement qu’elle :

  • Oui. Maud.

L’intéressée nous regarde tour à tour et puis s’adresse à Jona :

  • Euh… Je voulais te remercier pour la voiture hier. J’ai fait des crêpes, dit-elle en posant une assiette pleine sur le comptoir. Je me suis dit que ça serait plus sympa de partager avec tout le monde.
  • C’est adorable. Il ne fallait pas.
  • C’était la moindre des choses.

Elle lui sourit, innocemment et j’envie cette interaction. Simple. Banale. Tout ce qu’on n’arrive plus à être depuis quelques jours.

Daphnée retire le cellophane de l’assiette et se sert. Puis, la bouche encore pleine, enchaîne :

  • Tu vois, c’est ça qu’il manque à ce bar : une touche féminine.
  • Genre repeindre en rose et mettre des paillettes ? je raille.
  • Mais non, abruti ! Je pensais à un truc utile. Et tout simple : une petite boîte avec des serviettes, tampons, même des culottes de secours dans les toilettes des femmes. Discret, mais accessible. Tu sais, pour celles qui ont un pépin et veulent pas rentrer chez elles, la honte au ventre.

Jona la regarde comme s’il venait de lui pousser un troisième œil. Mais curieux quand même.

  • Ça se fait vraiment, ce genre de truc ?
  • De plus en plus. Et franchement, je trouve ça hyper bien. Pas toi, Maud ?

Elle se fige, visiblement mal à l’aise. Mais elle répond tout de même :

  • Euh… Je me sens pas vraiment concernée. J’ai un stérilet hormonal. J’ai plus à me soucier de ça depuis des années.
  • Oooooh, interessante !

Bah voyons… Il voit tout de suite ça comme “sexe illimité”.

Elle cligne des yeux, cherche la bonne réponse. Et finit par sourire, un peu raide.

  • Oui, bon… disons que ça a des avantages non négligeables.

Et, comme un con, j’y pense aussi. Aux avantages que ça représente. À elle, nue, contre moi. Ce souvenir remonte, lentement. S’installe dans le bas de mon ventre, tenace. Mais encore gérable.

  • Je prends une pause, je lâche avant de quitter la pièce.

Je sors par la porte de service et claque la porte derrière moi. L’air me frappe en pleine tête. Trop sec. Trop chaud. Je cligne des yeux, déboussolé une seconde. Puis je me dirige vers la voiture de Jona, me cale contre la portière. Dos à tout. J’ai besoin que tout le monde me lâche.

J’ai le souffle court. Et cette envie, sourde. Aigre. De tout envoyer bouler avec un autre verre. Juste un. Ça monte lentement. Comme une démangeaison dans mes veines, impossible à gratter.

Je ferme les yeux. Je revois son sourire à Jona. Son regard qui évite le mien. Et Daphnée, trop lucide, déjà en train de faire ses connexions. En train d’imaginer comment elle va me cuisiner.

Je soupire, passe une main dans mes cheveux et retourne dans le bar. A ma place, derrière le comptoir. Jona s’approche doucement :

  • Tu vas m’envoyer chier, mais… Elles se connaissaient Maud et Daphnée ? demande-t-il après un moment.
  • Pas que je sache. Pourquoi ?
  • Parce que Daphnée a dit un truc… Pas cool. Je voulais juste te prévenir…

Je fronce les sourcils.

C’est quoi ce bordel, encore ?

Je traverse le bar comme une balle. J’attrape Daphnée par le bras. Elle proteste, surprise, mais je l’entraîne, sans lui laisser le choix. Quelques regards se lèvent. Maud, surtout. Je les ignore.

Une fois sur le parking, elle explose :

  • Non mais ça va pas ?
  • Je pourrais te dire la même chose ! Tu t’en prends à Maud, maintenant ? Au travail ! Dans mon dos ? Et devant mon boss en plus ?
  • J'ai pas réfléchi, se défend-elle.
  • Bien sûr. Tu réfléchis jamais à ce que tu fais avant que ça soit trop tard !

Elle se renfrogne.

  • J'ai fait ça pour toi.
  • J’ai pas besoin de toi. Je gère.
  • Tu gères rien du tout ! Si tu crois que j’ai pas senti l’alcool dans ton haleine tout à l’heure, tu te gourres !

Elle a chuchoté cette dernière remarque. Mais ça me fait l’effet d’une gifle. Je n’ai bu qu’un malheureux verre. Un seul !

  • Je te laisserais pas plonger plus à cause d’elle ! conclut-elle.
  • Je venais de prendre un verre quand tu as débarqué ! Le seul en trois jours ! Parce qu’elle est là ! Sinon, crois-moi, tu m’aurais trouvé dans un état bien pire qu’il y a trois ans. C’est le bordel en ce moment. Mais elle n’y est pour rien. Alors lâche-lui la grappe.
  • Cédric, je suis déso…
  • J’en ai rien à foutre que tu sois désolée. J’ai pas que ça à foutre de me dire que je vais devoir rattraper tes conneries parce que tu crois me protéger. J’ai pas besoin que…

Elle me regarde comme un étranger. Et je réalise, qu’une fois encore, je me suis emporté. Pas comme hier avec Maud. Mais ça ne me ressemble tellement pas de craquer comme ça, que c’est tout comme. Je me passe une main sur le visage.

  • Merde… Je suis désolé, je souffle. Je suis sur les nerfs en permanence en ce moment. Je dois gérer trop de trucs. Je… Écoute… Je sais que tu veux bien faire, mais… Juste… Te mêle pas de ça. Pas comme ça. S’il te plaît.
  • Ok. Tu sais où me trouver si tu changes d’avis.

La sincérité qui transparaît dans sa voix me rassure. Je ne suis pas fier de moi. Elle est toujours choquée, blessée. Mais au moins, le message est passé.

On retourne à l’intérieur sans un mot. Elle file vers la salle, reprend son plateau comme si rien ne s’était passé. Moi, je retourne derrière le comptoir, là où je suis censé maîtriser quelque chose.

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