Chapitre 17 - Partie 5
Le service du midi est calme, sans être vide. Quelques habitués, quelques travailleurs de passage. Deux sirops, une blonde pression, un café allongé, un virgin mojito. J’aligne les verres, passe un coup d’éponge entre deux commandes, remets un citron vert dans le bac à fruits. Tout roule. Ou presque.
De temps en temps, je jette un oeil à l’extérieur. à Maud assise en terrasse. Son ordinateur ouvert devant elle, un carnet à moitié griffonné posé à côté. Elle tape, s’arrête, relit, recommence. À côté d’elle, un thé glacé qui doit être tiède depuis le temps. Elle est là, concentrée, plongée dans son monde. Cliente modèle.
Je suis surpris de la voir si loin du comptoir. Je m’attendais à ce qu’elle s’y installe, comme hier soir. Pour maintenir le lien. Mais depuis mon départ précipité ce matin, elle évite même mon regard. Je ne sais pas si cette distance soudaine est une bonne ou une mauvaise nouvelle.
Au fil des heures, la salle s’est vidée. Les dernières tables ont été débarrassées, les verres rincés. Le calme revient, flottant, presque irréel après le rythme discret mais soutenu du service.
Je passe un dernier coup de chiffon sur le plan de travail avant de m’étirer. Mes épaules sont tendues, comme si j’avais porté plus que des bouteilles ce matin.
- Bon, c’est fini pour ce midi ! A tout à l’heure.
- Ciao bello !
J’attrape ma sacoche, contourne le bar et me dirige vers Maud. J’ai besoin des clés de l’appart. Ce sera l’occasion de voir comment elle se comporte. Je m’approche et la découvre endormie. Après la nuit qu’on vient de passer, une sieste ne me ferait pas de mal à moi aussi.
Je pose une main sur son épaule afin de la réveiller en douceur. Elle sursaute avec un hoquet de surprise, croise les bras devant son visage et ses jambes devant son ventre, comme si j’étais sur le point de l’attaquer. Dans la violence de son geste, elle envoie valser la table, explosant son contenu sur la terrasse. Le bar tout entier se tourne vers nous.
- Oh merde, merde, merde. Je suis tellement désolée, bredouille-t-elle en commençant à ramasser les morceaux de verre éparpillés.
Jona arrive rapidement pour l’aider. Moi ? Je suis trop choqué pour bouger. Est-ce que c’est mon contact qui l’a faite réagir comme ça ? Une autre idée plus sordide me traverse l’esprit. Elle m’a vue deux fois agir sous l’impulsion de la colère. Coup sur coup. Est-ce que ce que je craignais a fini par arriver ? Est-ce que l’alcool l’a finalement éloignée de moi ? Est-ce qu’elle me voit différemment ?
- Je rembourserai le verre et les dégâts de la table, continue-t-elle.
- Non ti preoccupi. Tu n’es pas blessée ?
Ça devrait être ma réplique.
- Non, tout va bien. Zed ? Je ne t’ai pas fait mal ?
- Moi, ça va.
Toujours sous le choc, je regarde mon collègue offrir son aide à Maud à ma place.
- Je… Je voulais juste te demander les clés de l’appart, je bredouille.
- Oh. Oui, oui, bien sûr. Les voilà.
Elle est encore à genoux à même le sol et me tend les clés. Le regard toujours un peu affolé. Les doigts tremblante. Je m’accroupis à ses côtés. Redoutant sa réaction. Timidement, je prends sa main dans la mienne.
- Tu es sûre que tout va bien ? je souffle, soulagé qu’elle se laisse faire. Est-ce que…
Est-ce que tu as peur de moi après hier soir ? Est-ce que moi j’ai cassé quelque chose ?
- Est-ce que c’est moi qui…
Un éclair de compréhension passe dans son regard. Elle sent ma peur. Pas sa raison, heureusement. Mais ça suffit. Elle pose une main sur ma joue.
- Non. C’était juste un cauchemar. Ça va. Je ne voulais pas te faire peur.
Encore une fois, c’est ma réplique. Mais je n'ai pas le temps de prononcer un mot. Je l'attrape et la prends dans mes bras. Pas une étreinte hâtive ou retenue. Une vraie. Lente. Franche. Pleine. Comme avant. Peut-être même plus.
Je respire à fond. Un grand shot de pivoine et d'amande. Elle ne dit rien. Mais elle ne s’éloigne pas non plus.
Je ferme les yeux, l'embrasse sur la tempe. Spontané. Incontrôlé. Inévitable. Je ne veux pas penser à ce que je montre à mes collègues. Ni à ce que mon geste avoue.
- Je vais rentrer, je murmure.
Elle hoche la tête, sans me lâcher tout à fait.
Quand je me recule enfin, je prends ses deux mains dans les miennes, les embrasse l’une après l'autre. Et cette fois, je pars.
Pas parce que je fuis - bon, si, un peu. Mais surtout parce que j’ai besoin de respirer.
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