Chapitre 18 - Partie 1
Je rentre, claqué, mais pas encore à plat. Je lâche mon sac dans l’entrée et vais direct dans la cuisine. Je sors un filet de poulet, une barquette de champignons, un citron vert et quelques herbes du frigo. Je commence par mariner le poulet dans un mélange de yaourt, citron vert, cumin et un peu de sel.
En attendant que ça imprègne, je coupe les champignons en lamelles, je les mets à sauter à la poêle avec un filet d’huile d’olive et une gousse d’ail. Je me fais aussi une petite salade avec les légumes de la cueillette : du concombre, des tomates cerises, un peu d’oignon rouge. Simple, mais efficace. Comme j’aime.
Une fois que le poulet est bien doré, je me cale à la table et j’attaque. Chaque bouchée me file un coup de boost. La cuisine, ça vaut pas le Gin, mais ça me calme quand même pas mal.
Après ça, je mets un short et mes écouteurs, lance une playlist un peu motivante, prêt à me défouler. Je commence par m’échauffer, des rotations, des étirements. Ensuite je me fixe un nombre précis de série - sept - et les exercices du jour : pompes, abdos, planches, fentes, squats, burpees. J’enchaîne sans pause, le souffle court, le corps qui brûle. Parce que ça me vide la tête. Et que, pour le moment, il vaut mieux que je me rabatte sur ça que sur l’alcool.
Au milieu d’une série de pompes, je sens que quelque chose a changé. Je tourne la tête et j’aperçois Maud dans l’entrée. Je continue de pousser sur mes bras, attendant qu’elle referme la porte. Mais elle ne bouge pas d’un pouce.
- Tu comptes rester plantée dans l’entrée encore longtemps ? je souffle.
- Pardon, je… je ne voulais pas te déranger.
Je me laisse tomber sur le côté dans un soupir, roule sur le dos.
- Tu me déranges pas.
Je mets ma musique en pause et la regarde à mon tour. Et je comprends qu’elle ne fait pas que me fixer. Elle matte. Et même si ça me flatte, ça me gêne aussi. J’essaie de le lui faire comprendre un peu subtilement :
- T’as l’air ailleurs. Ça va ?
- Je suis crevée. J’aurais bien fait une sieste, mais…
Son regard dérive vers le canapé. Inaccessible vu que je suis en pleine séance.
- Prends mon lit.
Si me trouver à moitié nu au milieu du salon l’a choqué, ce n’est rien à côté du regard qu’elle me lance maintenant.
- Tu es sûr ?
- Bof, tu me le piques tout le temps chez mes parents, je minimise. C'est pas très différent. Tant que je ne suis pas là, tu peux y aller.
Elle hoche la tête, presque imperceptiblement et se range à ma proposition. Je reste au sol une seconde de plus, les bras en croix, le souffle court. Puis je me redresse, relance la playlist. Pas question de couper là. Encore trois séries.
Je reprends lentement, mais sans tricher. Les abdos me brûlent. Les cuisses aussi. Mes poignets commencent à lâcher. Je serre les dents. J’enchaîne. J’irai jusqu’au bout.
Quand je termine enfin, je m’écroule. Mes muscles vibrent, tremblent encore sous l’effort. La sueur me colle au front, au torse, au dos. J’ai le corps en miettes. Parfait. C’est ce que je voulais.
Je reste au sol encore un moment, puis je me lève, passe rapidement une serviette sur ma nuque trempée. Je récupère ma bouteille, bois au goulot, et passe aux étirements. Mollets, cuisses, épaules, dos. C’est pas le moment de finir en vrac. À chaque mouvement, je sens les muscles tirer, protester. Signe que c’était une bonne séance.
Je me redresse lentement, bras tendus derrière la tête. Mes trapèzes souffrent. Je jette un œil vers la porte de la chambre. Elle prend toute la place dans mon champ de vision. Et, mine de rien, dans ma tête aussi.
Maud. Dans mon lit. Je sais que c’est temporaire. Et pourtant, ça me fait tout drôle. Ça me plaît un peu trop.
J’essaie de ne pas faire de bruit. C’est con, mais j’ai pas envie de la déranger. Pas envie de rompre… je sais pas, ce calme qu’il y a là, d’un coup.
Je traîne un peu des pieds jusqu’à la salle de bain. L’eau chaude me tombe dessus comme une couverture. Mes muscles remercient. Mon esprit, lui, reste accroché à cette chambre à trois mètres de là.
J’essaie de ne pas trop y penser. Mais évidemment, j’y pense. À la façon dont elle m’a regardé tout à l’heure. A moitié surprise, à moitié excitée. Pour l’avoir déjà surprise durant une de ses sessions, j’imagine très bien ce qu’elle avait en tête. La sensation de voyeurisme. L’envie de continuer de regarder. La tentation de venir palper les muscles en mouvement. Et, bien sûr, les fantasmes sexuelles liés au corps de l’autre dans des activités tout aussi éreintantes.
En sortant de la douche, je me regarde dans le miroir. J’ai les traits un peu tirés, les cernes un peu marquées. Pas dramatique, mais je vois que je dors pas assez. Que je cogite trop. Je me sèche en vitesse, enfile un boxer propre et des chaussettes. Puis je réalise que je n’ai pas anticipé. Mes affaires sont restées dans la chambre.
Je repasse dans le salon. Il fait calme. La lumière baisse doucement dehors. Mon regard glisse encore une fois vers cette foutue porte. Je pèse le pour et le contre - rentrer prendre des vêtements propres, risquer de la réveiller en sursaut et affronter son corps paisible dans mon lit; ou remettre mes affaires de la veille, la laisser en paix et rester à bonne distance de cette intimité chargée de tension.
Finalement, j’opte pour la propreté. Elle dort. C’est la fiancée de mon frère. Je ne vais pas lui sauter dessus.
Je pousse doucement la porte. L’air est tiède, la lumière du salon filtre juste assez pour deviner sa silhouette, roulée en boule sous les draps. Son souffle est lent, un peu irrégulier.
Je m’avance à pas feutrés, évitant de faire craquer le parquet. J’attrape à l’aveugle un jean, une ceinture, une chemise. Chaque froissement me fait retenir mon souffle. Puis je me détourne. J’ouvre la porte du salon avec précaution, referme derrière moi avec la même délicatesse, pour ne pas briser ce silence fragile.
Je m’habille, attache mes boutons mécaniquement. J’enfile mes chaussures en silence, assis sur le bord du canapé. Pas un mot, pas un bruit. Je récupère mon portefeuille, mon téléphone, les clés.
Merde… Les clés…
Je n’ai qu’un seul jeu. Jusqu’à maintenant la question ne s’est jamais posée. Celui qui partait les laissait dans l’appartement. Parce que celui qui restait était éveillé. C’était simple. Mais là, elle dort. Et je pars.
Si je les prends, elle sera enfermée. Si je les laisse, je devrai partir en laissant la porte déverrouillée. En revenant de la plage, l’autre jour, elle m’a signifié qu’elle ne se sentait pas en sécurité dans ces conditions. “N’importe qui aurait pu rentrer”. Je pourrais la réveiller, mais elle a vraiment besoin de dormir, elle aussi.
Il faudrait que je demande à Matteo ou Jona s’ils ont un double quelque part. Ça sera plus simple si on doit vivre ensemble.
Non mais, ça va pas ou quoi ?
Je me gifle. Vraiment. Elle dort dans mon lit, oui. Mais, on ne vit pas ensemble. C’est pas ça notre relation. Elle est là pour quelques jours, tout au plus. Juste le temps qu’elle se rappelle que je ne suis qu’une parenthèse. Un fantasme flou.
Rien d’ancré. Rien qui dure.
Je griffonne un mot à la va-vite sur un post-it et le colle sur le comptoir de la cuisine.
Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi. Je garde un œil sur mon téléphone. À tout à l’heure.
Je reste figé un instant à le regarder. C’est con. Ça fait presque billet doux. Je secoue la tête, attrape les clés, ferme derrière moi. C’est la moins pire des options.
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