Chapitre 18 - Partie 2

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J’arrive au bar sans me presser. Les mains dans les poches. L’air est encore chaud, les rues tranquilles. Un mercredi soir comme les autres. Le projecteur du bar retransmet un match de foot sans grand enjeu. Je crois que c’est un match amical ou un fond de classement. Rien qui attire les foules.

J’aime bien les mercredis. Pas de pression, pas de débordement, pas de cris d’anniversaire ou de concours de shots. Juste quelques habitués, un couple au fond, deux potes au plus près de la toile de projection qui commentent le match plus pour le plaisir de râler que par intérêt réel.

Je passe derrière le comptoir, salue vite fait Jona qui finit son service du jour et m’annonce en baillant que je suis tranquille ce soir. Je suis rejoint peu de temps après par Matteo :

  • Great news : the toilet has been fixed !
  • Nice ! What was wrong ?
  • Plumber says someone stuffed them with…

Il secoue la tête, lève trois doigts pour compter :

  • Paper towels, plastic straws, chicken bones.
  • Chicken bones? je répète, incrédule. Sounds like sabotage to me.
  • Yeah… Keep an eye around tonight. I’ve already spread the word with the others.

Je hoche la tête, et il file donner un coup de main en salle. Je soupire et commence à travailler. Je rince des verres, essuie une goutte sur le zinc, remplis un bol de cacahuètes. J’ai la playlist en fond - du groove tranquille, du genre à accompagner une bière sans faire d’ombre à la discussion. Deux nouveaux clients entrent. J’accueille, je sers, je souris. Les gestes sont automatiques, huilés. Tout roule.

Je sors mon téléphone. Rien. Je le repose. Dix secondes. Je le reprends. Aucune nouvelle. Je le verrouille, le déverrouille. Vérifie que le mode silencieux est bien désactivé. Re-vérifie. Elle dort, voilà tout. C’est normal. Mais je garde l’appareil en main. Je veux juste… être là. Au cas où.

Vers 21h, mon ventre commence à gronder. J’attends une accalmie. Deux clients règlent leur note. Un autre passe commande d’un thé. Parfait.

Je fais un crochet par la cuisine. Elle sent les herbes grillées, la viande, le pain chaud. L’odeur me fait saliver instantanément. Alexis est là, concentré, comme toujours. Il sourit de toutes ses dents en me voyant.

Je mime un sandwich. Il forme un cercle avec ses doigts, lâche un “ok”. Puis, il ouvre un bac et en sort une boule de burrata. Puis quelques tomates séchées, une cuillère de pesto, une poignée de roquette. Il assemble ça en silence, tout est fluide, rôdé. Rapide mais soigné.

Je le regarde faire, appuyé contre le chambranle.

  • T’es un putain d’artiste, je murmure pour moi-même.

Il ne comprend pas, évidemment. Mais il devine le ton, me répond d’un petit sourire sans lever les yeux.

Quand il me tend l’assiette, je le remercie d’un hochement de tête. Pain encore chaud, burrata qui commence à couler, herbes fraîches sur le dessus. Minimaliste, mais putain de bien fait.

J’embrasse mes doigts, comme un gros cliché italien. C’est naze mais au moins, il comprend l’intention. Il sourit encore plus, me fait un signe de la main et retourne à son plan de travail et ses commandes.

Je ressors en grignotant déjà une bouchée. Le pain est croustillant, la tomate un peu tiède. C’est top. Je retourne derrière le comptoir, pose l’assiette à côté de mon téléphone.

Pas de notification.

Je mâche lentement, les yeux sur la salle. Un client veut une IPA, un autre râle sur le match. J’acquiesce à moitié, répond de travers. Je suis là sans y être. J’ai l’impression de faire semblant de bosser. Mes yeux reviennent sans arrêt vers l’écran de mon téléphone. Toujours rien.

Je jette un coup d’œil à l’horloge au-dessus de la porte. 22h15. Matteo revient de la salle, essuie ses mains sur un torchon. Il jette un coup d’œil autour, soupire :

  • If this keeps up, we might as well close early tonight.

Je le regarde, un peu surpris.

  • Could be worse, je réponds. The toilet is fixed. We’ll do full house tomorrow. Thursday evenings are always crazy.
  • Let’s hope you’re right.

Il sourit, et retourne vers la salle. Je remets les mains dans les poches, fixe un instant le bar à moitié vide. Cette soirée s’étire, interminable, sans surprise.

Vers 23h30, Matteo revient derrière le comptoir, un sourire un peu las aux lèvres.

  • Not much left now, just two clients.

Il jette un coup d’œil vers la salle où deux silhouettes discutent tranquillement, leur verre à moitié vide.

  • As soon as they pay and leave, we’re closing up.

Je hoche la tête, soulagé. Une fermeture plus tôt, ça voudra dire moins de fatigue demain. Je range les derniers verres, envoie un dernier coup d’œil à mon téléphone. Aucun changement. A part peut-être ma batterie que j’use à force de vérifier.

Le bar se vide doucement, la musique baisse d’un ton. Une fois le dernier verre posé, les lumières s’éteignent, on verrouille la porte. Chacun part de son côté, fatigué mais prêt à couper enfin la journée.

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