Chapitre 19 - Partie 1

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Onze heures cinquante.

Je sors difficilement du sommeil, les draps en boule au pied du lit. J’ai la tête en vrac et une douleur sourde derrière les yeux. Comme une gueule de bois, sans l’alcool.

Après ce qui s’est passé hier - le baiser, la masturbation -, je suis censé me lever et faire comme si de rien n’était ?

Je pousse un soupir rauque et m’assois au bord du lit. J’ai du mal à mettre un mot sur ce que je ressens. Frustré ? Coupable ? Juste paumé ? Je tends l’oreille. Rien. Pas de mouvement, pas de musique, pas même le bruit de l’eau qui coule. L’appartement est étrangement silencieux. Et ça ne me rassure pas.

Je reste immobile un moment, le coeur battant, la gorge nouée. Je ne sais pas comment la regarder. Je ne sais même pas comment me regarder. Finalement, je me lève, enfile un t-shirt. J’hésite une seconde devant la porte. Je redoute de la trouver assise sur le canapé. Que ses yeux me confirment qu’elle sait ce que j’ai fait hier. J’ouvre doucement, presque à contrecœur. Personne. Le canapé est défait, sa valise encore ouverte au pied. Mais elle ? Disparue.

Je passe aux toilettes, me lave le visage à l’eau froide en espérant que ça dissipe le brouillard et les remords. Spoiler : ça ne marche pas. J’ai du mal à l’admettre, mais ça me fait quelque chose de ne pas l’avoir trouvée sur mon canapé. Ça me dérange. Parce que je ne sais pas pourquoi elle est partie. C’est à cause du bar, hier ? De cette nuit ? Ou est-ce que je vois des signes là où il n’y a rien ?

Je me traîne jusqu’à la cuisine et mets en marche la cafetière. Je tire une chaise haute et je remarque le post-it sur le comptoir. Juste quelques mots.


Je serai avec Jona toute la journée. Je passerai au bar ce soir pour récupérer les clés.
– M

Mes doigts se crispent instinctivement sur le dossier. Avec Jona. Je relis. Encore. Chaque lecture sonne un peu plus comme une claque. Comme si “Jona” allait soudainement devenir “mon copain”. Et moi “personne”. A nouveau. En pire.

Non. Elle est avec Nate. Elle est fiancée. Il ne se passera rien entre eux. Arrête de te faire des films.

Je prépare le reste de mon petit déjeuner. Deux tartines à peine grillées, du beurre à moitié fondu, et une banane un peu trop mûre.

Rien d’excitant. J’avale tout sans vraiment m’en rendre compte, les yeux dans le vague. J’essaie de me convaincre que tout va bien. Je fous ma tasse et mon couteau au lave-vaisselle et je décide de jouer à HOTS. Une partie ou deux. Pour me vider la tête.

Je lance le jeu. L’écran d’accueil clignote. Je clique. Je choisis Genji. La partie commence. Et à peine le chrono lancé que mon esprit repart ailleurs.

Ils deviennent vraiment proches, ces deux-là. Est-ce qu’elle va lui parler d’hier ? Est-ce qu’elle se rappellera seulement ce que j’ai fait vu qu’elle dormait ? Et pour après, rien ne dit qu’elle m’a entendu. Si ça se trouve je me prends la tête tout seul.

Je regarde vite fait mon téléphone. Pour vérifier qu’elle ne m’a pas écrit. On sait jamais… Aucun nouveau message.

Je rate un ultime. Mon héros meurt. Je m’énerve tout seul. Je déverrouille mon portable, pas de notification. Je retourne à mon jeu, l’écran affiche “Défaite”. Je me frotte le visage avec les deux mains. Relance une autre partie.

Les heures filent. Victoires, défaites, je ne fais même plus la différence. Je joue pour tuer le temps. Pour éviter de me demander quand je suis devenu un mec qui compte les heures qu’une fille passe ailleurs.

Je finis par lâcher la souris. J’en peux plus de tourner en rond comme un con. J’ai la nuque tendue, les doigts crispés, même ma vue tremble. Je me lève. Machinalement, je vais jusqu’au placard du salon. Et je me rappelle qu’il est vide. Que je ne l’ai pas rempli volontairement. Qu’elle soit partie faire je ne sais quoi avec Jona, ça ne change rien. Pas question de boire tant qu’elle est là.

Mais ça me démange. Littéralement. Mes doigts me piquent. Des fourmillements insupportables.

Pas de Gin ? Ok. On va se cramer autrement.

Je me change en vitesse et je balance une playlist dans mes écouteurs. Je replie le canapé, repousse la valise de Maud contre le mur. J’attrape ma barre de tractions portable et mon tapis. Et je pars pour sept nouvelles séries.

Mon souffle devient plus court. Mes muscles brûlent. Les picotements disparaissent. Mais c’est pas assez pour faire taire les voix.

Pourquoi elle veut passer du temps avec lui ? Qu’est-ce qu’ils font ? Est-ce qu’il la regarde comme moi je n’aurais jamais le droit de le faire ?

Je pourrais envoyer un message. Lui demander si tout va bien. Mais j’ai pas envie d’avoir l’air inquiet. Encore moins jaloux. Alors je ne fais rien. Je serre les dents et je m’épuise à la place. J’enchaîne plus vite. Plus fort. Je veux que ça fasse mal, que ça efface tout le reste.

Quarante-cinq minutes plus tard, je m’effondre sur le tapis, le cœur en feu. J’ai les bras en compote, l’envie est passée. Pour le moment. Elle reste là. Tapie. En veille.

Je file sous la douche. L’eau glacée d’abord, puis brûlante. Je ne veux pas qu’elle aille ailleurs. Parce qu’elle est fiancée. S’il y a une autre raison, il faut que je l’ignore.

Je coupe l’eau, attrape la serviette et je me regarde dans le miroir. Pas mieux qu’avant. Juste un type trempé, paumé… et toujours en manque. Pas forcément d’alcool.

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