Chapitre 19 - Partie 2

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Je ressors de la salle de bain, une serviette encore autour du cou, les cheveux trempés. J’aperçois sa valise qui dépasse du canapé. Rabattue, mais toujours ouverte. Ses fringues débordent de partout. Comme si elle allait repartir d’un moment à l’autre. C’est ce qui est prévu. Mais c’est pas pratique. C’est toujours dans le passage, ses fringues traînent à moitié dehors.

Je pourrais lui faire un peu de place. Juste une étagère dans l’armoire. Histoire qu’elle puisse ranger ses affaires au lieu d’avoir tout roulé en boule. Ça ferait moins foutoir.

C’est pas comme si je lui proposais d’emménager. C’est juste une question de rangement. Du bon sens. Et puis, elle a pas l’air décidée à partir, alors ça sera plus simple, non ? Elle aura plus à fouiller dans sa valise tous les matins. Ce serait juste… plus net. Voilà.

Je hoche la tête pour moi-même. Puis je vais dans ma chambre, ouvrir l’armoire. Je regarde mes piles. Je pourrais facilement en resserrer deux ou trois. Vider une niche.

Je me mets à plier, décaler, empiler plus serré. Je vire un vieux sweat troué et deux t-shirts que je mets jamais. Et voilà. Un étage libre. Je recule d’un pas. C’est pas très grand, mais largement suffisant pour caser les trucs qu’elle a ramenés.

La porte d’entrée claque. Je jette un œil. C’est elle.

  • Salut.
  • Salut.

Un blanc. On se jauge. Un de ces silences gênés qu’on cumule depuis quelques jours. Je ne sais pas trop comment aborder le sujet alors autant y aller direct :

  • Euh… Je me suis dit… Si tu veux… Peut-être que tu peux mettre tes affaires dans une de mes étagères ? Ça éviterait qu’elles trainent partout.
  • Oh… C’est gentil, merci. Je gèrerai ça plus tard.

Elle évite mon regard et avance droit vers le canapé.

  • Je viens juste chercher mon ordi, je vais travailler chez Jona.

Encore Jona. Je cligne des yeux, une sensation désagréable dans la gorge.

  • Tu vas chez lui ? Tu ne peux pas bosser ici, ou au bar plutôt que… chez un autre mec ?

Elle s’arrête et me fixe.

  • Ça te gêne ?

Elle n’est pas tendue ou en colère. Juste… surprise.

  • Je m’inquiète, c’est tout, je dis. Tu es fiancée.

Elle reste silencieuse quelques secondes, puis elle hausse les épaules.

  • A tes yeux, peut-être. Mais pas pour moi, assure-t-elle en attrapant sa sacoche. Bref, si tu me cherches, je suis à côté.

Elle franchit la porte dans l’autre sens. Et je reste planté là. L’estomac noué. Comme si elle avait emporté un truc en plus de son ordi.

Il me reste environ trois heures avant ma prise de poste. Je me remets sur mon pc. Pas pour le plaisir. Pas pour m’amuser. Juste pour me flinguer le cerveau jusqu’à ne plus penser. Je reprends un assassin. Quelqu’un qui tape vite, fort, sans réfléchir. Pas besoin de stratégie, juste foncer dans le tas.

La partie démarre. Je clique, j’esquive, j’attaque. Tout s’enchaîne vite. C’est censé me happer. Pourtant au bout de quelques minutes, mon regard glisse vers le mur entre eux et moi. J’ai presque envie de coller mon oreille contre le mur. De tendre l’oreille pour attraper un mot, un souffle, un son de voix étouffé.

Quelque chose qui me dirait ce qu’ils se disent. Ou ce qu’ils font. Mais je me sens con rien que d’y penser.. C’est Maud. Pas une fille de passage que Jona traitera comme un de ses coups d’un soir. Je me replonge dans la partie. Et celle d’après. Et la suivante. Mais c’est plus fort que moi : je n’arrive pas à me concentrer.

Je décide d’aller faire un saut rapide au supermarché du coin. Pas besoin de grand-chose, juste des œufs bio, des champignons frais, un bouquet de persil et un petit fromage de chèvre. Je choisis avec soin, jaugeant la fraîcheur, le parfum, la texture. Je prépare le terrain pour mon autre exutoire.

De retour chez moi, je déballe mes courses. Je taille fin les champignons, hache le persil, bats les œufs avec une pincée de sel et un filet de crème. Dans la poêle chaude, ça crépite, ça embaume. Je glisse les champignons avant de verser les œufs, puis le fromage qui fond doucement.

L’omelette prend forme, moelleuse et légère, relevée juste ce qu’il faut. J’en fais suffisamment pour deux. Dès fois que Maud rentrerait. Je finis mon assiette et je filme le reste avant le mettre le tout au frigo.

Puis je passe en mode travail. Pantalon noir, t-shirt assorti, “l’uniforme du boultot”. Je jette un œil à l’heure. Toujours pas de message de Maud. Ni d’appel. Il faut que je lui file les clés. Mais elle n’a pas l’air prête de rentrer. Ça devient ridicule ce casse-tête logistique.

Il manquerait plus qu’elle dorme chez lui. Et que ce soit parce qu’elle n’a pas les clés de chez moi. L’idée du double devient de plus en plus tentante.

Je soupire, attrape les clés, mon sac et sors de l’appartement. Deux pas plus tard, je frappe à la porte d’à côté. Bien évidemment, c’est Jona qui ouvre.

  • Ciao, gattino !

Je laisse couler le surnom que je ne comprends même pas, mais qui est sûrement douteux.

  • Salut. Je voulais donner les clés de l’appart à Maud.
  • Ah. Ok, elle est sous la douche.

Sa réflexion me foudroie.

Qu’est-ce qu’elle fout dans sa douche à lui, bordel ?

  • En tout bien, tout honneur, précise-t-il. D’ailleurs, faudra que je passe chez toi pour lui prendre des affaires. Sauf si t’es ok pour qu’elle sorte de chez moi à moitié nue.

Je lui tends les clés, fais un pas pour partir, puis je me ravise.

  • Au fait… T’as pas un double des clés quelque part ? De chez moi je veux dire.

Il fronce légèrement les sourcils, l’air de se demander où je veux en venir.

  • Oui, j’ai un jeu complet. Pourquoi ?

Je prends une grande inspiration, calme, posé. Ou en tout cas j’essaie de l’être.

  • Je me dis que ça serait peut-être plus pratique pour Maud. Qu’on ait pas à faire l’échange ou qu’on s’attende l’un l’autre. On pourrait partir et rentrer quand on veut. Ça serait plus simple.
  • Oh. Le mien je le garde par sécurité. Mais fais-lui un double si tu veux.

Il me lance un petit sourire. Pas moqueur. Pas gentil non plus. Un truc neutre. Presque professionnel. Comme si c’était juste une histoire de clé. Mais je sens qu’il en sait assez pour choisir de se taire.

Je lui adresse un signe de tête, tourne les talons et descends les marches deux par deux. Pas le temps de me prendre encore la tête. Direction le boulot.

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