Chapitre 23 - Partie 1

7 minutes de lecture

  • Je peux te poser une question un peu indiscrète ? Et tu as le droit de me dire que tu ne veux pas répondre !
  • Je ne répondrai qu’en présence de mon avocat, je plaisante.

Elle m’enfonce un doigt dans les côtes en guise de punition.

  • Rien d’aussi grave, ne t’en fais pas. Je me demandais… C’est quoi ce symbole ?

Ses mains papillonnent sur ma cuisse. Elle doit parler de mon tatouage.

  • Bof, rien d’important.

Elle me jette un oeil narquois, pas dupe.

  • Ça vient d’un jeu de cartes. Le but du jeu c’est de faire perdre tous ses points de vie à l’adversaire. Pour ça, tu vas faire s’affronter des créatures mais pour les utiliser tu dois avoir un certain nombre de mana - d’énergie - à disposition. Tu l’as via les terrains. Il y a plusieurs types de terrains et ils ont chacun un symbole. Là, la flamme, c’est le symbole des montagnes.
  • Du feu pour la montagne ?
  • Ouais, moi je le vois plus comme un genre de volcan. Les cartes que tu joues avec ce type sont plutôt offensives. C’est des decks de bourrins, je rigole. Mais t’es pas obligé de jouer qu’un seul type. Tu peux faire des combinaisons avec les autres. Le soleil c’est plus le heal, la forêt c’est du tank - c’est pour ça qu’ils ont mis le feu pour la montagne je pense -, avec l’eau tu vas avoir des bonus personnels, les crânes des malus pour les adversaires… et après tu peux avoir des terrains doubles… Bref, y a aussi des cartes sorts et des artéfacts et d’autres trucs pour faire des combos. T’as plein de stratégies et y a pas une bonne méthode pour gagner.

Elle me regarde attentivement et essaie d’intégrer tout ce que je lui raconte.

  • Si ça t’intéresse vraiment, j’ai des decks avec moi. Je pourrais te montrer.
  • Avec plaisir, sourit-elle. Mais du coup, pourquoi le feu ? Je veux dire : pourquoi avoir choisi ce symbole et pas un autre ?
  • C’est le mana avec lequel je préfère jouer. C’est avec ça que j’avais construit mon tout premier deck. J’ai vraiment passé des heures à jouer à ça au lycée. Après, je me suis mis aux jeux en ligne.

Je m'interromps. Une sensation étrange me serre le coeur. Une image fugace traverse mon esprit. La salle polyvalente de mon lycée où on se réfugiait toujours avec mes potes entre deux heures de cours. Une table, un tapis de jeu et des cartes engagées dessus : montagnes de mon côté, îles et plaines en face. Un souvenir vacillant de visages et de rires partagés.

Le flash se dissipe aussi vite qu’il est venu. Je me passe une main sur le visage pour revenir à la réalité. Pour chasser ce pincement inexplicable et l’envie d’alcool qu’il provoque.

  • Tout va bien ? me demande Maud.

La perspicacité de Maud, dans toute sa splendeur.

  • Ouais, ouais. T’inquiète pas.
  • Tu sais que tu peux me parler, pas vrai ? continue-t-elle en se redressant. Quand tu veux. De ce que tu veux.
  • Je sais. Mais y a rien à dire. Vraiment, ça va.

Je lui souris. Même si je sais qu’elle va voir qu’il est faux. D’ici quelques minutes, ça ira mieux. Dès que cette sensation de vide aura disparu.

  • Et toi alors ? Ça représente quoi ce que tu as dans le dos ?
  • C’est moi qui l’ai designé, j’en suis super fière, sourit-elle. C’est… ma carte d’identité spirituelle. Il y a tout ce qui fait que je suis moi. Tu vois la forme globale ? continue-t-elle en me montrant son tatouage. C’est une flèche. Parce que j’irai toujours de l’avant. C’est aussi un signe de ma… dualité ? Je pense que je suis quelqu’un de doux et en même temps je peux être tranchante. La pointe, c’est le symbole alchimique de mon élément de naissance - elle rit - enfin, pour les gens qui croient à ces trucs-là. Pour compléter la flèche, j’ai mis ma fleur préférée. Les pétales deviennent les plumes. Ensuite, deux plumes d’aigle : dans mes noms, j’ai celui d’une tribu indienne. Elles symbolisent le respect, le courage, la sagesse. Les trucs dont je me suis relevée. Bref… Et pour finir, j’ai rajouté un demi flocon, pas besoin de te dire pourquoi, glousse-t-elle en levant les mains. Voilà…

Je caresse doucement les fameuses plumes.

Les trucs dont elle s’est relevée…

Je me demande si ça a un lien avec ses cauchemars. J’ai envie de lui poser des questions. Mais elle a presque esquivé le sujet. Elle a enchaîné tellement vite sur le flocon que je n’ose pas vraiment revenir dessus.

  • Et bah, je souffle. Je m’attendais pas à ça. A côté de ça, le mien fait presque pâle figure.
  • Pas du tout ! assure-t-elle en se retournant. Tant qu’il veut dire quelque chose pour toi, il ne peut pas faire pâle figure.

Son assurance m’amuse. Je glisse un doigt sous son menton et je l’embrasse. Un baiser rapide, simple, mais doux.

  • Je vais aller ranger tout ça.

Je me redresse, attrape le sac du petit déjeuner posé à côté. Elle me regarde avec ce sourire complice, profitant du moment tranquille. Une fois les restes du repas rangés, je reviens dans la chambre. Maud est toujours allongée sur le lit. Totalement nue.

  • Je pars bosser à 18h. Qu’est-ce que tu veux faire en attendant ? je demande.
  • Ça fait longtemps qu’on a pas fait une partie de HOTS. Ça te tente ?
  • Toujours !

Je mets vite fait mon pantalon et mon boxer. Je scanne la pièce à la recherche de mon t-shirt de la veille et je le trouve dans les mains de Maud. Elle l’enfile sans me demander. Comme si c’était évident qu’elle pouvait. J’aime bien l’idée qu’elle veuille porter quelque chose à moi. Et qu’elle le fasse presque instinctivement.

  • Jolie tenue, je commente.

Elle se blottit dans mon t-shirt avec un grand sourire. Comme si c’était son doudou. Adorable. Elle passe ensuite devant moi pour aller dans le salon. Sur son passage, je lui mets une petite tape sur les fesses. Elle me tire la langue en réponse et passe la porte.

Je me pose sur mon bureau et allume mon PC. Je l’entends arranger le salon pour s’installer. Elle a beau être dans la pièce d’à côté, je sais exactement ce qu’elle fait. Elle est certainement assise en tailleur sur le sol, le dos en appui sur le canapé.

  • Nova et Li-li contre le monde entier ? Me demande-t-elle alors que je lance le jeu.
  • Et comment !

Ces deux perso, c’est notre combo mortel. On lance une partie rapide. Il nous manque 3 joueurs dans l’équipe mais la salle d’attente est vite remplie.

Les champs de l'éternité. C’est parti.

Une fois l’écran de chargement passé, les autres joueurs de l’équipe commencent à se manifester dans le chat. Deux d’entre eux semblent plutôt sympas, mais je ne suis pas là pour me faire des amis. Je les salue sans plus et je me concentre sur le jeu. La partie démarre, j’avance sur la map. Fidèle à elle-même, Maud me suit comme une ombre. Suffisamment loin pour éviter les risques inutiles, mais assez près pour nous assurer une protection mutuelle efficace.

On élimine un ennemi, puis un autre. Presque sans effort. Leurs mouvements prévisibles ne nous inquiètent pas. Les claviers cliquètent, les stratégies se déploient, et malgré la distance, notre coordination est parfaite. Comme toujours. Chaque action est instinctive, fluide. C’est dans des moments comme ça que je me sens vraiment proche d’elle. Elle anticipe mes actions et ce qu’il me faut pour avancer. Je la protège et la garde au plus près de moi, prêt à intervenir.

L’équipe avance, et peu à peu, on prend le dessus. Les inconnus de l’équipe ne sont pas mauvais, mais c’est clairement nous qui dirigeons la partie.

  • Super ! Enfin un heal qui ne me laisse pas mourir !
  • C’est mon job d’être là pour toi, rit-elle.
  • Dis ça à tous les glandus avec qui j’ai joué l’autre jour et qui prenaient le heal juste pour le bonus d’XP.

On enchaîne les parties. Les minutes filent sans qu’on y pense. De temps en temps, je regarde vers le salon. Elle est toujours là, dans mon t-shirt, les jambes repliées, concentrée sur l’écran. Tout est fluide. Évident. Les vannes qu’on s’envoie quand on foire un sort. L’adrénaline quand on prend l’avantage - ou quand on se fait rincer. Les petits rires étouffés quand elle me vole un kill volontairement ou pas.

Notre dernière partie est magistrale. Une remontée improbable. Tendue. Haletante.

  • Et bam ! Qui c’est le patron ? je lance alors que je détruis à moi tout seul l’idole.

Maud éclate de rire. Je pousse un long soupir, laisse tomber mes mains sur le bureau, et fixe l’écran. MVP. Incontesté.

Elle passe la porte de ma chambre sans un mot, s’approche à pas feutrés, et enroule ses bras autour de mes épaules. Elle se colle à mon dos, dépose un baiser tendre dans mes cheveux.

  • Mon Vainqueur Personnel, murmure-t-elle.

Je souris, amusé. Je penche doucement la tête en arrière pour croiser son regard, puis glisse mes mains sous ses bras pour la rapprocher de moi.

  • Le seul qui te faut, j’affirme.

Nos lèvres se rencontrent, douces et complices.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire YumiZi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0