Chapitre 23 - Partie 5
Elle me tient serré contre elle. Sa voix, prévenante, tendre, me parvient à travers le brouillard du manque :
- Tu veux en parler ?
Non ! Jamais !
- C’est juste que… Tu m’as achevé, je plaisante.
Je m’écarte lentement. Ses yeux papillonnent sur mon visage. Elle m’offre un sourire doux, quoiqu’un peu inquiet. Elle qui était feu et insolence quelques minutes plus tôt. Elle n’est pas dupe. Mais elle ne me pousse pas.
Son regard dérive vers l’horloge du salon.
- Tu ne vas pas avoir le temps de manger…
Un court silence s’ensuit, puis elle ajoute :
- Tu veux que je te prépare un truc à emporter ?
Je secoue brièvement la tête, me replonge dans ses bras.
- J’ai pas faim.
Et c’est vrai. Parce que la vérité qui cogne, sèche sous mon crâne, c’est que j’ai soif. Et, pour la première fois, ça me fait honte.
- J’ai pas envie d’aller bosser.
- Je vois ça, dit-elle en enroulant ses bras et ses jambes autour de moi. Mais si tu n’y vas pas, on saura que ça a un lien avec moi. En soi, je m’en fiche. Mais je sais que toi, non…
Ses mains parcourent mon dos, me frottant en cercles lents et rassurants. Elle a raison, évidemment. Jona va déjà me cuisiner par rapport à hier, alors si j’arrive en retard… Sa bouche se pose à nouveau sur mon cou. C’est ridicule à quel point ce geste simple me désarme.
Elle murmure dans un sourire :
- Allez… Moi je vais devoir affronter un lit vide et froid sans toi. Chacun sa croix.
Un souffle m’échappe. Un rire discret, furtif. Je me recule un peu, juste assez pour croiser son regard. J’encadre son visage de mes mains. Je l’embrasse. Longtemps. Lentement. Et je rentre dans son jeu.
- Je t’aiderai à le réchauffer en rentrant.
- Mais j’y compte bien, réplique-t-elle avec un clin d’oeil.
Je me retire doucement de ses bras et traverse la pièce. Je me faufile dans ma chambre jusqu’à l’armoire.
Mes yeux tombent sur les quelques vêtements qu’elle a commencé à ranger sur l’étagère que je lui ai laissée. Ça me plait et ça me travaille aussi.
Je secoue la tête et j’attrape un pantalon, machinalement. J'essaie de faire abstraction de ce… truc qui m’agite encore en dedans. Pas l’attirance, pas le désir. Mais… ça, là. Cette sensation dans le ventre. Ce besoin de ne pas la laisser partir.
J’enfile mon jean, je récupère ma sacoche, la passe sur mon épaule, vérifie que j’ai mes papiers.
Et puis je repense à la clé. Au fait que je pourrais lui faire un double. J’essaie de ne pas penser à ce que ça sous-entend - que je l’invite à vivre ici. Avec moi.
Elle squatte depuis un moment, mais ça, ça rendrait les choses officielles. Ça me fout la trouille. J’ai jamais fait ça. J’ai jamais eu à faire ça. Jamais eu envie de faire ça. Si ça se trouve elle va dire non et j’aurais l’air con. Ou alors elle va dire oui parce qu’elle va voir ça comme un signe bien plus grand que ce que c’est.
Je prends un haut et sors de la chambre. Maud est au milieu du salon. Toujours dans mon t-shirt. Adorable et sexy.
Il faut que j’aborde les clés. Et je ne sais pas comment la regarder en faisant ça.
- Au fait… Je me disais…, je bredouille en agitant le porte-clés. Si ça te dit, je pourrais te faire un double.
Elle me regarde avec des yeux immenses. J’ai l’impression d’avoir dit une connerie. Alors je lui donne la même excuse qu’à Jona :
- Histoire qu’on arrête de galérer avec les horaires et les échanges entre deux sorties.
Elle s’approche sur la pointe des pieds. Je la laisse faire, figé, tendu, sans trop savoir si je dois fuir ou respirer. Et puis elle m’embrasse, du bout des lèvres.
- Tu es sûr ? Je ne veux pas te forcer la main. Ça ne me gêne pas que tu m'enfermes. Ni de t'attendre.
Putain.
Ses mots me retournent. Parce que je pige qu’elle ne parle pas juste de la clé. Elle parle de moi.
Et je suis sûr de vouloir lui faire cette foutue clé. Même si c’est mille fois trop tôt. Pas parce qu’il faut, pas pour faire bien. Mais parce que ça me plaît de ne plus rentrer dans un appartement vide. Parce que je voudrais essayer de ne pas me fermer. De ne pas lui imposer mon rythme, encore.
J’ai envie qu’elle reste. Pas parce qu’elle attend après moi. Pas parce qu'elle n'a pas le choix. Mais parce qu’elle l’a décidé.
Et plus que ça, j’ai envie qu’elle puisse revenir. J’ai envie de cette sensation : entendre le verrou tourner, la porte s’ouvrir et qu’elle vienne me trouver.
Je passe une main dans ses cheveux et pose mes lèvres sur son front.
- Moi ça me gêne. Bref, je sais pas encore quand j’aurai le temps de le faire faire, je m’excuse. Mais voilà… Je voulais t’en parler avant.
Elle ne dit rien de plus. Mais je sens son regard peser sur moi quand je m’écarte. J’enfile mon t-shirt, me baisse pour attraper mes chaussures. Je fais durer, histoire de me reprendre.
Quand je me redresse, elle est toujours face à moi. Je pourrais l’embrasser encore. Mais j’ai besoin d’un truc plus simple. Plus nous. Je tends la main, sans lever les yeux, je cherche la sienne. Minuscule et si froide. Et je reprends notre traditionnel baise-main. Ce geste-là, c’est un vieux point d’ancrage. Presque un rituel. Un repère. Et ça me donne la force de la regarder. La lumière dans ses yeux, la chaleur dans son sourire.
- Bonne chance avec le lit, je plaisante, un peu plus léger. A tout à l’heure.
Elle laisse échapper un souffle léger. Un demi rire. Et ça me suffit. Je relâche sa main, quitte l’appartement, verrouille derrière moi et descend les escaliers.
J’ai encore la sensation de ses doigts glacés entre les miens, de sa peau contre mes lèvres. Et étonnamment, ce frisson d’anticipation. Elle sera dans mon lit quand je rentrerai. A m’attendre. A partir de maintenant, c’est là qu’elle dormira. Avec moi.
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