Chapitre 24 - Partie 2
Juste à ce moment, un groupe de clients commence à s’énerver un peu trop fort.
Des regards échangés, des voix qui se font plus basses, plus dures. Un type, visiblement déjà bien éméché, hausse la voix, sa main claquant sur la table.
Pas de Matteo ce soir : c’est Jona qui tient la barre. Et apparemment il a repéré les emmerdes bien avant moi. Il surveille la scène du coin de l'œil. Tout son corps en alerte.
Et il a raison. Le ton monte vite. Une gifle claque. Puis l’autre répond. Ça part en bagarre. L’un d’eux grimpe sur la table pour prendre le dessus. Il rate sa prise, tombe et emporte tout avec lui : verres, bouteilles, cendrier, clopes encore allumées. Et puis tout s’embrase. Littéralement.
En un instant, les flammes lèchent la nappe, se répandent sur le sol et vers les autres tables. Un hurlement, un mouvement de panique. C’est le bordel.
Jona est déjà là, attrapant l’extincteur. Il gueule des ordres, Daphnée et Sofia organisent une évacuation express sur la place. Moi, je gère le bordel, j’essaie de calmer les clients qui paniquent. De ne pas penser à ceux qui en profitent pour se barrer sans payer.
Quand le feu est maîtrisé, une voix s’élève au-dessus du tumulte.
- Προειδοποίηση από τον Τιέρρυ !
Jona se redresse aussitôt, scanne la place mais l’homme a disparu. Il ne reste plus aucune flamme. La fumée commence à se dissiper. Mais l’odeur est atroce. Je reprends ma place derrière le bar. Certains clients reviennent peu à peu à leurs tables, mais la tension dans le bar est toujours palpable. Tout le monde chuchote.
Jona pose l’extincteur au sol, ajuste sa chemise trempée, puis s’adresse à la salle d’un ton calme, presque charmeur :
- Κύριοι, κυρία, συγγνώμη για την αναστάτωση αλλά θα πρέπει να κλείσουμε νωρίτερα. Σας παρακαλώ, ολοκληρώστε τα ποτά σας και περάστε από το ταμείο.
Je parle pas grec. Mais Daphnée attrape un TPE et quand les gens commencent à sortir leur carte ou à se rapprocher de la caisse, je comprends direct.
Jona se dirige vers les cuisines, pour jeter l'extincteur. Ou pour le planquer en attendant.
- C’était quoi ça ? Le truc que le gars a gueulé ? je demande quand revient.
- “Avertissement de Thierry”.
Un froid malsain remonte le long de ma colonne vertébrale. Ce n’était pas un accident. Et il est signé.
- L’enculé ! Faut aller chez les flics.
- On n’a pas de preuves, soupire-t-il. Même sur les vidéos on croirait à une simple bagarre qui a dégénéré.
- Les clients peuvent témoigner.
- Regarde-les, Cédric. La plupart sont soûls. Personne ne nous prendra au sérieux.
Merde. C’était un plan bien préparé.
Une fois que tous les clients ont réglé leur note, Jona renvoie l’équipe chez eux. Il retourne vers les restes des fauteuils et de la table carbonisée, commence à ranger. Je le rejoins sans même y réfléchir.
- Je vais te filer un coup de main.
Il secoue la tête, un sourire malicieux aux lèvres.
- Grazie gattino, mais t’as mieux à faire.
- Pas vraiment, non. Je suis censé bosser, là.
- Peut-être bien. Mais aujourd’hui, t’as une bonne raison de vouloir rentrer, non ?
Il a raison. Mais plutôt crever que de lui avouer. Alors je hausse les épaules et balance :
- La raison à laquelle tu penses est sûrement en train de dormir. Alors je reste. Que ça te plaise ou non.
Je vois une brève lueur traverser son regard, puis il hoche la tête. On s’active à déblayer et je l’aide aussi à ranger le bar. La fatigue commence à peser, mais je tiens. Je lui dois bien ça.
On n’échange pas un mot jusqu’à ce que tout soit clean. Même sur le chemin du retour. Arrivé sur le pallier, il pose une main sur mon épaule :
- Merci, mec.
- Pas de quoi. On se voit dimanche.
- Yes.
Il sourit tout à coup franchement et ajoute avec un clin d’oeil :
- Profite bien de la voiture.
Je le repousse amicalement et nous rentrons chacun de notre côté.
Dans mon appartement, la lumière tamisée éclaire le visage apaisé de Maud, endormie. Je me déshabille doucement, chaque mouvement mesuré pour ne pas la déranger. Je me glisse dans le lit à ses côtés, sans la toucher. Pour ne surtout pas la réveiller. Je reste juste assez près pour sentir sa présence. Je ferme les yeux et part en quelques secondes, empli d’une tendresse silencieuse.
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