Chapitre 24 - Partie 3
Un gémissement étouffé me tire du sommeil. Pas fort. Mais ça suffit pour me mettre en alerte. Il annonce pire.
Elle est couchée sur le côté, dos à moi. Même dans l’obscurité, je perçois la tension dans ses épaules. Ses poings fermés. Son souffle saccadé.
Je me redresse à peine, approche doucement.
- Maud…
Un autre gémissement, plus fort. Un cri qui ne franchit pas ses lèvres. Je pose une main légère sur son bras. Elle sursaute violemment. Cherche à fuir.
- C’est moi. C’est moi. Juste moi.
Sa peau est brûlante. Elle tremble de tout son corps.
Je glisse un bras autour d’elle, l’attire doucement contre moi. Elle se laisse faire. Elle s’agrippe même. Comme si elle tombait, et que j’étais la seule chose à quoi se retenir. Je cale ma joue contre ses cheveux. Son cœur bat à cent à l'heure.
Je pourrais lui demander ce qu’elle a vu. Contre quoi elle se battait. Mais je sais déjà qu’elle ne me répondrait pas. Alors je tente autre chose.
- T’as déjà entendu parler de rêves lucides ?
Elle ne dit rien. Mais elle bouge un peu la tête contre moi. Je prends ça pour un "non".
- J’ai lu ça quelque part. En gros, tu sais que t’es en train de rêver. Et du coup, tu peux reprendre un peu le contrôle. Ou te réveiller.
Je marque une pause, le temps qu’elle s’apaise un peu plus. Je sens son souffle ralentir, son dos se détendre, millimètre par millimètre.
- Je me disais que… peut-être… on pourrait glisser un truc dans tes rêves. Un signe. Un détail.
Elle ne parle toujours pas. Mais elle écoute. Ses doigts dessinent des cercles lents sur ma hanche. Une invitation à continuer.
- Un truc qui n’existe pas dans la vraie vie. Et si tu le vois, tu sauras. Que t’es pas en danger. Que c’est un rêve. Que tu peux t’en sortir.
Je baisse un peu la voix.
- Et que tu ne te bats pas seule. Même là-bas.
Elle bouge cette fois. Son visage se lève. Elle me regarde. Encore un peu floue, mais plus là. Présente. Connectée.
- Tu penses à quoi ?
Sa voix est rauque, abîmée par le cauchemar. Je hausse les épaules doucement.
- Ce n’est pas à moi de choisir. Ce doit être quelque chose qui vient de toi. Un symbole, une couleur, un objet… Un truc qui crie “ça, jamais je le verrai dans la vraie vie”. N'importe quoi qui te ramène là où tu te sens bien. À l'abri.
Elle réfléchit un instant. Puis souffle, presque inaudible :
- Un fil rouge autour de mon doigt ?
- Par exemple.
Il y a un silence. Puis sa voix, brisée :
- Et si… si ça ne marche pas ?
Je ferme les yeux. Cette question me broie un peu. Parce qu’elle pense déjà à l’échec. Parce qu’elle imagine encore qu’elle sera seule.
- Alors, je serai là quand tu te réveilleras.
Et je le pense. Même si elle ne veut pas m’en dire plus. Même si elle ne me laisse jamais voir son enfer. Je serai là. Toujours.
Elle se blottie contre moi. Je sais qu’à l’intérieur, elle est encore en miettes. Mais moins qu’il y a dix minutes. Et si ce fil rouge peut lui rendre un peu de pouvoir dans les horreurs qu’elle semble traverser chaque nuit… alors je voudrais qu’elle le sente en permanence. Cauchemar ou pas. Avoir l’autre extrémité de ce fil à mon doigt. Pour la ramener vers moi.
Je dépose un baiser dans ses cheveux et je veille. Jusqu’à sentir son souffle redevenir paisible. Jusqu’à ce qu’elle glisse à nouveau dans le sommeil.
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