Chapitre 26 - Partie 1

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Le trajet passe vite. Elle parle, s’endort un peu, se réveille en râlant de s’être endormie. Moi je conduis. Concentré sur la route. Sur elle. Sur ce que je m’apprête à lui montrer.

Quand j’emprunte le dernier chemin, elle redresse la tête et colle son visage à la fenêtre. La route est cabossée, la végétation plus dense. Le genre de coin paumé qu’on trouve sur aucune carte postale.

Je gare la voiture sous un arbre. On entend les cigales. Le vent. Rien d’autre. Elle sort, le visage illuminé.

  • Mais on est où, là ? demande-t-elle.

Je sors notre équipement, referme le coffre et lui tends son sac.

  • Pas encore arrivés. Suis-moi.

Elle arque un sourcil, mais elle suit. Je la sens vibrer d’excitation à chaque pas. Le sentier grimpe doucement, bordé de chênes et de pierres moussues.

On avance bien une demi-heure sur ce sentier, tranquille. Je jette régulièrement un œil à mes notes, histoire d’être sûr de ne pas me planter. Pas de panneau, pas de flèche, rien. Juste des repères que j’ai relevés sur d’anciennes cartes, des trucs écrits à la main, des indications vagues. C’est un vrai défi.

Maud, elle, s’arrête souvent, les yeux levés. Elle s’émerveille d’un vol de papillons blancs, d’un arbre couvert de mousse, d’une touffe de fleurs violettes poussée au pied d’un rocher. Maud, quoi.

Au bout d’un moment, je repère le point de départ pour quitter le chemin balisé. Je lui fais signe, et on s’engage dans un passage étroit, à peine visible, envahi par les buissons et les racines.

Je continue à consulter mes notes toutes les cinq minutes, à chercher des indices sur le terrain. L’endroit devient de plus en plus sauvage. On doit parfois écarter les branches, escalader de petites buttes rocheuses. Ça grimpe un peu, ça glisse, ça tire sur les mollets. Maud se cale juste derrière moi, sans aucun problème.

On fait une pause à l’ombre d’un vieux chêne tordu. Elle boit à grandes gorgées, les joues rougies par l’effort. Moi, je vérifie mes notes une énième fois pendant que le vent sèche un peu ma nuque. Elle ne sait toujours pas où on va. Mais rien que le fait qu’elle s’éclate, là, tout de suite, ça me remue. J’ai hâte qu’on arrive. Juste pour voir sa tête.

On finit par traverser une zone plus dégagée. Indomptée. L’herbe est haute, les arbres s’écartent à peine pour nous laisser passer. Parfois, je dois baisser la tête pour éviter les branches basses. Elle rit un peu, parce qu’elle passe dessous sans problème.

Et puis, après un peu plus d’une heure de marche, je repère un vieux pin tordu qui pousse à travers ce qui ressemble à une arche de pierre naturelle. Le passage dont m’avait parlé les clients.

  • Attends, je dis en me tournant vers elle.

Elle fronce les sourcils. Je tends la main.

  • Ferme les yeux.

Elle les plisse, au contraire.

  • Fais-moi confiance.

Elle hésite une seconde, puis obéit. Je prends sa main dans la mienne, fraîche et douce. Je la guide doucement, l’aide à franchir l’arche. Je me cale dans son dos, mains sur ses épaules pour l’ajuster pile dans l’axe.

Une clairière s’ouvre devant nous. Presque entièrement envahie par la végétation. Et pourtant on distingue les bases d’anciens murs, des colonnes brisées, une demi-statue de femme sans tête enfoncée dans la terre. Un reste de fresque sur une pierre couchée.

Pas ce qui m’intéresse vraiment. Alors je me décale, pour pouvoir observer ses réactions à elle.

  • Ok. Ouvre.

Elle s’exécute, reste figée. Puis elle murmure, presque pour elle :

  • Oh, wow…
  • Surprise, je souffle en embrassant sa tempe.

Elle se tourne vers moi, le regard émerveillé et fou.

  • C’est ce que je crois ?
  • Si tu penses à des ruines sauvages, alors oui.

Elle retire son sac à dos, se détache de moi et s’approche du site. Comme tirée par un câble invisible. Les yeux grands ouverts, comme si elle pouvait tout absorber. Elle contourne une colonne en ruine, lève la main, un peu tremblante, vers une inscription gravée sur un fragment de mur. Ses doigts s’arrêtent à quelques centimètres. Elle referme doucement la main, la ramène contre sa poitrine.

Sa voix est presque inaudible quand elle demande :

  • Comment tu as trouvé ça ?
  • C’est pas moi. C’est des clients qui m’en ont parlé une fois. J’avais pensé venir tout seul et t’es venue avant que j’ai eu le temps. Je me suis dit que ça te plairait.

Elle me regarde, et je jurerais qu’elle en a le souffle coupé. J’essaie de rester droit, impassible. Mais la voir, comme ça, c’est mieux que ce que j’imaginais. Je m’approche, je passe mes bras autour d’elle. Mon menton effleure sa tête, son odeur — pivoines, amande — m’accueille. Me fout la tête à l’envers, comme à chaque fois. Je me cale dans son dos. Elle baisse la tête, embrasse mon avant-bras. Je lance une connerie pour détendre l’atmosphère :

  • N’empêche… je comprends pas ce que tu leur trouves, à ces cailloux poussiéreux.
  • Il faudrait que tu sois dans ma tête pour comprendre.

Je ris franchement :

  • Non merci. Ça a l’air d’être un sacré bordel.

J’embrasse ses cheveux pour adoucir mes propos. Mais je sais que ma pique ne va pas la laisser de marbre. Elle me file un coup de coude et réplique :

  • Sale gosse…
  • Tu m’adores.
  • T’es tant même un sale gosse.

Et c’est toi qui dit ça…

Elle passe son temps à me provoquer, à jouer avec moi - pour mon plus grand plaisir - et elle me sort ça. La blague.

  • Je vais vous laisser entre vieux machins alors. Je vais aller nous installer un coin un peu plus loin.

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