Chapitre 29 - Partie 1
J’ouvre la porte et Maud apparaît dans mon champ de vision. Sagement assise sur le canapé. Mais y a un truc bizarre dans sa posture. Trop raide. Et ce regard un peu perdu qui ne lui ressemble pas.
Elle se redresse d’un bond et fonce vers moi. J’ai à peine le temps d’ouvrir les bras qu’elle s’écrase sur moi. Je la serre, immobile dans l’entrée. Elle colle sa tête contre moi, comme si j’étais un oreiller ou un abri. J’attends qu’elle parle. Qu’elle m’explique ce qui ne va pas.
- J’ai regardé un anime, chuchote-t-elle tout à coup. La musique me retourne à chaque fois.
Je ne peux pas m’empêcher de rire en silence.
- Quand je te dis que t’es trop émotive… C’est presque dangereux pour ton bien, j’ajoute en embrassant ses cheveux.
Je la chambre, mais ça fait partie de ce qui me plait chez elle. Elle s’écarte un peu, je pose une main sur sa joue et mes lèvres sur les siennes.
- Ça va mieux ?
- Oui, confirme-t-elle avec un petit sourire. Je file sous la douche. J’ai plein de trucs à faire aujourd’hui.
- Je vais aller faire chauffer mon assiette alors.
Elle rentre dans la salle de bain et je récupère ma portion dans le frigo. Après un passage à la poêle pour tout réchauffer, je prends un bol, du fromage blanc pour le dessert et je m’installe sur le canapé. Je mange, distrait par le bruit de l’eau qui s’échappe de la douche. J’ajoute du miel dans mon bol et je réfléchis à mon après-midi. Si elle va en ville, ça me laisse l’occasion d’aller lui faire faire son double de clés ! Ça aurait été pratique qu’on l’ait aujourd’hui.
Elle sort, une serviette serrée à la va-vite autour de la poitrine. Quelques mèches folles encore humides… Ma gorge se serre. J’ai envie de la plaquer contre la porte. Envie qu’elle lâche cette foutue serviette et de sentir sa peau contre la mienne.
C’est pas possible d’être à la fois aussi adorable et aussi tentante.
J’entends un bruit mouillé en même temps qu’une pression sur mon torse. Le contenu de ma cuillère m’est tombé dessus.
- Merde…, je râle. Va falloir que je me change pour ce soir.
- Le but de tes vêtements noirs, c’est pas d’éviter que les tâches se voient ? glousse-t-elle.
- Si. Mais les tâches claires sur du foncé, ça se voit à mort…
J’essaie tant bien que mal d’essuyer ma connerie, mais rien à faire.
Fais chier. Quel con !
- En plus j’ai plus de t-shirt propre. Va falloir sortir une chemise et un pantalon…, je soupire.
- Ça sera pas pour me déplaire.
Bah voyons…
Je me lève et retire mon t-shirt sale. Je chercherai une chemise plus tard. Dès fois qu’elle enlève sa serviette… Ça m’évitera de flinguer un autre haut. Elle laisse échapper un petit soupir d’approbation et pose une main sur mon torse.
- Donc quand tu te tâches, tu te déshabilles. J’espère que ça n’arrive pas au bar…, susurre-t-elle.
Ses yeux brillent, ses lèvres se courbent juste assez pour que je sache qu’elle se fout de moi, mais pas méchamment.
- D’habitude, je ne me tâche pas. C’est entièrement ta faute, ça…
Je la chope par la taille, d’un coup et la tire contre moi pour l’embrasser. Je la renverse un peu en arrière, pour faire tomber sa serviette sans en avoir l’air, mais elle reste bien en place. Alors je viens chercher ce que je veux. Je la tiens d’une main ferme et caresse sa jambe jusqu’à ses fesses de l’autre. Je pourrais la bouffer là, à même le canapé. A même le sol en fait.
Elle gémit contre ma bouche et mon envie monte d’un cran. Mais c’est plus fort que moi : l’image revient. Celle d’hier soir. Ses yeux qui se plissent. Sa douleur évidente alors qu’elle souriait. Ça me coupe net.
Je relâche ma prise, un peu maladroit. Je la remets bien droite, comme si je rangeais quelque chose à sa place.
- Tu… devrais aller t’habiller. Tu as des choses à faire, non ?
Je sens qu’elle cherche mon regard, mais je l’évite. J’ai besoin d’une seconde pour réussir à faire semblant alors je m'assois.
- Euh… Oui, je… Il faut que je sorte, bredouille-t-elle. Ça va ?
- Oui, oui. Faut que je finisse de manger, que je range, que je lance une machine… Moi aussi j’ai un emploi du temps chargé.
J’essaie de plaisanter mais je n’y arrive pas. Et bien sûr, elle le sent.
- Tu veux qu’on en discute ? suggère-t-elle.
- De quoi ? Tout va bien. Qu’est-ce que tu dois faire, toi ?
Après une grimace à peine perceptible, elle lâche l’affaire.
- J’aimerais bien offrir un petit truc à Jona, tu sais, pour le remercier.
- De quoi exactement ? De t’avoir tripotée sous mes yeux toute une soirée ?
C’est sorti plus sec que je voulais. Faut croire que je lui en veux encore un peu de l'avoir touchée.
- De m’avoir indiqué où te trouver le soir où je suis arrivée. De nous avoir prêté sa voiture, deux fois ! insiste-t-elle. Et oui, aussi de t’avoir fait tomber dans mes bras. Un peu pour m’excuser aussi. On ne s’est pas beaucoup vu ces derniers jours. Je n’ai pas envie qu’il le prenne mal. Je repasserais peut-être récupérer mon pc pour travailler sur la terrasse du bar cet après-midi. Comme ça je lui offre son cadeau et on pourra parler un peu.
Leur proximité aussi rapide est un mystère pour moi. Mais le fait qu’elle cherche à l’entretenir m’échappe encore plus. Les gens vous lâchent toujours. Quoi que vous fassiez.
- Pourquoi tu veux créer du lien avec lui ? Je veux dire… Vous allez vous perdre de vue… C’est une relation qui va tenir genre quatre mois. Même avec les messages, y a un moment où il te répondra probablement plus.
- Je ne peux pas le savoir avant d’avoir essayé. Et même si après un moment il ne répond plus… j’essaierai encore.
Elle va au devant d’une déception, c’est sûr.
- Je vois pas l’intérêt, je soupire.
- Si demain tu es sur une île déserte… tu fais quoi pour manger ? demande-t-elle soudain.
- Je me laisse cramer sur le sable et j’attends que les crabes ou les mouettes viennent d’eux-mêmes, en pensant me manger, je lâche, sarcastique.
Je vois que ma réponse l’exaspère mais elle continue sur sa lancée enthousiaste :
- Tu vas sûrement aller pêcher. Et si au bout de deux jours, t’attrapes plus rien ? Tu te laisses mourir de faim ?
- Non, je réplique du tac-au-tac. Je reprends ma technique d’appât vivant.
- Arrête ! proteste-t-elle sans cesser de sourire. Ce que je veux dire c’est qu’il peut y avoir mille raisons pour lesquelles il ne répondrait pas. Pas le bon moment. Un oubli. Une fatigue. Parfois il faut lâcher, oui. Mais parfois, il faut persévérer.
C’est comme si elle parlait une autre langue. On ne se mettra pas d’accord sur le sujet. Alors je hausse les épaules et attrape le bol que j’avais laissé sur la table. Elle soupire encore une fois puis disparaît dans la chambre.
J’essaie de me concentrer sur mon dessert, mais mon cerveau dérive. Je repense à Daphnée, à cette histoire de notaire. Elle ne connaît pas le mort, mais c’est pas pour autant que ça ne va pas la secouer. Faudra que je m’assure qu’elle va bien. Elle s’est auto-désignée comme mon garde-fou, je peux bien prendre un peu soin d’elle aussi.
Quand Maud revient, elle porte un short en jean et un t-shirt qui colle bien à son tempérament. Des lignes, des points, des formes bizarres de toutes les couleurs… Chaque centimètre de peau révélé me donne envie d’en voir plus. Je serre les dents et me contiens. Elle récupère l'élastique à son poignet et attache ses cheveux d’un seul geste.
Pendant qu’elle continue de se préparer, je lui demande :
- Tu comptes lui offrir quoi, du coup ?
- T’as vu son appart : coussins assortis aux rideaux, tout bien rangé…
Ouais… Il repasse ses chemises, bordel !
- Du coup, je me disais que je pourrais trouver un plaid. Un beau. Genre dans les bonnes teintes, quelque chose de doux, qui irait bien avec son salon.
C’est une super idée. Je ne sais pas comment elle fait pour taper dans le mille à chaque fois qu’elle fait un cadeau.
- Bien vu. Au fait, tu comptes rentrer vers quelle heure ? Il faut que je sorte, moi aussi.
- Aucune idée. Mais sinon, j’emmène mon pc et on se retrouve au bar ?
- Je commence à 19h, ça va te faire un sacré moment à attendre.
- Je serai en bonne compagnie, ça ira. Et dans le pire des cas, j'ai un petit truc fabuleux dans mon sac qui s’appelle un téléphone, réplique-t-elle en souriant. Au besoin, on s’appelle et on se débrouille.
Elle se faufile entre le canapé et moi pour récupérer sa pochette d’ordi. Et d’un coup, ses mains encadrent mon visage. Pas le temps de réagir que ses lèvres sont déjà sur les miennes. Ses doigts chauds sur mes joues, sa bouche si douce…
Ça ne dure que quelques secondes. Rien de passionné. Rien d’urgent. Une marque d’affection tendre. Un peu comme un “au revoir” muet. Et je comprends que c’est exactement ça.
J’ai à peine le temps d’en profiter qu’elle se redresse et s’éloigne vers la porte. Encore deux mètres et elle sera sortie. C’est plus fort que moi : je la rattrape.
- Attends !
Pas question qu’elle parte sans ça.
Je la ramène vers moi, remet sa main contre ma joue. Ferme les yeux, y dépose un baiser. Mon “au revoir” muet à moi.
- Voilà. Maintenant tu peux y aller.
Elle sourit, toute rose. Les yeux qui pétillent. Je la regarde passer la porte et je range ce qu’il reste de mon déjeuner.
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