Chapitre 30 - Partie 3

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Les anecdotes s'enchaînent et s'achèvent dans un dernier éclat de rire. Matteo fait le décompte des votes. Jona est déclaré vainqueur et, comme convenu, il change de musique.

Le cercle se délite un peu, certains se lèvent pour jouer au foot ou danser, d’autres s’allongent dans le sable. L’after a vraiment commencé. Plus libre, plus bruyant. Moi, je n’entends que le cliquetis des bouteilles qui circulent. Des verres plus petits, des liquides plus corsés. Vodka, Rhum, Tequilla. Et Gin. Le vrai danger. Je serre ma bière vide entre mes doigts. Je regarde le ciel, le feu, le sable. N’importe quoi pour ne pas y penser.

Ça brûle dans ma poitrine rien qu’à les regarder. Il me faut quelque chose pour tenir. Pour tricher. Alors je me lève. Direction la glacière. Deuxième bière. Je l’ouvre et avale, presque cul sec. L’amertume m’écorche la langue, la mousse plate colle à mes lèvres.

La lune se reflète sur la mer. Blanc sur noir. Le halo dédoublé me fixe. Un peu à mon image — droit, propre en apparence, mais au fond instable, sans substance.

J’avale la dernière gorgée. Trop grande. Toujours aussi fade. Toujours pas assez. Mais ça devra suffire. Nous maintenir, moi et les autres, dans cette illusion. Dans ce mensonge. Ça ira.

Quand je me retourne, Maud est près de Sofia. Son téléphone change de mains toutes les deux secondes. Elles sourient. Je crois qu’elles communiquent par écran interposé. Tant mieux. Elle est toujours inconsciente de la bataille dans ma tête.

Je retourne près de nos affaires, un peu à l’écart. C’est là que Jona s’approche avec son éternel sourire de conspirateur. Un peu tordu vu qu’il en est déjà à sa cinquième dose de vodka.

  • Cédric ! T’as encore rien bu ! affirme-t-il en me collant un verre d’office dans la main.

Techniquement, j’en suis à deux bières… Mais c’est vrai que c’est rien pour moi.

Je jette un oeil à Maud, toujours en pleine “discussion” Google trad avec Sofia.

  • Je vais pas trop boire… pas envie de rentrer complètement torché…

Il éclate de rire, un peu trop fort, et tape sur mon épaule.

  • Gattino ! Tu deviens un autre homme ou quoi ? Maud ! Qu’est-ce que tu lui fais ?

Elle relève la tête, surprise. Un peu gênée aussi.

  • Rien. Enfin, je crois. Zed, te retiens pas pour moi. Profite de ta soirée.

Je fronce les sourcils, un peu pris de court. Est-ce que je dois lui dire un semblant de vérité ?

  • Ouais, mais…
  • Pas de mais. Je t’ai dit : je suis bien avec toi. Ne change pas.

Je reste figé une seconde. Ça sonne comme un piège. Le sourire de Maud ne laisse aucune discussion possible. Jona tape dans ses mains, ravi. Et avant que je puisse protester, il me verse un fond généreux de Gin.

  • Vedi ? Elle est d’accord. Et on n’a pas trinqué à vous !

Il se tourne vers Maud aussitôt :

  • Et toi ? Bevi anche, no ?

Je retiens un ricanement amer. Bien sûr qu’il tente. Si elle dit oui, je suis censé finir à poil dans la flotte. Autant dire qu’il attend ça comme un gamin qui guette son cadeau de Noël.

Comme je m’y attendais, Maud secoue la tête, implacable.

  • Non. Je n’aime pas l’alcool.
  • Tu disais pas ça l’autre soir, s’esclaffe-t-il.
  • C’est justement grâce à l’autre soir que je peux dire que je suis pas amatrice, réplique-t-elle avec une moue.

Il rit encore plus fort et s’écrie :

  • Le barman et l’abstinente. Vous vous êtes bien trouvés ! Va falloir la corrompre mon pote !

Elle me jette un regard contrit mais amusé. Je passe mon bras sur ses épaules, pose un baiser dans ses cheveux et affirme :

  • Pas question. Elle est très bien comme ça.

Je ne dis pas ça juste pour gagner le pari. Je le pense. Je sais mieux que personne que boire, c’est une pente savonneuse. Si son palais d’enfant lui permet d’y échapper, ce n’est pas moi qui l’y pousserais.

  • Bon, trinque au moins avec ton soft. Je veux célébrer ma réussite. L’union de vos âmes ! déclame Jona, toujours enthousiaste.

Je regarde mon verre avec scepticisme. Rien que l’odeur dans mon verre me fait saliver. Je n’ai rien pris depuis un moment. Ça me démange vraiment. Jona s’attend à ce que je boive. Maud aussi. Personne ne sait.

Personne ne sait…

Ça s’impose à moi d’un coup. Je peux boire. C’est normal que je boive ce soir. Je pourrais même boire jusqu’à en être malade. Personne n’y trouverait rien à redire. Même pas Maud. Bon, je ne vais pas finir la tête à l’envers — pas envie qu’elle me voie comme ça. Mais même si ça arrivait, j’ai un alibi. Même mieux : une invitation. Plus que bienvenue.

Je lève mon verre, un sourire en coin, et bois doucement. Le goût me réchauffe, et je me sens curieusement libre, capable de profiter de la soirée sans culpabilité.

Les verres s’enchaînent. Toujours du gin. Rien d’autre. Le reste ne compte pas. Jona comprend vite : il me ressert sans demander, la bouteille à portée de main. Le goût m’arrache toujours un peu la gorge, mais je tends mon verre. Encore. Et encore.

Je sens mes épaules se détendre, ma langue se délier. Je parle plus que d’habitude. Pas trop, mais assez pour voir la surprise sur les visages. Les autres me renvoient leurs rires, leurs tapes dans le dos. Jona lève son verre vers moi comme si j’étais enfin redevenu moi-même.

Je ne sais pas combien de verres j’ai déjà vidés. Les bouteilles vides s’empilent près du feu. La musique tourne en boucle. Les heures filent. Les voix se mélangent. Tout est flou, sauf la chaleur qui s’installe en moi. Une chaleur douce, trompeuse, qui me pousse en avant.

Et puis je la vois. Maud. Assise un peu à l’écart, les genoux serrés contre elle. Plus de Sofia. Juste elle. Silencieuse, absorbée.

Mes jambes me portent vers elle sans réfléchir. Au passage, je prends la bouteille des mains de Jona. Jamais plus je ne lâche cette bouteille de la soirée.

Maud me voit arriver à des kilomètres. Ses yeux perdus dans le ciel se fixent sur moi d’un coup. Comme si elle avait un radar. Ça me fait toujours bizarre. C’est comme si elle me sentait.

Je me glisse derrière, la guide doucement pour qu’elle se cale contre moi. Mes jambes encadrent les siennes. Mes bras se referment autour de sa taille. Mon menton vient se poser sur son épaule.

Elle ne bouge pas. Pas un mot. Et ça suffit. Son parfum me monte à la tête, bien plus fort que le gin. J’ai envie de la goûter. Vraiment. De laisser ma langue l’explorer. De joindre son goût d’agrumes à celui du Gin. Mais on est pas seuls. Alors je me retiens. J’effleure sa nuque de mes lèvres, sa peau salée par l’air marin. Puis son épaule. Un baiser. Léger. Puis un autre.

Mes mains se posent sur son ventre, glissent lentement jusqu’à ses hanches. Je la serre contre moi. Fort. Trop peut-être. Mais je ne lâche pas. Je la veux. Plus. Plus près, plus fort, plus longtemps. Je ris contre sa peau sans raison, juste parce que je me sens bien. Parce qu’elle me laisse faire. Non. Parce qu’elle en redemande. Dans sa façon de se lover davantage. De décaler ses cheveux pour me laisser champ libre.

Et puis, d’un coup, elle se lève. Elle s’éloigne. Un pas. Et un autre. Et encore un autre. Elle disparaît presque dans l’ombre. Mon estomac se serre.

Qu’est-ce qui se passe ? Elle va bien ? Fatigue ? Ennui ? Tout ça à la fois ?

Je lâche mon verre. J’oublie la bouteille. Tout ce qui compte, c’est elle. Je me lève et cours presque. Chaque pas me semble long, lourd. Mon cœur bat trop vite. J’ai peur de la perdre, même pour quelques secondes.

Je la rejoins, les pieds dans l’eau. Immobile. Silencieuse. Je me fige un instant, le souffle un peu bloqué. Ma voix sort plus basse que prévu :

  • Ça va ?
  • Oui. J’avais besoin d’un petit moment à l’écart. Je reviens tout de suite.

Besoin d’un moment loin du bruit ou loin de moi ?

Elle n’a pas cessé de sourire de la soirée mais je sais qu’elle est capable de se forcer. Je l’ai déjà vue faire pendant les fêtes de famille.

  • Mais tu passes un bon moment ? je demande.
  • Absolument. Je n’avais jamais été à la mer de nuit. C’est magnifique.

Un poids tombe de ma poitrine. Je lui ai fait découvrir quelque chose de beau. Elle sourit, la lumière de la lune glissant sur ses traits. Ça ferait une super photo. Je n’y résiste pas. Je me penche, un peu trop vite, et l’embrasse. Je cherche sa langue avec la mienne.

Et soudain : elle se dégage. Mes lèvres se retrouvent seules, son souffle s’éloigne. Panique. Confusion.

  • Qu’est-ce qu’il y a ?
  • T’as goût… de je sais pas quoi, mais c’est horrible, grimace-t-elle.
  • Tu ne veux plus m’embrasser ?

Elle ne veut plus de moi ? Je la dégoûte ?

Je sens un mur invisible s’ériger entre nous. Les mots de Jona résonnent dans ma tête : le barman et l’abstinente. On est tout sauf accordé.

  • Non, réfute-t-elle. Ça ne me gêne pas à ce point là.

Elle revient. Ses lèvres frôlent les miennes. Trop léger. Trop sage. Un baiser d’excuse. Presque forcé. Ça m’arrache.

Je l’attrape aussitôt. Mon front contre le sien. Je prends son visage entre mes mains. Plus lent que nécessaire, comme si elle pouvait se briser. Ou disparaître. Mes pouces caressent ses pommettes et je l’embrasse. Partout. Joues, paupières, front, nez. Des baisers courts, pressés, maladroits. Je la recouvre de preuves qu’elle est à moi.

Elle rit à peine, étouffé, et ça m’achève. Ma poitrine se desserre, mes mains tremblent contre sa peau. Pendant une seconde, tout est simple. Juste elle et moi. Pas de manque. Pas de peur.

Mais ça ne dure pas. J’ai besoin de plus. Je m’en fous qu’on nous voie. Je m’en fous de Jona, du feu, de la musique. Tout ce qui compte c’est elle. Ici et maintenant.

Mes mains glissent partout, de sa taille à ses hanches, de ses fesses à son dos. Je l’étreins comme si j’allais la faire disparaître dans moi. Je descends à son cou, je mords, je lèche, j’embrasse, incapable de m’arrêter. Sa peau salée me rend dingue. Je passe sur son épaule, sa peau refroidie par la nuit. Rien d’autre n’existe à part elle, sa chair, son odeur, son corps sous mes doigts.

Son goût me hante encore, et la douceur se change en faim. Ma bouche écrase la sienne, ma langue force le passage, et quand elle cède, quand elle répond, ça me fout à genoux. Je la dévore. Ses lèvres, sa langue, son souffle. Tout. Je n’en ai jamais assez.

Ses doigts glacés remontent dans mon cou, s’accrochent à mes cheveux, et je grogne dans sa gorge. Putain, elle me veut aussi.

Je sens sa respiration s’accélérer. Elle gémit, se cambre contre moi, et ça me fait perdre le peu de contrôle qu’il me restait. Le reste du monde peut crever. Mes mains s’égarent, empoignent ses fesses. Je la plaque contre moi pour qu’elle sente à quel point je la veux. Pas dans une heure, pas demain. Là. Tout de suite.

Et c’est là qu’une voix éclate, tranchante, hilare :

  • Get a room !

Jona, bien sûr.

La plage, le feu, les rires reviennent d’un coup. Je m’apprête à lui dire d’aller se faire foutre. Une simple pression de Maud sur mon bras m’arrête net. Je pourrais tuer pour le regard qu’elle me renvoie. Confiante, sexy, passionnée…

  • On rentre. Maintenant, j’ordonne.
  • On doit récupérer nos affaires, tempère-t-elle. Viens.

Je la laisse filer jusqu’aux serviettes. Elle se baisse, s’affaire, replie, range. Moi, je reste planté à quelques mètres, incapable de l’aider. J’ai les poings serrés, les mâchoires crispées.

Chaque mouvement d’elle me vrille. Ses cheveux qui glissent sur son épaule, la courbe de son dos quand elle se penche, ses doigts qui froissent le tissu…

Je te prends à même le sable si on n’est pas parti dans 2 minutes.

Mon corps me trahit. Tout est tendu, brûlant, douloureux. J’ai la patience d’un fauve en cage, prêt à bondir. J’entends Jona lancer une remarque. Une autre connerie à mes dépens qui fait rire tout le monde. Les joues de Maud se teintent de rose. Je serre les dents. Une partie de moi voudrait lui fermer son clapet sur-le-champ. Mais non. Pas question de perdre une minute. Pas question de ralentir notre fuite.

Alors je me tais. J’avale ma pique. Je reste concentré sur elle, sur sa nuque. Je bande rien qu’à la voir plier cette foutue serviette. Chaque seconde est une torture.

Quand elle se redresse enfin, ses bras chargés, je retiens à peine un grognement d’impatience.

Trop longue, ma belle. Beaucoup trop longue.

Elle s’approche et je tends le bras avant même d’y penser, la tire contre moi.

  • Désolée, s’excuse-t-elle comme si elle m’avait entendu.
  • Je te ferai payer l’attente à la maison, je promets.

Un sourire radieux orne son visage. Et elle rit, croyant que je plaisante. Son rire de fée m’atteint plus fort que d'habitude. On quitte la plage en riant. Mes pas un peu trop larges. Mon équilibre fragile. L’air est tiède, salé, et les contours du monde dansent autour de moi.

Mon bras autour de ses épaules, on remonte la ruelle sans se presser. Elle rit toujours. Avec moi. Ou peut-être de moi. Je sais pas. Elle se cale contre moi, et je sens ses cheveux frotter mon menton.

Le Gin colle encore à ma gorge dans l'escalier. Chaud et poivré. Chaque gorgée bue plus tôt cherche à ressortir dans ma respiration.

Il pulse dans mes veines, mais ce n’est pas ça qui me fait accélérer le pas. C’est elle. Sa chaleur qui s’infiltre sous ma peau. Son parfum accroché au sel de la mer. Qui me donne envie de la mordre. De la manger toute entière. Comme un putain de gâteau.

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