Chapitre 31 - Partie 1
J’ouvre les yeux. La lumière me déchire les paupières. Maud est là, nue. Allongée en travers de mon torse. Sa respiration tranquille contre ma peau. Les cheveux éparpillés comme une couverture chaude. Une jambe enroulée autour de mes hanches. Sa joue contre mon cœur. Belle à crever. Toute innocente.
On dirait qu’elle flotte dans un rêve tranquille. Moi, je suis tout aussi nu. J’ai la bouche sèche. Le goût métallique du Gin encore collé à mes dents. Et… un trou noir dans la tête. Un vrai. Pas juste quelques détails flous : rien. Comme si quelqu’un avait coupé le film au milieu. Je sais juste que j’étais bourré. Beaucoup trop. Ça, c’est jamais bon.
Je nous revois sur la plage. Je crois qu’on a pris une douche. Mais après ? On est à poil, il s’est sûrement passé quelque chose. Mais quoi ? Peut-être que j’étais juste un corps, une pulsion. Peut-être que je l’ai encore blessée. Peut-être que je l’ai forcée. Je ne sais pas. Je n’en sais rien.
Je me sens plus bas que tout. Je n’ai pas eu de black-out depuis des années. Je fais tout pour l’éviter. Depuis celui d’il y a cinq ans.
Je me rappelle toujours pas ce qui s’est passé. Mais je me rappelle bien des flics qui ont sonné chez mes parents. De l’interrogatoire. De la vidéo où on me voit faire le plein à la station service. Et emboutir la pompe en partant. Je marche droit sur les images. J’ai jamais dit que je m’en souvenais pas - ajouter conduite en état d'ivresse au délit de fuite ? Merci, mais non merci…
Je me rappelle aussi la terreur. De quoi d’autre est-ce que je ne me souvenais pas ? J’étais déjà rentré les poings en sang et des bleus un peu partout. Mais là ? J’étais en voiture ! Et si j’avais tué quelqu’un ? Est-ce qu’il y avait un autre délit de fuite, mais pour meurtre ?
Ça a été un déclic. J’ai payé la réparation — six mille euros de connerie — et je me suis fait la promesse de plus refaire le con. Je bois, oui. Mais je dois rester fonctionnel. Pouvoir raconter ce que j’ai dit ou fait la veille.
Je caresse ses cheveux. Ça me rassure, un peu qu’elle soit collée contre moi. Elle aurait pris ses distances si ça c’était mal passé, non ? J’essaie de me persuader que ça va, que j’ai pas tout fait merdé, comme je le fais toujours. Mais la honte est déjà là, à me mordre le ventre. Parce que si je ne me souviens pas… alors peu importe ce qui s’est passé. C’est comme si je l’avais laissée tomber. Comme si ça ne comptait pas. Et moi je veux que ça compte.
Je me passe une main sur le visage. J’essaie d’éclaircir mes idées mais c’est toujours le néant. Elle ouvre les yeux et un sourire vient se loger au coin de ses lèvres. Ce petit sourire qui d’habitude me démonte.
- Salut…, marmonne-t-elle en se renfonçant contre moi.
Je reste muet. Trop gêné. Et surtout terrifié. Après quelques secondes, je me lance :
- Hier soir… J’ai rien fait de bizarre ?
- Pas vraiment. T’étais un peu… joyeux disons. Tout tendre. C’était trop mignon.
Je reste figé. Je perçois ce petit éclat malicieux dans ses yeux, comme si elle se disait “c’était drôle de te voir comme ça”. Ça m’achève. Parce qu’elle a trouvé ça “mignon”. Parce qu’elle pense que j’étais un peu festif. Ou que c’est “juste” un soir. J’ai envie de me cogner la tête contre un mur.
J’essaie de me calmer. De me concentrer sur son parfum de gâteaux. Mais ça me retourne encore plus l’estomac. Elle ne voit pas le problème. Pas la faille énorme qui s’ouvre sous mes pieds. Elle se redresse un peu, me regarde avec cette douceur qui me plombe encore plus.
- Tout va bien ? demande-t-elle, devinant mon angoisse.
- Est-ce que j’ai … Enfin, est-ce qu’on a… ?
Je prends une grande respiration et je lâche :
- Il s’est passé quoi ?
Son sourire se fane. Elle se redresse un peu, les yeux encore embués de sommeil, mais en alerte.
- Tu ne te rappelles pas ?
- Non. Enfin… pas tout.
Elle baisse les yeux. Son corps se raidit et elle chuchote :
- T’as pris les rênes, alors… J’ai pas réalisé… que je te forçais… Je suis désolée.
Ses mains se crispent. Elle s’en veut. S’inquiète de ce qu’elle aurait pu me faire, avec son gabarit de fée. Alors que le vrai danger, c’était moi.
La panique me remonte à la gorge. Et c’est plus fort que moi. La connerie sort toute seule :
- Tu fais quoi, 1m30 ? je ricane. Si quelqu’un risque d’être forcé ici, c’est pas moi.
Le silence qui suit est brutal. Pas de rire, juste l’air qui s’épaissit. Maud me sonde. Comme s’il y avait un sens caché à mes mots. Et je réalise que ça fait écho à l’autre soir. Ma blague merdique se fracasse contre la réalité. Ce n’était pas drôle. C’était juste lâche.
Je me reprends, plus bas, sans masque cette fois :
- Désolé, c’était nul, je souffle en portant ses doigts à mes lèvres. Tu m’as pas forcé. J’avais envie de toi. Ça je m’en rappelle.
Ses yeux remontent vers moi, brillants.
- Tu es sûr ? Parce que… j’ai pas envie… d’être ce genre de personne.
- Je suis sûr. Tu me forceras jamais à rien. C’est juste pour toi. Je… Si tu sens que je suis pas avec toi… que c’est pas le moment… Enfin… Là aussi, hésite pas à me dire stop, ok ? Moi non plus, je ne veux pas être ce genre de personne.
Elle fronce les sourcils, m’effleure la joue du bout des doigts.
- Je te le dirai, assure-t-elle. Mais hier soir… j’avais pas envie de te dire stop. Pas une seule seconde.
Elle expire, un peu tremblante, avant de se lover de nouveau contre moi. Plus recroquevillée. J’embrasse ses cheveux et je la câline. Pour apaiser sa culpabilité absurde. Pour donner le change aussi. Parce qu’à l’intérieur, je suis en ruine.
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