Chapitre 31 - Partie 2
On reste comme ça un moment. J’essaie de comprendre pourquoi j’ai pas une gueule de bois de folie si j’ai eu un black out.
- Au fait, comment tu te sens ? demande-t-elle tout à coup. Physiquement je veux dire ? Jona m’a dit de te donner de l’eau et quelque chose à manger hier mais je ne sais pas si ça a suffit.
J’ai dit qu’elle devait avoir une connexion directe à mon cerveau ? Plus ça va, plus je pense à aller passer un IRM. Juste pour vérifier.
En tout cas, ça explique mon état. Et ça renforce le fait que je sois un connard.
- Ça va. T’as bien fait.
Je m’en veux qu’elle ait eu à gérer tout ça. Qu’elle ait dû m’hydrater, me filer à bouffer, pendant que je faisais je ne sais quoi qu’elle a trouvé “trop mignon”. Si Jona n’y avait pas pensé, je ne pourrais même pas me lever. J’essaie de changer de sujet :
- Tu veux faire quoi ?
- Honnêtement ? Rester comme ça toute la journée à me faire câliner…, plaisante-t-elle. Mais j’ai toujours pas réussi à me cloner alors il va falloir que je me lève et que je bosse.
- Il m’en faudrait un aussi, j’avoue, amusé. Mais je pense qu’il lui faudrait aussi son propre clone. On en finirait jamais.
Elle rit encore quelque secondes avant de glisser hors de mes bras. J’ai envie de la retenir, mais je la regarde s’extirper du lit et farfouiller dans la penderie. C’est tout con, mais ça me fait bizarre. C’est un truc de couple établi. Un geste du quotidien. Banal. Ça devrait pas me remuer autant.
Elle sort un ensemble, soutif et tanga bleu pâle et l’enfile. Ça ne m’a pas fait le même effet quand je les ai rangés. Faut dire qu’ils n’étaient pas aussi remplis… Je me redresse, un bras derrière la tête et mate sans aucun scrupule.
- Ça te dit pas de revenir au lit ? je lance, l’air de rien.
Elle rit en levant les yeux au ciel avant de disparaître dans la pièce d’à côté. Elle revient quelques minutes plus tard toute habillée. Son regard s’attarde un peu trop sur mon corps pour que ça soit innocent. Ça me plaît bien.
- C’est le moment où je dois me lever pour te nourrir ? je la chambre.
- T’es pas obligé. Je peux me débrouiller ou même ne pas manger.
Non. C’est pas comme ça que ça doit se passer.
Je suis debout en deux secondes. Je me plante devant elle, prends son visage dans mes mains. Peut-être un peu trop fort. Mais elle se laisse faire.
- Je m’habille, je m’y mets et tu manges.
Je veux que tu veuilles ma cuisine. C’est à moi de m’occuper de toi.
Elle accepte dans un souffle. Je l’embrasse et je m’habille vite fait. Boxer, jogging. En passant vers le salon, je pose à nouveau mes lèvres sur les siennes en coup de vent.
Dans la cuisine, j’hésite à me faire un café. J’en aurais besoin. Mais j’en bois rarement. Ça soulèverait des questions. Et surtout, elle déteste jusqu’à l’odeur. Alors je m’abstiens.
Je plonge dans le frigo, cherchant un truc rapide — un peu chiadé quand même — et efficace à faire. Omelette et poêlée de légumes. Simple, mais qui fait le taf. Le bruit des œufs qui claquent, le chuintement quand ils s’étalent dans la poêle, ça me calme un peu. Ça m’évite de penser.
Je finis en vitesse, dépose tout dans deux assiettes, avec un dressage lambda mais joli. Quand je me retourne, elle est assise sur mon canapé, son PC sur les genoux.
Encore une fois, ça me déstabilise. Un mélange de bien-être et de panique. C’est plus que juste le côté “couple ordinaire”. J’ai jamais partagé ce genre de moment. Jamais eu envie de le faire. Et on m’a jamais proposé non plus. Pour moi les déjeuner c’est avec mes parents entre deux contrats ou avec mon PC.
Je secoue la tête pour me remettre les idées en place et j’avance vers elle. Dès qu’elle me voit, elle ferme son document et lance YouTube. On bouffe devant des conneries. Je finis par me détendre. Même par rire un peu. Jusqu’à ce qu’une notification apparaisse en bas de l’écran.
Elle coupe direct la vidéo, presque en s’excusant de devoir travailler. Elle lit vite, l’air sérieux, les yeux qui brillent comme si on lui avait filé une mission spéciale. Elle est comme ça à chaque fois : à fond, complètement immergée. Ça me fait sourire bêtement. C’est presque ridicule.
Elle finit par lâcher, sans lever les yeux :
- Je risque d’en avoir pour un moment. Si tu veux faire autre chose de ton côté, fais-toi plaisir.
- D’acc. Je vais aller casser des idoles.
Pour être honnête, je suis assez content d’avoir un moment pour moi. Ça me fait du bien de voir qu’on peut cohabiter sans s'étouffer, même dans un appart petit comme celui-là.
Avant de filer, je m’approche, prends sa main et lui fais un baise-main. Classique. Rituel. Je me sens un peu con, mais satisfait.
Je m’installe à mon bureau, Maud lance une playlist et moi Heroes of the Storm. Aujourd’hui je prends un tank. Les clics s’enchaînent. La mécanique me bouffe, m’avale, et je pense plus à rien. Juste à la carte, aux timers, aux teamfights. Plusieurs parties s’enchaînent. Plus ou moins bonnes. Une majorité de victoire.
Après une heure ou deux, Maud apparaît, appuyée sur l’encadrement de la porte, nos assiettes et verres empilés à l’arrache dans les mains.
- Je fais une pause, explique-t-elle. J’ai reçu un message de Jona. Il fait une soirée pour son anniversaire dans quelques jours. Il m’a proposé de venir. Et toi aussi par la même occasion.
J’ai beau savoir que ça faisait partie de leur plan foireux — qui a marché, ok — je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter. Je sais comment il fonctionne. Il drague tout ce qui bouge. Il baise et il passe au suivant. Si ça n’avait pas pris entre elle et moi, il aurait tenté sa chance. Et probablement réussi.
- Il ne plaisantait pas hier en disant que vous êtes devenus proches très vite…
- Tu serais pas un peu jaloux ? lâche-t-elle, sourire en coin.
Un peu, ouais !
Pas question de le lui avouer cela dit. Alors je hausse les épaules, comme si ça me passait au-dessus. Son rire m’indique qu’elle n’est pas dupe.
- Bon, je vais ranger ça. Tu voudras faire quelque chose après ? demande-t-elle.
- Pourquoi pas.
Elle repart vers la cuisine avec nos assiettes empilées. Moi je reste devant mon écran, le curseur flottant sur le bouton Prêt. Mais je ne clique pas. Parce qu’au fond de moi, je pense déjà à cette soirée. Une de plus. Avec de l’alcool à portée. Avec moi qui fait semblant.
Je ne peux pas lui dire que ça m’angoisse d’avance. Ni même pourquoi. Mais peut-être que je peux la prévenir de me surveiller. De ne pas me laisser trop boire… Est-ce que je peux seulement faire ça ? Est-ce qu’elle me regardera différemment ? Est-ce qu’elle comprendra ce que je cache ?
Il faut au moins que je lui dise quelque chose. Je ne sais pas trop quoi. J’improviserai. Si je ne me défile pas. Je soupire, ferme le jeu et me lève. Elle marche en dansant à moitié, fredonnant sur la musique. Je la suis, la musique couvrant mes pas.
Allez mec, on se dégonfle pas.
- Maud, faut que je te parle…
Elle sursaute, un verre lui échappe et s’éclate par terre. Le bruit sec résonne dans tout l’appart. Elle plaque une main contre sa poitrine.
- Je pensais que tu jouais encore…
Sa réaction démesurée me fait rire.
- J’allais le faire et puis j’ai changé d’avis. Je pensais pas te faire peur à ce point.
Je la soulève sans réfléchir, comme une plume, et la dépose dans l’entrée, loin des éclats :
- Bouge pas, je gère.
J’avance au milieu des débris malgré ses protestations. Elle me rejoint, chaussures aux pieds et nous terminons de rassembler les plus gros morceaux. Je pivote et attrape la balayette et la pelle sous l’évier. Une fois tous les fragments récupérés, je jette le tout à la poubelle.
Quand je relève la tête, elle a toujours pas bougé. Et puis, d’un geste sec, elle balance son tel à travers la pièce.
Je sursaute. Il rebondit contre le canapé au lieu d’exploser au sol. Je lève les yeux vers elle. Je reconnais pas son visage. Les yeux plissés, durs, comme si quelqu’un d’autre avait pris sa place.
Je veux avancer, mais elle m’arrête d’un geste. Puis elle se précipite vers la porte, sans même prendre ses papiers.
- Maud, attend !
- Laisse-moi ! Il faut que j’aille me défouler.
Je la regarde descendre les escaliers comme une furie. Je suis paumé. Je ne comprends pas ce qui l’a mise dans cet état. Je jette un œil à son téléphone sur le canapé. Qu’est-ce qu’elle a vu pour disjoncter comme ça ?
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