Chapitre 31 - Partie 3
Je termine de ranger la cuisine, ajoute les assiettes et les couverts dans le lave-vaisselle. J’essaie de me concentrer là-dessus, mais mon regard dévie encore et encore vers le salon. Vers le téléphone. Je cherche des explications, une par une. Le boulot ? Non. Quand elle reçoit des mails pro, elle se met en mode warrior, pas en mode tornade. Une pub ? Même elle ne s’énerve pas à ce point pour une pub. Alors quoi ?
Chaque seconde, mon cerveau invente une nouvelle raison à sa colère. Et aucune ne me plaît. Je claque un peu trop fort la porte du lave-vaisselle. Le bruit me fait sursauter. Je me rends compte que je serre la mâchoire comme si j’allais boxer quelqu’un.
Je m’appuie sur le plan de travail. Et je regarde une nouvelle fois le téléphone. A deux mètres de moi. Je pourrais le laisser. Je devrais le laisser. M'asseoir et attendre qu'elle rentre, qu'elle m'explique. Mais si elle ne le fait pas ? Cette fois, ça a l’air trop important pour que je me contente d’accepter son silence. L'envie de savoir me bouffe.
J’approche du canapé, déjà coupable. Je me dis que c'est naze. Que je fouille. Que je vais tout bousiller. Pourtant je me penche, je le prends. L’écran n’est même pas verrouillé.
Moi : Joyeux anniversaire ! Je ne t’ai pas encore trouvé de cadeau, mais je te l’envoie dès que possible.
Sophie (mère) : Merci. Un cadeau qui me ferait plaisir, c’est que tu demandes pardon à ton frère.
Je reste bloqué, les yeux sur l’écran.
Elle a dit qu’elle était en froid avec son frère. Ce serait sa faute ?
Elle m’a pas donné les détails. Je croyais que c’était juste une embrouille familiale, une connerie qui traîne. Mais là… ça sonne pas pareil.
Et les problèmes que je repousse depuis une semaine me reviennent en pleine tête. Je recule d’un pas. Ma bouche est sèche.
Est-ce que c’est ce qui m’attend avec Nate ? Est-ce que je finirai par recevoir un message de ce genre, moi aussi ?
Depuis l’épisode de la robe rouge, je ne me suis même pas demandé comment il allait. Ce n’est pas parce qu’il a donné sa bénédiction pour qu’on soit ensemble Maud et moi, qu’il le vit bien. A sa place, je serai plus bas que tout. Qu’est-ce qui va se passer si on continue ?
Je suis sur la sellette en permanence, mais c’est mon choix. Je ne veux pas d’un CDI. Je veux ma liberté. Avec son emploi bizarre, Maud est aussi libre que moi en un sens, mais qu’est-ce que j’ai à lui offrir ? C’est Nate le bon parti. Il est stable, honnête et altruiste. Moi je suis égoïste, renfermé et dépendant. Elle ne peut pas construire quelque chose avec moi. Si on continue, je briserai deux vies : la sienne et celle de mon frère.
Et si on arrête tout ? Dans ce cas, la vie peut reprendre comme avant. Leur vie à tous les deux. Moi, je n’oublierai jamais. Je ne m’en remettrai jamais, mais c’est mon problème. Si on arrête, ils peuvent se marier. Ils peuvent se poser, acheter une maison, avoir des projets, faire des enfants. Je ne peux pas rivaliser.
J’ai l’esprit en vrac : je viens à peine de l’avoir, et je dois encore la persuader de retourner avec Nate. Ce sera pas difficile. Le constat me brise. Je repose le téléphone là où je l’ai trouvé. Je ne sais pas combien de temps j’ai avant qu’elle ne rentre. Il faut faire vite. Qu’elle puisse partir en deux secondes. Ce sera plus simple pour elle. Plus simple pour moi. Je supporterais pas de la voir boucler ses affaires elle-même. Je finirais par la supplier à genoux de rester. Et il ne faut pas.
Je me lève et vais chercher sa valise. Je la pose sur le lit et commence à retirer ses affaires de ma penderie. Chaque vêtement plié et déposé dans sa valise est un effort. Je tombe sur le T-shirt hippocampe. Je reste figé quelques secondes, paralysé par l’envie de le garder. Je me gifle mentalement et le range avec les autres. Pas question de lui laisser la moindre raison de revenir. Ou de changer d’avis.
Une fois ma chambre vidée de sa présence, je passe à la salle de bain. Brosse à cheveux, quelques produits d’hygiène, une crème hydratante… Je passe tout au crible. Je vérifie deux fois pour être sûr de n’avoir rien oublié. Elle doit pouvoir partir sans regarder en arrière. Je fais tout rentrer dans la valise. Il ne me reste que le salon. J’attrape son livre et les éléments de son PC. Ils rejoignent le reste de ses affaires.
Je fais un dernier tour. Je balaie l’appartement du regard pour vérifier que rien ne reste. Pas un seul objet. Pas une seule trace d’elle.
Comme si elle n’était jamais venue…
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