Chapitre 31 - Partie 4
Je ferme la valise et la tire doucement jusqu’à l’entrée. Je la pose près de la porte, parfaitement alignée contre le canapé. Résigné mais décidé, je me poste ensuite en appui sur le comptoir de la cuisine. Je réfléchis à la meilleure façon de lui rappeler qu’elle est mieux avec Nate lorsqu’elle ouvre la porte de mon appartement en soupirant.
- Désolée d’être partie comme ça… C’est ma mère… Avec ma famille c’est… compliqué, cafouille-t-elle. Tu sais où est mon téléphone ?
- Il est sur le canapé.
- Ah ! Merci, dit-elle en le prenant. Tu voulais me dire un truc, non ? Je suis partie tellement vite…
Elle remarque enfin la valise.
- Pourquoi ma valise est là ?
- C’est moi. J’ai rangé toutes tes affaires. Il faut que tu rentres.
- Il s'est passé quelque-chose ?
- Ta vie avec Nate t’attend.
- Mais qu’est-ce que tu racontes ?
- Maud, on ne peut pas être ensemble…
- On n’a pas déjà eu cette conversation ?
Elle tente de plaisanter mais sa voix m’indique qu’elle est nerveuse.
- Bien sûr qu’on peut, continue-t-elle. Ça fait plusieurs jours que c’est acté, non ?
- Non. Ton engagement il est avec Nate.
- Il était, corrige-t-elle. C’est vrai que je ne lui ai pas encore dit mais c’est pas le genre de chose que je compte lui dire au téléphone.
Il était.
Je suis son présent. Elle me voit comme son futur. Si la situation était différente, ça me ravirait. Mais la situation est ce qu’elle est. Il faut qu’elle parte. Il faut qu’elle m’oublie. Elle mérite mieux que moi.
- Non. Tu ne lui diras rien parce que tu sais que j’ai raison. C’est avec lui que tu veux être, je m’emporte.
Parce qu’il est tout ce que je ne serai jamais. Parce qu’il pourra lui construire une vie stable, honnête, vraie. Alors que moi… Je ne suis qu’un accident de parcours. Être avec moi est une erreur. Je ne peux pas la laisser prendre cette voie.
- Depuis quand tu sais mieux que moi ce que je ressens ? réplique-t-elle, aussi agacée.
Je pensais que ça serait simple. Je comprends que je vais devoir frapper plus fort. Plus bas. Il faut qu’elle souhaite partir et ne jamais revenir. Ça me tue : il faut que je la blesse. Que je dise quelque chose qu’elle ne pourra pas oublier et qui la dégoûtera de moi. Définitivement.
- Je sais ce que moi je ressens, je reprends avec calme. Rien. Tu es ma belle-sœur et je suis ton beau-frère. C’est ça le présent et l’avenir de notre relation.
Elle me fixe, perdue. Ses yeux papillonnent sur les miens, cherchant un sens à ce que je viens de dire.
- C’est n’importe quoi. Après tout ce qui s’est passé… Ça ne colle pas.
Elle a raison. Bien trop maligne pour tomber dans le panneau aussi vite. Je reste impassible. A ne laisser aucune faille qu’elle pourrait déceler. Et je m’efforce de continuer à détruire tout ce qui me lie à elle. Pour qu’elle ait l’avenir qu’elle mérite.
- Tout ce que j’ai dit et fait ces derniers jours, c’était des actes et des paroles en l’air. Ce n’était rien. Hormis la bise et les câlins occasionnels, je ne te toucherai plus. Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais.
Je vois dans son regard qu’elle doute. Elle fait un pas vers moi. Très lentement.
- Zed… Qu’est-ce qui t’arrive ? Parle-moi, murmure-t-elle en posant ses mains sur mes joues. C’est à cause d’hier soir ?
Ce contact glacé me déstabilise une seconde. Mais elle m’offre une excuse en or. Je la saisis sans hésiter.
- Oui, je réponds en me dégageant. Déjà hier soir, c’était bizarre… Mais là, le message de Jona… Ça m’a ouvert les yeux. Tu deviens presque amie avec mes collègues, avec mon boss. Ça va trop loin. Je suis fatigué de jouer la comédie. Je ne ressens rien pour toi. Sauf du désir, ça c’est réel.
- Non… Non, c’est faux, dit-elle, la voix brisée. Ce n’est pas toi ça…
- Si. Tu ne sais de moi que ce que j’ai bien voulu te montrer. Tu avais raison l’autre jour. Tout ça c’était un jeu pour moi. J’ai vite vu que tu ne méritais pas d’être avec Nate. Que tu le trahirais à la première occasion vu comme tu cherchais à être proche de moi. Trop proche pour quelqu’un déjà dans une relation. J’ai essayé de rester sur les rails mais tu m’as toujours poussé plus loin. Alors, un jour, je me suis dit : c’est vrai qu’elle est bien foutue, je pourrais me la faire. Elle craquera facilement. Et Nate finira par voir que je voulais lui rendre service.
Elle écarquille les yeux. La confusion laisse place à l’horreur. Je ne sais même pas d’où je sors toute cette merde. Bien sûr qu’elle est digne de Nate. Elle n’a rien à se reprocher. C’est moi qui me suis rapproché d’elle. C’est moi qui ai commencé à être ambigu.
Tout ce que je sais c’est que ça marche. Et que je lutte pour rester dans mon rôle.
- Zed... Arrête. Je t’en prie, tu me brises le coeur.
Ses yeux se remplissent de larmes, et menacent de me faire craquer. Je détourne le regard un instant.
- C’est le but.
Cette vérité, sortie malgré moi, me rappelle mon objectif. Alors je ne lâche rien et enchaine :
- Tu l’as bien mérité. Tu veux jouer sur les deux tableaux, nous avoir tous les deux, Nate et moi. Sans réfléchir à ce que ça veut dire ou ce que ça nous ferait en tant que frères. Si tu étais moins égoïste, tu penserais aux conséquences de ce que tu fais vivre à ceux qui t’entourent.
Je me rappelle du texto de sa mère. J’attaque aussi sous cet angle. Je ne lui laisse aucun répit.
- De toute évidence, tu te contrefous d'avoir perdu ton frère ou de bousiller ta famille, je lance en désignant son téléphone.
Elle tressaille. J’enfonce le clou :
- Ne t’attends pas à ce que je te laisse essayer de briser la mienne sans que tu le paies. Tu savais très bien ce que tu faisais en venant ici. Quand on joue avec le feu, faut pas s’étonner de se brûler.
Sa mâchoire se contracte.
- Assume tes conneries. Retourne épouser Nate, s’il veut encore de toi. Moi, j’ai eu ce que je voulais. Prends sur toi, demande pardon à ton frère et au mien. Et surtout, casse-toi.
Cette fois, ses yeux passent de la tristesse à la fureur.
- Va te faire foutre ! Allez tous vous faire foutre ! Tu n’as aucune idée de ce dont tu parles !
Je ne l’ai jamais vue comme ça. J’ai l’impression que ce n’est pas elle en face de moi.
- Mais puisque je suis si bien avec Nate, enchaîne-t-elle, que je vais l’épouser et tout le bordel, ce qui se passe dans ma vie et dans ma famille ne te regarde absolument pas. Enfoiré ! J’espère bien ne jamais te revoir en dehors de mon mariage à venir ! Si tu as seulement le cran d’affronter le bonheur qu’on affichera lui et moi, quand on sait que tu es misérable et seul à crever !
Elle attrape sa valise et part d’un pas rapide, les épaules raides. Je reste figé, incapable de bouger. Lorsque la porte claque, je m’effondre sur le canapé.
C’est fait. J’ai réussi. Elle est partie. Mais à quel prix ?
J’ai beau savoir que j’ai fait ce qu’il fallait, je me sens plus bas que tout. Je fixe un point invisible sur le sol. Le poids de ses derniers mots m’écrase.
“Tu es seul à crever !”
Je voulais lui faire mal. Mais je ne pensais pas qu’elle riposterait de façon aussi… vraie. Je sais que je suis seul. L’entendre de sa bouche, avec ce ton, c’est pire que tout. Mes poings serrés tremblent. Je n’ai jamais autant eu envie de boire.
Et pourquoi est-ce que je m'en priverais ? Maud est partie. Elle ne reviendra pas. Je l’ai rejetée. Je ne la récupérerai jamais.
Je me sens vide. J’ai besoin de combler ce vide. Par du Gin. Et cette putain de bouteille qui est toujours chez Jona. Quinze heures, il doit être chez lui.
Oh et puis merde ! Rien à foutre, je vais la chercher.
Je traverse le palier comme un robot. Full pilotage automatique. Je frappe chez Jona. Je vois bien quand il ouvre qu’il ne s’attendait pas à ma visite.
- J’ai entendu Maud…, commence-t-il, mais je le coupe sèchement.
- Je veux ma bouteille de Gin !
Il me fixe, abasourdi.
- Si, certo… Elle est là, dit-il en désignant un placard de sa cuisine.
Je rentre sans même lui laisser le temps de m’y inviter. Je chope la bouteille, marmonne un “merci” à peine audible et repars aussi vite que je suis venu. Je l’entends bien essayer de me dire quelque chose mais je m’en fous. Je m’enferme chez moi. Pas envie qu’il vienne me faire chier.
Je m’avachis sur le canapé, la bouteille toujours en main. Je ne prends même pas le temps de sortir un verre. Je bois à même le goulot. Une gorgée, deux gorgées, trois gorgées… J’essaie de ralentir parce que j’espère la faire durer un peu plus que dix minutes. Entre deux rasades, je programme une alarme pour 18h. Il faut continuer à sauver un peu les apparences en allant au taf. Daphnée verra clair dans mon jeu. Je m’en fous. Elle n’y peut rien. Personne ne peut rien pour moi.
J’ai viré la seule personne qui pouvait.
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