Chapitre 31 - Partie 7

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Le service se termine. Les derniers clients s’en vont, les verres sont rangés, le bruit s’étire en écho sous les arches. Jona ferme la caisse avec un soupir. Moi, je range les torchons, essuie machinalement le comptoir.

Dès que tout est à peu près en ordre, je file. Jona me lance un signe — un geste bref, presque automatique — je n’y réponds pas. J’ai pas la force pour faire la conversation. Même si c’est que deux mots. Je traverse la salle, passe sous le rideau de fer à moitié baissé, et m’engouffre dehors. J’avance sans vraiment voir où je vais. Les pavés sont glissants, l’air sent la bière et la pierre mouillée.

Chez moi, tout est silencieux. Pas de lumière autre que celle du réverbère qui filtre à travers les volets. Je balance ma sacoche sur le canapé. Sur le chemin vers la chambre, je récupère la bouteille de Gin que j’ai laissée au milieu du salon. Je dévisse le bouchon et bois une gorgée, directe. Juste assez pour que ça chauffe à nouveau. Je la garde à la main en avançant. Le lit est encore défait. Je m’allonge, tout habillé. Le matelas s’enfonce sous mon poids. Et puis je la sens. Son odeur sur l’oreiller.

Pas forte, pas envahissante, mais… là quand même. J’ai tout rangé, tout retiré. “Comme si elle n’était jamais venue”. Mais ça, je l’avais pas anticipé. Réflexe stupide : je le serre contre moi. Mon souffle se coince quelque part entre ma poitrine et ma gorge. Ça me fait comme un mini électrochoc. Je lâche le coussin. Je le repousse.

Faut que je fasse tourner une machine. Que je fasse disparaître ça.

Je me redresse, traverse le salon, l’oreiller dans une main, la bouteille de Gin dans l’autre. Je fourre l’oreiller dans le tambour, attrape le panier de linge sale dans la salle de bain et je commence à trier. Sous-vêtements, tenue de sport, fringues de boulot… Je vide les poches, une par une, sans regarder. Des tickets de caisse, un paquet de chewing-gums, un mouchoir roulé en boule, de la monnaie. Et puis, un tintement sec.

Une clé.

Non, pas une clé. LA clé. Le double que j’ai fait faire pour… Pour elle.

Je la fais tourner entre mes doigts. Un bête bout de métal. Pourtant, il pèse une tonne. C’est froid. Minuscule. Comme ses mains.

L’image revient, insistante. Un fantasme fantôme… Le bruit de la serrure, la porte qui s’ouvre et elle qui entre pour me retrouver.

Une colère sèche me traverse — contre moi, contre l’idée, contre Nate, contre tout. Je serre la clé dans ma main jusqu’à ce qu’elle me rentre dans la paume.

Je suis trop con d’y avoir cru.

La clé vole à travers la pièce. Elle claque contre le mur, puis contre le plancher. Je reste là, à la fixer. Petit point brillant dans mon appartement si sombre. J’avale une nouvelle gorgée. Ça tourne. Tant mieux.

Les minutes passent. Mes yeux me brûlent. Ma gorge se resserre de plus en plus. Et puis, finalement, je bouge. Je rampe jusqu’à la clé. Je la ramasse, avec mille et une précautions inutiles. Je la regarde encore. Impuissant.

Elle m’emmerde cette clé.

Je peux pas me résoudre à la jeter. Ni à la donner à Jona. Alors à tâtons, je trouve mon portefeuille dans ma sacoche. Je soulève une carte, un vieux ticket de métro, un flyer plié en deux — et je glisse la clé derrière tout ça. Là où je peux la garder, sans pour autant l’avoir sous les yeux.

Et puis, sans prévenir, ça lâche. Pas grand-chose. Pas un effondrement. Juste mon souffle qui déraille. Je frotte mes yeux du revers de la main. Pour virer cette merde qui me pique. Mais ça veut pas partir. Alors je retourne me coucher. La lessive peut attendre demain. Quand j’aurais plus toute cette poussière dans les yeux.

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