Chapitre 32 - Partie 1

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Le bar tourne comme d’habitude. Les clients habituels sont là, le stock est à jour, les livraisons arrivent à l’heure. Même les nouveaux fournisseurs ont l’air de comprendre comment on bosse ici.

Matteo a fini par être indemnisé par l’assurance. Daphnée et Matteo arrivent ensemble, maintenant. La première fois, Sofia a poussé un petit cri de surprise. Mais tout le reste de l’équipe ont juste eu l’air surpris ou content pour eux.

Tout roule. Pour tout le monde. Au moins en surface. J’ai esquivé Daphnée autant que j’ai pu. Elle m’a coincé au bout de trois jours. Dans le vestiaire, entre deux shifts. J’ai vu dans ses yeux que j’avais l’air d’un mort ambulant. Et j’ai juste dit que je voulais pas en parler. Ni maintenant, ni jamais. Depuis, on bosse. On fait comme si. Mais à chaque fois que je croise son regard, je sais que je ressemble à rien.

Malgré trois semaines de mutisme de ma part, Jona parle autant. Mais il blague moins. Il garde un œil sur moi sans le dire. Il n’a pas tout pigé — heureusement —, mais il reste aux aguets. A attendre de me rattraper si je me plante. Ou que je parle. Il va attendre longtemps. Je reste vif même si ma consommation quotidienne a doublé.

De toute façon, le gros de l’attention est tourné vers Daphnée. Sur le résultat de son test ADN. Ça doit tomber d’un jour à l’autre. On n’a pas eu d’autres incidents à cause de Thierry. Mais si Daphnée est confirmée comme héritière, on pourrait être débarrassé de ce parasite de façon définitive.

Mon téléphone vibre sur le comptoir. “Nouveau message sur Frangins”. Je l’ignore. Au bout de la troisième notification, je me décide à y jeter un oeil.

Thomas : Bon les gars, faudrait pas oublier l’anniv de papa… Qu’est-ce qu’on lui offre ?

Nate : Bonne question. Y a la braderie de Lille bientôt, Maud a proposé qu’on y aille pour lui trouver un truc vintage comme il aime ? Genre une plaque avec une vieille voiture ou une carte routière pour alimenter sa collection ?

Ma vue se trouble l’espace d’une seconde en voyant son nom. Ce nom que je m’interdis même de penser. Je secoue la tête, m’impose de l’oublier. De passer à la suite.

Thomas : Ouais, bonne idée. D’ailleurs, @Ceddy tu seras là cette année ou pas ?

J’ai pas envie de répondre. Je pourrais ne pas répondre. Ils ont l’habitude des questions qui se perdent… Mais je tape quand même : Non, trop galère de poser un congé ce weekend là.

Un mensonge, bien sûr. J’ai même pas demandé. Je sais juste que c’est mort. Parce que je sais très bien qui sera là.

Elle. J’ai pas envie de la voir. D’affronter son regard. Si seulement elle me regarde.

Et lui. J’ai pas envie de la voir avec lui. De sourire encore. De faire comme si je n’avais pas été à sa place.

Nate : Ok, on regardera pour toi.

Thomas : On t’enverra des photos si on trouve un truc.

Des notifs s’enchaînent : des liens, des vannes, des emojis. Je laisse la conversation se poursuivre sans moi et mon écran s’éteindre tout seul.

  • Alors, tu paries quoi, toi ? me demande tout à coup Jona.
  • Pari ?
  • Pour le résultat du test.

Je hausse les épaules. Tout le monde fait des pronostics depuis l’envoi du test, comme si c’était une loterie. Ça m’énerve un peu. C’est pas un jeu, c’est toute sa vie qui risque d’être chamboulée. Je comprends pas que Daphnée ne réagisse pas. Ou alors peut-être qu’elle ne réalise pas non plus.

Vers dix-neuf heures, son téléphone sonne. Elle s’éclipse dans le bureau de Matteo, seule. Mais c’est comme si toute l’équipe la suivait : tout le monde a les yeux rivés sur la porte.

Pendant quelques minutes, personne ne parle. Matteo reste appuyé contre le comptoir. Sofia attend près de moi. Anna file en cuisine et même les cuistots se pointent, curieux. Le service s’arrête, attendant le retour de Daphnée.

Quand elle revient, elle a le visage fermé, plus pâle que d’habitude.

  • It was the notary, dit-elle. The test results came in. He wants to see me and Thierry tomorrow morning.
  • I’m coming ! assène aussitôt Matteo.
  • I don’t think so, réplique-t-elle, sur la défensive.

Il ouvre la bouche, sans doute pour protester, mais elle enchaîne, plus calme :

  • Thierry and you in the same room ? Even without the heritage thing, it’s not a good idea.

Matteo fronce les sourcils, mâchoire contractée. Il se rapproche d’elle, marmonne un truc en grec. Elle baisse les yeux, fait la moue, puis se tourne vers moi.

  • Cédric, t’es en congé demain, non ? me demande-t-elle.
  • Ouais.
  • Tu pourrais venir avec moi ?

Je reste silencieux une seconde. Y aller, ça veut dire rester seul avec elle. Lui laisser une occasion de me cuisiner. J’en ai aucune envie. Mais il est hors de question qu’elle s’y rende sans être accompagnée.

  • Bien sûr. I’ll go with her, j’explique à mon patron.

Ses épaules se détendent, juste un peu. ll me jette un regard de biais, du genre t’as intérêt à la protéger. Pas besoin. C’est mon amie. Je ne laisserai personne lui faire quoi que ce soit.

Il frappe ensuite dans ses mains et le service reprend comme si rien ne s’était passé. Tout le monde enchaîne sa routine, la cuisine tourne, les verres s’empilent, les commandes s’alignent.

Quand tout se calme enfin, je rentre chez moi. J’engloutis ma dose de gin, me déshabille machinalement et m’écroule sur le lit, sans même bouger les draps.

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