Chapitre 1 : Lydiana

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Lorsque l’on marchait vers l’horizon sans regarder derrière soi dans le monde d’Ekorion, lorsque l’on passait les monts Éternels, on arrivait dans un royaume enchanté où toutes les journées de l’année étaient de chaudes journées d’été, où la nourriture était délicieuse et abondante et où les paysages étaient verdoyants et magnifiques. En raison du long chemin pour s’y rendre, ce petit paradis terrestre était presque exempt de présence humaine. Seuls ceux qui avaient des bonnes raisons de fuir la société s’établissaient dans Nulle Part.

Au milieu de Nulle Part, se trouvait chaumière. C'était vraiment le mot qui convenait le mieux pour décrire la petite habitation. Des murs de pierre d'apparence rustique, un magnifique jardin de roses, une cheminée fumante même en plein été. Certes, c'était une jolie et coquette maison. Une parfaite cachette pour quelqu'un qui ne voulait pas être trouvé.

Lydiana trépidait d'impatience, postée devant la porte. L'adolescente regarda une énième fois dans le judas de la porte. Pour une énième fois, elle ne vit que l'allée et les deux immenses saules pleureurs devant la maison. Rien d'autre. C'était un geste qu'elle avait répété tellement de fois au cours des dernières heures qu'elle en avait mal au cou. Elle ne savait pas si elle avait hâte ou si elle était profondément ennuyée par la perspective de ce voyage. Elle replaça sa tresse de cheveux cuivrés par le soleil d'après-midi et lissa son chemisier dans un geste plus machinal que nécessaire. Elle allait se consumer sur place si son escorte n'arrivait pas immédiatement.

La beauté de Lydiana avait toujours été une fierté pour sa famille. Pour une Fille du Feu, les traits de son visage étaient plutôt fins. Ses cheveux étaient bruns-roux et fins, d'une longueur appréciable qui l’obligeait à les tresser pour éviter qu'ils ne soient dans ses jambes, pourtant enviée par beaucoup de femmes de la cour. Comme pour la plupart des gens du feu, on ne pouvait pas dire d'elle qu'elle était chétive. Sa carrure ne rendait que le tout de son apparence encore plus attrayante. Comme pour couronner le tout, elle avait de profonds yeux gris acier qui faisaient des envieux.

La princesse trouvait absolument navrant qu'on ne la remarque que pour cette beauté superficielle. Elle savait bien qu'elle n’était pas vraiment bavarde, mais elle ne pensait pourtant pas être idiote. Pourquoi donc tout le monde avait-il cette manie de la tenir éloignée des décisions qui pourtant la concernaient ? Ne l'avait-on pas exilée ici, au milieu de nulle part, loin d'Elodoria ? C’était soi-disant pour la protéger, mais elle savait que ce n'était pas la vraie raison. Lydiana soupira. Elle n'avait que douze ans, à l'époque où on avait pris cette décision sans la consulter. Quatre ans, huit mois et 17 jours étaient passés depuis. Peut-être que les mentalités avaient évoluées au château ? Lydiana se le disait pour se donner de l’espoir, mais ne le pensait pas vraiment. En vérité, elle se rendait compte qu'elle bouillait de rage contre toute cette histoire.

— Votre altesse ? Est-ce que vous allez bien ?

Lydiana se tourna, souriant à la domestique qui lui avait parlé. Josie, la femme qui avait été sa seule compagnie durant tous ces mois, ces années d'emprisonnement, la regardait avec un air vaguement compatissant, mais aussi un peu ennuyé. Pour cette femme qui avait pour habitude de ne montrer aucune émotion, c'était en soi plutôt inquiétant

— Oh... Oui oui, dit Lydiana en essayant de retrouver une certaine contenance. Pourquoi donc ?

— Simplement... Les chandeliers ne cessent de s'allumer de façon inusitée, murmura Josie en fronçant les sourcils. C'est un peu effrayant, vous en conviendrez.

Colère et Feu ne faisaient pas bon ménage, Lydiana le savait mieux que quiconque.

— Oh... Oui, je suis navrée, lança Lydiana, consciente qu'il s'agissait d'un événement passablement déplaisant. Toute mes excuses, vraiment, Josie, répéta-t-elle, les yeux dans le vague.

— Il n'y a pas de mal. Votre sac est prêt, d’ailleurs.

— Merci, Josie. Que ferais-je sans vous ?

— Vous seriez peut-être plus raisonnable…

— Ce voyage m’apportera toute la raison dont j’ai besoin. Enfin, je crois.

La femme de chambre inclina la tête, démontrant son scepticisme face à cette affirmation, et se dirigea vers les escaliers. Lydiana en profita pour pencher de nouveau la tête en direction de l'œillet, mais s’arrêta brusquement dans son mouvement lorsqu'elle entendit un cri strident.

Lydiana avait plusieurs défauts, mais elle ne manquait certainement pas de courage. Ainsi, sans aucune hésitation, elle monta les escaliers à la course et rejoignit Josie dans sa chambre, devant un spectacle si étrange qu'elle faillit en éclater de rire.

Il y avait trois personnes dans la penderie, qui les fixait d'un air ébahi. Comment étaient-t-elles arrivées là ? C'était un mystère. Mais Lydiana, en parfaite Elodorienne, pensa immédiatement à un piège et empoigna son petit couteau de chasse qui ne la quittait jamais. Elle le leva devant elle.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle prudemment, se disant qu'il aurait peut-être mieux valu leur demander ce qu'ils fabriquaient dans sa penderie. Qu'est-ce que vous faites ici ? ajouta-t-elle à la suite de cette réflexion.

La surprise passée, elle se rendait compte qu'ils n'étaient pas très menaçants. Ils étaient trois garçons, peut-être un peu plus vieux qu'elle, dont un portait un casque noir qui recouvrait le haut de son visage, ne laissant apparaitre que sa bouche. Les deux autres, la surprise passée, semblaient assez amicaux.

— Votre escorte, mademoiselle la princesse, lança avec un sourire moqueur l'un des garçons dont elle voyait le visage, et surtout les yeux bleus perçants. Et quant à ce qu'on fait ici... C'était le moyen le plus rapide et le plus discret de venir jusqu'ici. D’ailleurs, pourquoi une penderie ? demanda-t-il à la cantonade comme si quelqu’un allait répondre quelque chose de logique.

— Attendez... Trois personnes seulement ? demanda-t-elle sans baisser sa garde, ignorant la dernière question.

— Pas n'importe qui, dit le garçon au casque avec un léger accent qu'elle ne reconnaissait pas. On est des soldats de l'AU. L'Armée Universelle, traduisit-il sous le regard interrogateur de la jeune fille. Sans vouloir me vanter, je crois qu'on est plutôt qualifiés pour l'expédition. Au fait, moi c'est Erik, ajouta-t-il en tendant la main, visiblement pour qu'elle la serre.

Après une légère hésitation, Lydiana la serra. Erik, malgré son visage partiellement recouvert par le casque, lui inspirait confiance. Elle n'était pas vraiment sûre pour les deux autres. Le garçon blond qui avait parlé en premier la fixait avec un mélange de défi et d'amusement. L'autre avait l'air de s'être complètement déconnecté du moment présent et devait être perdu dans ses pensées.

— Voulez-vous... venir au salon ? les invita-t-elle d'une voix qui ne lui semblait pas être la sienne.

Les trois garçons s'extirpèrent de la penderie avec difficulté. La jeune fille descendit avec prudence l'escalier, sentant leur présence derrière elle. En entrant dans le salon, elle osa enfin se retourner. Les trois garçons n'étaient pas plus menaçants que dans la penderie. Ou en tout cas n’avait-il pas sorti d’arme et ne lui avaient pas sauté sur le dos.

Elle leur désigna les fauteuils, incapable de parler avec la boule qu'elle avait dans la gorge. Elle ne savait pas si c'était parce que LE moment était venu, parce que les garçons étaient arrivés par sa penderie de façon si inusitée ou parce que le blond la mettait mal à l'aise avec son regard sondeur, mais elle sentait des émotions diffuses jusqu’au bout de ses orteils.

Les trois garçons s'assirent dans les fauteuils vieillots du salon de la chaumière. Le garçon blond la fixait toujours avec des yeux brillants. Il finit par hocher la tête et dit d'une voix assurée :

— Bon, causons, si vous le voulez bien, princesse.

À ce moment, les éléments s'alignèrent dans la tête de Lydiana.

— Vous êtes Elodorien, vous aussi. Aérien.

Elle eut un mouvement de recul. Si elle avait bien retenu quelque chose de son éducation, c'était bien que la présence d'un tel Aérien dans son salon n'était pas souhaitable. C'était même véritablement catastrophique. Les quatre provinces du royaume d’Elodoria, l’eau, la terre, l’air et le feu étaient en guerre presque constante les unes envers les autres. Se retrouver seule avec un aérien, un homme de l’air, était dangereux.

Elle tâtonna vers sa poche où elle avait remis son couteau, mais le garçon la fixa intensément dans les yeux.

— Vous n'avez pas d'inquiétude à avoir, dit-il avec sérieux. Oui, je suis bel et bien un Aérien. Mais mon statut de soldat m'interdit d'utiliser mes pouvoirs ou ma force dans mon seul intérêt. Et je peux vous assurer que même si ce n'était pas le cas, je ne vous ferais aucun mal. Je comprends que vous n'ayez pas confiance en moi, mais je vous promets d'être à la hauteur.

Il avait fait cette déclaration avec un air tellement solennel que Lydiana en oublia sa crainte pour être mal à l'aise. Elle sentit ses joues commencer à bouillir et supposa qu'elle rougissait comme une pivoine. En même temps, elle avait une légère envie de rire qui lui montait aux lèvres. Elle tenta de se reprendre.

— Quel est votre nom ? dit-elle d’une voix égale.

— Aaron. Oh, et lui, c'est Devin, dit-il en pointant le troisième garçon, qui acquiesça de la tête.

— Hum... bien, dit Lydiana à mi-voix. Quand partirons-nous ?

— Bientôt, lança Erik d'une voix rauque sans plus d'explications.

— Bientôt... répéta Lydiana.

Elle ne savait toujours pas si elle avait hâte de partir. La boule dans sa gorge s'était accentuée avec l'arrivée de ses gardes du corps, mais son envie d’aventure également. Enfin, il y allait avoir de l'action dans sa vie, pensa-t-elle, sans savoir à quel point elle avait raison.

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