Chapitre 2 : les adieux
Le soleil était bien bas dans le ciel, faisant paraitre les nuages roses et le ciel orangé. Lydiana, sa besace sur l'épaule, faisait ses adieux à cette maison qui avait été la sienne pendant les quatre dernières années. Elle avait l'impression que si elle ne regardait pas chaque fleur du jardin, chaque détail sculpté dans le fer du portail, chaque pierre de l'allée, tout allait disparaitre de ses souvenirs dès qu'elle partirait.
Josie, à ses côtés, jetait des regards inquiets en direction de Aaron, Devin et Erik, comme si elle craignait qu'ils ne s'envolent si Lydiana prenait trop de temps.
— Votre altesse. Il est temps de partir, murmura-t-elle à la jeune fille, absorbée par la contemplation d'un rosier.
— D'accord, dit-elle après une profonde inspiration. Je suis prête. Enfin, je crois. Oh, Josie. Vous allez me manquer, lançat-elle d'une voix dont elle essayait de maitriser le tremblement.
— Vous aussi, altesse, marmona la vieille femme. Vous aussi, répéta-t-elle en détournant le regard pour cacher ses yeux larmoyants. Bonne chance.
— Et vous, Josie ? Qu'allez-vous faire, maintenant ?
— Honnêtement, je n'en ai aucune idée. Votre père donnera ses instructions lorsque vous serez en lieu sûr.
— Bien. Bonne chance, Josie.
Lydiana dû faire un effort surhumain pour ne pas éclater en sanglots. Elle trouva néanmoins la force de tourner la tête vers les trois garçons. Josie lui tapota légèrement l'épaule avant de retourner vers la chaumière. Il n'y avait rien d'autre à ajouter, et ni la vieille domestique, ni Lydiana, ne voulait d'adieux larmoyants.
Lydiana se sentait maintenant laissée à elle-même, sans la présence de Josie. Elle avait pourtant l'impression que le domaine la retenait, comme si la petite maison était une personne et qu'elle pouvait éprouver de la tristesse. Ou peut-être était-ce Lydiana elle-même qui s'accrochait désespérément à la petite chaumière et à son jardin de roses ?
Marcher lui semblait impossible, vu ses jambes qui ne lui avaient jamais parues aussi lourdes. Elle inspira un bon coup et fit un pas. Puis un autre. Elle finit par rejoindre les garçons au bout de l'allée.
Erik sauta du muret sur lequel il s'était installé, Devin la regarda avec un sourire qui se voulait rassurant et Aaron détourna le regard lorsqu'elle tenta de distinguer son expression. Elle se râcla la gorge avant de parler d'une voix enrouée :
— Je suppose qu'on peut y aller, maintenant.
— Oui, marmonna Aaron. Euh... Je veux dire, oui, bien sûr, princesse, dit-il avec un accent perché en lui souriant d'un air narquois.
Même si Lydiana savait qu'il se moquait d'elle et que c'était peu convenable de la part d'un soldat vis à vis une princesse, l'accent ridicule de Aaron lui arracha un léger sourire.
Devin toussota dans son poing et commença à marcher. Les autres lui emboitèrent le pas. Lydiana regardait le sol, se concentrait sur le poid de son sac, écoutait les oiseaux, tout pour ne pas jeter un regard en arrière à la petite chaumière.
Les premières minutes passèrent dans un silence écrasant. Pour le moment, ils suivaient la route principale de Nulle Part et n'avaient pas croisé âme qui vive. Lydiana méditait sur cette longue parenthèse qu'avait été ces quatres années.
Pourquoi ? Pourquoi sa présence était requise au château ? Pourquoi tout le monde se comportait comme si ce voyage, ce retour, était un enjeu aussi important ? Pourquoi, si le périple devait être si dangereux, n'engager que trois jeunes soldats ?
La liste de questions dans sa tête ne faisait qu'allonger, plus elle y pensait. Malheureusement, sur cette route banale, il n'y avait rien d'autre à faire que de penser. Quoique... Elle jeta un regard en coin à Devin, à sa gauche. Lui aussi semblait plongé dans une spirale de pensées. D'ailleurs, c'était à peu près tout ce qu'elle l'avait vu faire : être plongé dans ses pensées, coupé du monde extérieur.
Aussitôt, une autre question lui vint à l'esprit : Qui étaient donc ces trois garçons ? Ils l'intrigaient, particulièrement Aaron.
Mais la réponse à cette interrogation, contrairement aux autres, se trouvait à proximité d'elle. C'est à ce moment qu'elle se rendit compte du silence pesant autour d'elle.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle sans même réfléchir à une façon de mieux formuler sa question.
Erik se retourna vers elle. Même s'il était impossible de déterminer précisément son expression faciale, Lydiana supposa qu'il était passablement surpris de cette question, vu sa bouche entrouverte. Ce fut Aaron, visiblement le plus bavard du groupe, qui répondit le premier.
— Je suis le soldat Aaron, Aérien d'Elodoria. Mais ça, vous le savez déjà, princesse. Que voulez-vous réellement savoir ?
— Je ne sais pas... Votre histoire ? Et pourquoi vous êtes là, peut-être... Mais d'où venez-vous, d'ailleurs ?
En disant cela, elle s'était tourné vers Erik et Devin, dont elle ne savait rien du tout. Cette demande fut accompagnée d'un long silence, bientôt rompu par un soupir de Aaron.
— Je suis Greobien, dit soudainement Erik, coupant court à Aaron qui allait dire quelque chose. Et sans-magie. Et lui, ça prendrait une éternité pour déterminer ses origines, ajouta-t-il en pointant Devin. Il a l'arbre généalogique le plus tortueux que j'ai jamais vu.
Devin haussa les épaules, comme si ça n'avait pas vraiment d'importance. Après tout, ce n'étaient pas les origines qui déterminaient la personne que l'on était, pensa Lydiana. Elle était bien placée pour le savoir.
Il y avait encore bien des questions qui se bousculaient dans la tête de la jeune fille. Elle connaissait bien le royaume de Greobia, avec lequel Elodoria commerçait. Elle connaissait l'accent Gréobien, et Erik en avait un très différent. Elle repoussa ses questionnements plus loin dans sa tête. Si Erik ne voulait pas parler de ses origines, elle ne voulait pas être insistante.
— Ça n'a pas vraiment d'importance, dit-elle en se rendant compte qu'elle était restée silencieuse un peu trop longtemps.
Aaron hocha la tête et Erik regarda le ciel. Lydiana décida de se taire.
— Et vous, princesse ? demanda Aaron, le seul qui semblait enclin à discuter.
— Quoi, moi ? marmonna Lydiana, craignant de ne pas comprendre.
— Votre nom, et... qui vous êtes, je suppose.
— Je m'appelle Lydiana, murmura-t-elle, consciente de l'attention que lui portaient maintenant les trois garçons. Je suis une Fille du Feu. Mais je suppose que vous le savez déjà, tout comme la raison de ce voyage.
— En vérité, non. Nous n'avons pas eu vraiment d'autres informations que la consigne de vous emmener à Elodoria. Vous en savez plus que nous, à ce stade-ci.
Lydiana en fut surprise. Elle soupira, dans sa tête, pour ne pas être impolie. Si elle voulait des réponses, ce ne seraient pas eux qui lui les donneraient. Elle avait même tendance à penser qu'ils apporteraient plus de questions encore. Si ce n'avait pas été d'Aaron, elle aurait été complètement désarçonnée, tant Erik et Devin étaient mystérieux.
Lydiana resta silencieuse, même si elle savait qu'Aaron s'attendait à ce qu'elle raconte ce qu'elle savait. Parfois, dire les choses à voix haute ne les auraient que rendues plus vraies. Et pour l'instant, les garçons semblaient bien l'aimer, ou en tout cas, ne pas la détester. Elle ne souhaitait pas tout casser dès le début.
— On a 18 ans, marmonna soudainement Erik. Et je suppose que vous devez avoir à peu près notre âge, non ? demanda-t-il sans que Lydiana ne comprenne où il voulait en venir.
Elle hocha la tête, n'osant pas avouer qu'elle venait tout juste d'avoir 17 ans.
- C'est idiot qu'on se vouvoie. Enfin...
Lydiana sourit. Tout ce qui l'éloignait de son statut de princesse intouchable était, à ses yeux, une bénédiction. Elle acquiescaa avec vigueur.
— Oui, bonne idée.
Elle regarda la bouche d'Erik et constata qu'il souriait. Et elle se rendit compte qu'elle souriait aussi.
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