Chapitre 2 : Gabriel

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Elle est là. Mia. Assise, droite, concentrée. Elle a accepté de nous aider. Et pourtant, je doute. Comment ne pas douter ? Qui suis-je, après tout, pour croire qu’elle resterait ? Après ce que je lui ai fait ? Après ces années où j’ai été plus cruel que nécessaire ? Mais…si elle reste, si elle nous soutient, alors, peut-être… cette guerre changera. Elle est la seule à pouvoir me tenir tête. La seule à avoir osé, et elle est encore vivante. Je ne veux pas perdre. Pas cette fois. Ces créatures, ces trolls,ces sorciers, ils ont levé une armée, et moi ? Je ne les laisserai pas faire.

Je regarde le ciel. Il est haut, clair, presque serein. Trop serein. Je suis à la fenêtre. Je scrute le village que j’ai façonné, pierre après pierre, charme après charme. Cette paix est une illusion, une bulle fragile, et le monde, dehors, est prêt à l’éclater. Il faut faire revenir la magie ici, mais pas n’importe comment, pas partout, pas sans règles.

Je cherche. Je cherche encore. Les livres s’empilent. Les réponses se dérobent, rien ne tient, rien ne fonctionne. Pas encore, et Mia ? Que fait-elle, en ce moment ? Je lui ai laissé de l’espace, mais je sais qu’elle n’a aucune raison de vouloir rester ici. Je me souviens. Quand je l’ai rencontrée, elle n’était qu’une enfant. Une enfant cassée, par son père, par sa mère, mais elle avait cette lumière, faible, mais tenace. Je lui ai enseigné la magie. Froid, sévère, comme toujours, sans douceur, mais elle… elle a résisté. Elle n’a pas plié. Je lui ai donné un ordre.
Le pire. Tuer ses parents. Ils étaient la source de sa souffrance. Je pensais… que ce serait logique. Mais elle a dit non. Elle voulait rester humaine. J’ai vu ça comme une trahison, je l’ai alors enfermée pendant un an dans mon atelier. Un lieu sans air, sans pardon. Elle a lutté, contre moi., contre elle-même. Elle a grandi, trop grandi, et un jour, elle est partie. Elle s’est échappée. Avec toutes ses recherches et à l’aides de mes grimoires elle a fini par créer une faille pour se rendre à New York. Un monde sans magie, un monde sans moi. Elle y est devenue mannequin. Inimaginable. Elle s’est reconstruite, loin de ses parents, loin de la magie, loin de moi. Elle est devenu glaciale, belle, intouchable, et moi ? Je suis resté là. À ruminer ce que j’avais détruit. Aujourd’hui, elle est ici, juste là, dans cette pièce.
Je la regarde, je me demande : puis-je réparer ce que j’ai brisé ? Peut-elle m’aider ? Veut-elle vraiment nous aider ? Ou cherche-t-elle autre chose ? Le téléphone sonne et me sort de mes pensées. Je me lève, je balaie les souvenirs d’un geste. Je dois rester concentré, pas de place pour le passé, pas maintenant.

James entre, comme toujours, sans frapper.
— Vous n’êtes pas sortis depuis ce matin. Il est déjà 13h. Vous devez avoir faim.

Je le regarde à peine et je replonge dans mes notes, mais il insiste. Il dépose de la nourriture. La peur est dans ses yeux ? la magie, pour lui, est un gouffre et il vient pour savoir si nous avançons dans nos projets.

Mia ne lève pas la tête. Elle traduit, ligne après ligne, mais quand je parle de la formule du sort de protection… Elle s’arrête et me regarde.

— Et si on cachait la magie elle-même, plutôt que la ville ?

Une idée brillante. Simple et Évidente. Pourquoi ne l’ai-je pas eue ? Je sens la colère monter.
— Comment ai-je pu passer à côté ? Je suis censé être le plus puissant !

Je me lève trop vite. James sourit.

— Tu as peut-être trouvé ton égal, papa.

— Mia ? Me concurrencer ? Je lui ai tout appris ! Je suis le maître ici, pas elle !

Je quitte la pièce trop fier, trop blessé. Je n’écoute pas sa réponse. Elle me contredirait et je ne veux pas l’entendre. Je n’ai plus rien à faire pour l’instant. Je n’ai plus qu’à attendre.Alors j’attends, et elle repartira quand tout sera fini. Tout redeviendra comme avant. Je me débrouillerai seul pour vaincre Lucas.

Je rentre chez moi, la fatigue m’écrase. Je vais me coucher, mais je ne dors pas, je ne peux pas. Les heures passent, les pensées tournent. Je fixe les murs de pierre brute, froids, silencieux. Les tentures sombres n’apaisent rien, les runes me regardent, inutiles. Je me lève, je n’arrive pas à rester allongé. Je fixe le cadre photo sur ma table de chevet. Émilie. Je murmure :

— Tu me manques tellement…

Je m’assois, les feuilles devant moi dansent, floues, je ne comprends plus rien. Je me laisse happer par les souvenirs. Émilie, je nous revois, sous l’orage, heureux, malgré tout. Elle était là, vivante, je ferme les yeux. Je me souviens du jour où tout a commencé. Il pleuvait, il faisait froid, elle était dans une taverne, ordinaire, mais elle ne l’était pas, elle avait une aura différente, trop vive pour ce monde. Elle m’a vu, pas l’image que je reflétait, non juste moi, Gabriel. Elle n’a pas eu peur, elle n’a pas fui, elle a percé mes masques d’un regard. Un jour, elle m’a dit : « Tu n’as jamais eu le temps de vivre, Gabriel, n’est-ce pas ? » Elle avait raison, j’étais vide, rempli de pouvoir, de solitude, mais vide. Elle m’a fait changer, sans le vouloir, sans le chercher, juste en étant là. Un soir, elle m’a dit, doucement : « Tu n’es pas obligé d’être seul. Tu peux laisser quelqu’un t’aider. » et moi… j’ai voulu y croire. je me suis accroché à ces mots, à elle, mais elle est partie.

Je pose la main sur sa photo, elle ne reviendra pas, et moi, je reste avec la honte, le vide, la mémoire. Je n’ai pas su la protéger, je n’ai pas su la garder, je n’ai plus rien. Rien que ces souvenirs, et le chagrin. Un jour j’espère te retrouver… J’ai bâti cette ville pour elle. En pensant à elle. En souvenir d’elle.

Je revois encore ce jour. Il flotte, suspendu, dans ma mémoire, comme une bulle hors du temps, tout était calme, tout semblait irréel. Nous étions là, assis côte à côte. Le silence entre nous n’était jamais lourd, au contraire, il avait sa propre musique. On parlait, sans but précis, de petites choses, de grandes aussi. Elle avait ce don : transformer l’ordinaire en beauté. Puis la discussion avait glissé, doucement. Elle m’avait parlé de ses rêves, pas ceux qui brillent comme des étoiles inaccessibles. Non. Des rêves simples et purs. Elle voulait voyager, voir le monde, fouler des terres oubliées, entendre des langues qu’on ne parle plus, s’émerveiller devant des ciels ouverts, des lumières douces, des silences pleins.

Je me souviens du moment, quand je lui ai demandé à quoi ressemblerait, selon elle, une ville idéale, un refuge, un lieu parfait. Elle avait fermé les yeux. Juste un instant et dans cet instant, tout s’est cristallisé, quand elle a ouvert la bouche, c’était comme si elle récitait un souvenir qu’elle n’avait pas encore vécu. Elle m’a parlé d’arbres, d’eau claire, d’un vent léger qui efface les peurs. Elle m’a parlé d’un endroit qui console, d’un lieu qui écoute, un espace pour se reposer, pour se relever. Alors, j’ai construit. Chaque pierre, je l’ai posée pour elle, chaque chemin suit la courbe de ses mots, chaque arbre en pensant à ses silences, à sa lumière, à ce qu’elle m’a offert.

Grâce à elle, j’ai changé, elle m’a rendu meilleur, elle m’a appris à voir, à sentir, à espérer, et pourtant, maintenant qu’elle n’est plus là…tout semble creux, comme un souffle qui ne trouve plus de voix, comme un poème sans lecteur, mais je continue. Je marche encore, je veille sur cette ville qu’elle a dessinée dans mon esprit. Je reste, pour elle, pour ce qu’elle a été, pour ce qu’elle est encore, quelque part, pour sa mémoire, qui me tient debout et m’éclaire, quand tout s’éteint.

Il est temps. Que j’essaie de me rendormir. Chaque nuit commence pareil : les yeux clos, l’attente, le cœur suspendu, l’espoir, discret mais tenace qu’elle vienne. Qu’elle revienne. Dans ce monde de brume et de silence, qu’on appelle sommeil, je la cherche, et souvent, je la trouve. Elle est là, pas vraiment, mais presque. Une image ? Non. Plus que ça. Elle me parle, sa voix me parvient, douce, souple, presque réelle. Elle me touche avec les mots, les gestes. Son regard me traverse encore, comme autrefois. Je l’écoute, je la suis, je la reconnais dans chaque mouvement. Son rire, fluide, ses mains, toujours calmes. Cette lumière qu’elle portait, et qui semblait danser autour d’elle, elle existe encore, ici. Parfois, je la prends dans mes bras, rien qu’un instant, une seconde, volée au néant, un battement de cœur. Je sens son poids, son souffle, la chaleur de sa peau contre la mienne, et pendant ce court moment, le monde oublie qu’elle est partie Je n’ai plus qu’elle, ainsi, dans les replis du sommeil, dans cette fiction intérieure, créée pour survivre à son absence. Si elle n’est plus là, son écho reste fidèle, il se glisse dans mes rêves, chaque nuit, et m’offre un peu d’elle. Je refuse l’oubli. Ces illusions sont fragiles, mais elles tiennent debout, elles me tiennent debout. Tant qu’il me reste ces nuits-là, ces rêves tissés d’elle, je ne suis pas complètement seul.

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