Chapitre 7 : Mia

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Je déposai, au petit matin, les bocaux dans ma voiture, soigneusement préparés par Gabriel. Ils étaient destinés à contenir les quatre ingrédients que je devais trouver. Le soleil pointe timidement à l’horizon, effleurant la cime des arbres d’une lumière dorée. Le ciel, encore teinté de bleu pâle et de rose orangé, s’étire lentement. L’air est tiède, empreint de cette fraîcheur légère propre aux premières heures d’une journée d’été. Au loin, on entend le chant discret des oiseaux, saluant l’aube. Tout semble suspendu dans un instant de paix silencieuse, comme si le monde retenait son souffle avant le tumulte du jour. James me rejoint, brisant le silence par de brèves salutations et nous prîmes la route. Les premières heures de ce voyage furent silencieuses, tendues, l’air frais du matin pénétrant dans l’habitacle tandis que, pour la dernière fois, je jetais un regard furtif à la ville qui se réduisait en un point lointain derrière nous. Nous étions partis et le silence ne dura pas, il fut brisé, mais de façon maladroite, comme si James cherchait à combler l’espace avec des mots qui, pourtant, semblaient trop lourds :
— Tu aurais pu le faire seule, je le sais… Mon père… il s’est conduit comme un idiot.
Je ne réfléchis même pas.
— Ce n’est pas la première fois, répondis-je.

La traversée s’étira, chaque kilomètre semblant alourdir l’atmosphère. Je n’avais pas besoin de le regarder pour savoir qu’il m’observait, qu’il analysait, cherchant peut-être à comprendre si je l’accusais aussi de ma colère. Mais ce n’était pas le moment.

— On a une mission, dis-je. À deux, ce sera plus rapide. et ton père veut que tu viennes, je peux comprendre que tu ne veilles pas lui tenir tête.
— Je sais lui tenir tête, mais il est borné et là ça n’aurait servi à rien.
— Je sais.

Je fixai la route, mes pensées défilèrent, puis, James brisa le silence, cette fois-ci plus franchement.
— Pourquoi tu fais ça ? Franchement, tu n’as rien à gagner. Tu as ta vie loin de lui, loin de nous. Qu’est-ce qu’il t’a promis ?

Je pris une grande inspiration, marquée par l’hésitation. Lui dire toute la vérité, ou me contenter de quelques bribes ? Devrais-je lui avouer que son père, cet homme qu’il chérit, était aussi responsable de ce que j’étais devenue ? Et que mon propre géniteur avait forgé cette colère qui semblait nous lier tous les trois ? Je répondis finalement, d’un ton presque distrait, cherchant à masquer la vérité derrière une façade froide :

— Ton père m’a promis que si je lui rendais ce service, il me laisserait tranquille. Pour toujours. » Il ne sembla pas dupe. Il savait qu’il y avait davantage derrière tout ça. Gabriel ne faisait jamais de promesses sans contrepartie, mais pour l’instant, ce détail importait peu.

— Et puis, nous avons un ennemi commun. Lucas et moi avons des comptes à régler. C’est pour ça que je suis de votre côté.

Il me fixa un instant, surpris. L’idée que je connaissais Lucas, qu’il y est un lien entre nous, semblait le déstabiliser. Mais il ne posa aucune question, respectant mon silence avec une prudence rare, ne cherchant pas à en savoir davantage. Lorsque nous arrivâmes à New York, l’impact de la ville se fit immédiatement sentir sur James. Les immeubles se dressaient autour de nous comme des géants, leurs façades imposantes, et l’agitation incessante des rues, les bruits, les voix, les lumières, tout vibrait d’une énergie qui me semblait presque étrangère aujourd’hui. Je la connaissais par cœur, cette ville, mais lui, qui avait vécu toute sa vie dans la tranquillité d’Ostaria, ne pouvait que rester ébahi par le chaos organisé qui s’étendait sous ses yeux. Je jetai un coup d’œil furtif vers lui. Ses yeux étaient écarquillés, fascinés par chaque détail, chaque mouvement autour de lui. Cette ville, pourtant si familière, semblait aujourd’hui différente. Cette ville m’avait rendue libre. Libérée de Gabriel, libérée de mon père, loin de ce monde où l’on cherchait à me forger un destin contre mon gré.

— Comment allons-nous trouver tout ce qu’il nous faut ?

— On va poser nos affaires chez moi et manger. Ensuite, on se mettra au travail. Je connais bien cette ville, je sais où chercher.

Nous marchâmes ensemble, traversant les rues animées. Sur les affiches géantes qui ornaient les murs, ma photo trônait fièrement en tête d’affiche. Un détail anodin pour moi, mais je savais que James ne pouvait pas passer à côté de cette image. Je ne savais pas ce que je ressentais à cet instant. De la fierté ? De la gêne ? Peut-être un peu des deux, et davantage encore. Une fois arrivés dans mon appartement, je le conduisis dans l’une de mes chambres d’amis.

— Tu peux t’installer ici pour les quelques jours à venir. La salle de bain est derrière cette porte. Je vais faire livrer notre repas. »

Il me remercia d’un signe.

Je m’éloignai de la chambre, le vrai travail allait commencer. Trouver les ingrédients, faire face à Lucas et surtout survivre. Dans le salon, je posai les plats, la lumière entrait à flots, aveuglante. La ville s’étalait sous mes yeux, vivante, peut-être était-ce le fait de ne plus être seule. . James m’avait rejoint sans poser trop de questions, respectant mon espace, ma vie, même si elle semblait pour lui un terrain inconnu, parfois hostile. Tout cela était en train de changer. Le passé que j’avais tant fui revenait à moi plus tangible que jamais.
— Nous commencerons les recherches après avoir mangé.

Après le repas, la chaleur de l’appartement contrastait avec l’air frais de la ville, mais je ne pouvais me détendre. Le travail commençait à peine. Nous étions ici pour une mission, et chaque seconde comptait. Je pris une grande inspiration avant de me tourner vers James, qui observait le décor avec une certaine réserve, comme s’il attendait un signal, une direction à suivre.

— Prêt à commencer ?
Il acquiesça silencieusement, mais je pouvais voir qu’il n’était pas à l’aise. Bien sûr, il n’avait jamais été dans cette situation avant. Une mission hors des frontières de son monde, loin de la magie. On sortit.
La ville nous avala. Les bruits, les odeurs, les couleurs ? tout était plus vif, mais mon objectif restait clair : trouver les quatre ingrédients nécessaires à la potion de Gabriel.

— La branche de pommier, c’est relativement facile à trouver, il y a des parcs où l’on peut en cueillir. L’œillet et la pivoine aussi, mais la mandragore... ça ne pousse pas dans les rues. Je la commanderai sur internet et c’est ce qui nous prendra le plus de temps.

James hocha la tête, absorbant mes paroles. Un lien que je n’avais pas cherché à tisser grandissait silencieusement entre nous.

Nous traversâmes quelques rues, jusqu’à un petit marché où je savais que l’on pourrait trouver les fleurs. Un vieux fleuriste nous accueillit dans son échoppe, ses yeux perçants fixant chaque mouvement que nous faisions. Je m’avançai, sans prêter attention à son regard, et m’enquis des plantes.

— Je vous ai déjà vue quelque part…

Il ne manquait plus que ça... Je fis un faux sourire. Je n’avais pas le temps de rester trop longtemps ici.

— C’est vous sur les affiches dans les rues ! Vous venez dans ma boutique ! Je dois prendre une photo ! Immortaliser l’instant ! Les gens vont se bousculer pour venir ici ! Et cet homme... C’est votre petit ami ? Oh, les potins que je vais pouvoir vendre aux magazines !

— Je suis désolée, je n’ai pas énormément de temps. Mon frère et moi sommes invités à un dîner de famille et nous aimerions offrir un bouquet d’œillets rouges et de pivoines noires à ma mère. Ce sont ses fleurs préférées. Si vous vous dépêchez, je serai ravie de prendre une photo avec vous.

James ne dit rien, les mains dans les poches il resta silencieux. Le vielle homme me fixa, un peu suspect.

— Votre frère... Bon, je vous fais ça.

Je réprimai un soupire de soulagement. Il ne me connaissait que par mon image et non par mon histoire. Sinon, il aurait su que je n’avais pas de famille et que James n’était pas mon frère. Cet homme voulait simplement gagner de l’argent. L’échange se fit sans plus de paroles et, une fois dehors, nous reprîmes notre quête. La recherche se poursuivit ainsi.

Nous nous dirigions maintenant vers le parc le plus proche, espérant y trouver un pommier. James n’avait pas encore dit un mot depuis que nous avions quitté le fleuriste. Il marchait à mes côtés, son regard rivé sur les trottoirs, sur les affiches et les vitrines, mais aussi sur moi. Une part de lui se demandait sûrement ce qui se passait dans ma tête. Nous avancions, le vent frais nous fouettant le visage. Le dernier ingrédient nous attendait au détour d’un parc. Une fois récoltés, nous pourrions rentrer chez moi.

Nous étions arrivés au parc, mais c’était sans compter sur l’affluence. Une foule dense s’étendait devant nous, rendant l’endroit presque étouffant.
— Évidemment… soufflai-je intérieurement. Ça ne va pas faciliter les choses…

— Allons-y, déclara James avec assurance, son regard fixé droit devant lui.

— Oui… allons-y, répondis-je, moins convaincue, en inspirant profondément.

Nous avancions dans les allées du parc, essayant tant bien que mal de nous frayer un chemin parmi les passants. Il fallait presque slalomer entre les groupes, les familles, les joggeurs, et surtout tous ceux qui, les yeux vissés à leur écran, marchaient sans voir, inconscients du monde autour d’eux. C’était comme traverser une mer de visages absents, où chacun semblait enfermé dans sa propre bulle numérique. Le contraste entre notre tension intérieure et l’insouciance de ceux qui nous entouraient rendait la scène presque irréelle.

— Voilà un pommier.

Je ramassai une branche au sol, l’air de rien, et la glissai discrètement dans mon sac, comme si ce simple geste relevait d’un acte interdit. Il y avait quelque chose de presque coupable dans ma manière de faire, comme si la nature elle-même n’appréciait pas qu’on s’en empare, même pour un instant. Le bois craqua doucement entre mes doigts, un son léger mais qui, dans le silence intérieur de ma concentration, me sembla presque trop fort.

Une fois l’objet dissimulé, je relevai les yeux vers James. Il observait les environs avec une expression étrange, presque fascinée. Ses yeux suivaient les passants, absorbés par la frénésie du lieu. Il semblait à la fois curieux et décontenancé, comme s’il découvrait pour la première fois cette humanité pressée, ce rythme effréné qu’imposait la ville.

On lisait dans son regard une forme d’étonnement face à cette foule anonyme qui défilait, les traits tirés, les regards absents, les pas précipités. Une mécanique humaine en mouvement, où chacun avançait sans réellement voir l’autre, emporté par une routine invisible. Face à cette surprise dans ses yeux je lui proposa de lui faire visiter la ville.

— On a terminé. Il ne reste plus qu’à attendre la livraison de la mandragore.
Je marquai une pause, hésitant un instant, puis ajoutai avec un léger sourire :
— Ça te dirait de visiter un peu la ville en attendant ?

James tourna la tête vers moi, visiblement surpris par ma proposition, mais dans son regard, je ne vis aucune hésitation, seulement une curiosité sincère, presque un éclat d’enthousiasme discret.

— Avec plaisir, répondit-il après un court silence. J’aimerais bien voir comment les gens vivent ici… savoir si tout est vraiment aussi beau que ce que j’ai pu en apercevoir jusqu’à maintenant.

Il parlait avec une douceur inhabituelle, comme si, pour une fois, il se permettait de ralentir, de simplement observer le monde plutôt que d’y réagir, et moi, pour la première fois depuis longtemps, j’avais envie de partager un moment simple, sans urgence ni poids sur les épaules. Juste… voir la ville, la découvrir à travers ses yeux.

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