Chapitre 8 : Lucas

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Le passage dans ce monde sans magie s’était révélé plus aisé que prévu. Une brèche discrètement ouverte, quelques alliés fidèles à mes côtés, et me voilà, debout, sur une terre inconnue, pourtant si familière dans l’atmosphère qu’elle dégageait. La ville de Gabriel. Cette forteresse invisible qu’il avait bâtie en retrait du monde, loin des regards curieux, loin de moi.

Elle semblait silencieuse, presque figée dans une paix artificielle. Mais sous cette surface tranquille, je savais que mon ombre planait déjà. Une menace latente. Implacable.

Je me glissai entre les arbres de la forêt dans laquelle nous avions atterri. Les feuillages bruissaient doucement, comme s’ils chuchotaient à notre passage. Un de mes hommes murmura derrière moi, nerveux. Il savait qu’un seul faux pas pouvait nous trahir. Gabriel ne devait rien savoir de notre présence. Pas encore.

— En reconnaissance, ordonnai-je calmement. Trouvez un point d’observation. Les autres, cherchez un abri, quelque chose d’assez discret pour ne pas éveiller les soupçons.

La patience serait notre première arme, mais la vigilance… elle serait notre survie.

Deux heures passèrent. Le vent avait tourné, le ciel s’était assombri. Enfin, mon informateur revint, son visage trahissait l’importance de ce qu’il avait appris.

— Gabriel… commence à rassembler les éléments nécessaires pour ramener la magie ici. Il veut se venger de vous, et pour ça, il a fait appel à votre fille.

Un battement. Mon cœur, gelé un instant.

— Ma fille… Mia… elle est en vie ?

Il hocha la tête, grave.
— Il l’a envoyée à New York pour récupérer des ingrédients.

Je serrai les poings. Une vague sourde de colère remonta en moi, brûlante. Gabriel utilisait ma propre fille contre moi, comme si elle lui appartenait, comme s’il avait le droit de la manipuler, de l’impliquer dans ses manœuvres pathétiques.

— Nous restons invisibles, ordonnai-je. Qu’il pense que son plan avance, qu’il se croit intouchable, et quand il baissera la garde… je brûlerai cette ville jusqu’à ses fondations.

Les ruelles que j’observais de loin semblaient m’épier à leur tour. Chaque pierre, chaque bâtisse portait l’empreinte de Gabriel. Tout ici lui obéissait, mais ce n’était qu’une illusion, une forteresse sans fondations s’écroule sous la moindre fissure, et j’étais cette fissure.

Je restai dans l’ombre, j’attendais. Les informations que nous avions recueillies n’étaient qu’un début, une toile se tissait, et Gabriel, dans son arrogance, ne voyait pas que les fils glissaient entre mes doigts. Il avait fait appel à Mia pour servir ses desseins, croyant pouvoir modeler le futur, mais il ignorait que le passé allait le rattraper, et je suis ce passé, implacable, inévitable.

Un frisson me parcourut. Lorsqu’elle reviendrait, tout serait en place. Je savais exactement quoi faire. Je détruirais cette ville, pas par vengeance seulement, mais parce que Mia viendrait la défendre. Elle essaierait de sauver ces gens, alors je la prendrai. Je l’arracherai à ce monde illusoire qu’elle s’est choisi, je la briserai, la plierai à ma volonté comme elle aurait toujours dû l’être et Gabriel perdra tout, absolument tout, mais pas maintenant. Le silence est une arme, l’ombre aussi. J’attendrai.

Les jours passèrent, lents, calculés, oppressants. Chaque mouvement en ville était mesuré, chaque pas surveillé. Les rumeurs se confirmaient : Gabriel avait bien entamé les rituels préparatoires. La magie reviendrait. Ce n’était plus une hypothèse, c’était une certitude, et quand elle reviendra, elle emportera l’équilibre de ce monde avec elle.

Mes hommes restaient tapis, comme des loups dans la neige, invisibles, mais prêts à frapper. Pourtant, malgré leur fidélité, l’attente me dévorait. L’inaction, même stratégique, me brûlait de l’intérieur. La nuit, je me retrouvais seul. Le vent soufflait à travers les feuillages, porteur de murmures anciens. Parfois, je croyais entendre son nom, soufflé dans les branches. Mia.
La ville dormait, mais j’avais l’impression qu’elle me regardait, elle aussi. Gabriel avait créé cet endroit. Il allait bientôt en payer le prix.

L’image de Mia s’imposa à moi, aussi nette qu’un souvenir gravé dans le marbre. Une époque lointaine, une autre vie. Elle était petite, frêle, dans cette grande salle austère, elle se tenait droite, mais tremblante. Elle venait de faire une erreur, une faute minime, sans conséquence, mais à mes yeux, c’était une faiblesse à éradiquer. Je me rappelais chaque détail : l’odeur de poussière, le bois humide, l’air pesant comme un avertissement. Elle portait une robe légèrement tachée de terre. Elle avait mal exécuté une tâche simple, et moi, je l'avais punie.

Je l’avais attrapée sans un mot et jetée contre le mur. Elle ne s’était pas débattue, elle savait que ce serait pire, alors elle avait encaissé. Je lui avais ordonné de tout ramasser, à genoux, sous mes yeux, des heures durant. Elle pleurait, mais je ne l’avais même pas vue. Ce n’était pas une punition, c’était une leçon. Une mise au pas. Elle devait apprendre, obéir, et j’avais été fier. Froidement, pleinement fier. Elle était faible et j’étais là pour la modeler. Ce souvenir revenait encore, limpide comme une scène de théâtre que je rejouais pour m’en nourrir. Elle était mienne, je l’avais façonnée et je n’avais jamais regretté, mais finalement elle a fini par se libérer de moi, mais ce n’est plus qu’une question de temps.

Je rouvris les yeux. Le vent frappait ma peau, glacé, tranchant, et pourtant, une chaleur malsaine montait en moi. L’image de Mia, cette fois plus grande, plus forte, refusant de plier… Cela me fascinait, mais bientôt, elle plierait. Je la briserais encore, jusqu’à ce qu’elle n’ait d’autre choix que de m’appartenir, à nouveau. Elle reviendra. Elle n’aura pas d’échappatoire. Il n’y a plus de place pour l’indépendance dans le monde que je vais bâtir. Gabriel ramène la magie ? Qu’il le fasse. Il me prépare le terrain sans même s’en douter, et lorsqu’il comprendra… ce sera trop tard. Il me suppliera, il pliera genou, et moi ? Moi, je l’observerai s’écrouler, lentement. Et je savourerai chaque seconde, mais pour l’instant, je reste dans l’ombre, je regarde, je guette et je souris.

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