Chapitre 5 : James

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L’ambiance pesait, dense. Depuis plusieurs jours, Mia et mon père s’affrontaient, toujours pour les mêmes raisons, toujours avec la même intensité. Au début, je dois l’avouer, cela m’avait presque amusé. Peu osaient défier mon père, encore moins avec une telle audace. C’était… nouveau, étrange, presque fascinant. Voir quelqu’un lui tenir tête, refuser de courber l’échine, remettre en cause chaque mot avec une fougue implacable, mais à force, c’était devenu lourd, usant. Une spirale de reproches et de fiertés blessées, et ce soir-là, rien n’avait changé.

Quand je poussai la porte de l’atelier, L’air vibrait, saturé. Les murs captaient encore les dernières secousses du choc verbal. Gabriel était à sa table, les mains figées sur un grimoire ancien. Les runes sur la couverture pulsaient doucement, comme un cœur invisible. Son regard, aigu comme la lame d’un glaive, transperçait Mia.
Elle, droite, immobile, plantée face à lui, était tendue comme une corde sur le point de rompre. Les bras croisés, le menton haut, la mâchoire crispée. Elle résistait. Encore.

— On ne peut pas chercher une autre voie. Le temps nous file entre les doigts ! Je veux pas rester enfermée ici à attendre ! dit-elle. Chaque mot coupait l’air, tranchant, net.

Gabriel claqua le livre. Le son résonna dans tout l’atelier. Un écho sec, brutal.

— Tu ne comprends pas l’ensemble. Tu regardes un morceau et tu crois saisir l’image entière, dit-il. Sa voix était froide, comme à son habitude.

Je ne bougeai pas. Appuyé contre l’encadrement, bras croisés, je les regardais, spectateur résigné. Cette scène, je la connaissais déjà trop bien.

— Si mon idée était idiote, on l’aurait prouvé ! Mais non. Tu préfères croire que tu détiens la vérité ! s’emporta Mia. Elle s’avança d’un pas.

Gabriel plissa les yeux. Il n’aimait pas qu’on le défie. Ce n’était pas juste de l’orgueil, c’était une habitude, un mode de fonctionnement. Il décidait et les autres suivaient.

— Je perds mon temps à discuter avec une ignorante arrogante ! On fera comme j’ai dit !

Il se leva. D’un mouvement sec, il contourna la table, marcha vers la porte et sortit sans se retourner. Le claquement du battant fit trembler les vitres.

Le silence revint, un silence tranchant, figé dans l’électricité résiduelle. Mia ne bougea pas tout de suite. Son regard restait fixé vers la porte puis ses bras retombèrent, comme vidés. Elle soupira, lâcha prise et passa une main dans ses cheveux. Elle était à bout. Je fis quelques pas.

— Je crois que personne n’a jamais tenu tête à mon père aussi souvent que toi, dis-je. Un sourire flottait sur mes lèvres.

Elle me regarda. Son visage restait tendu, mais ses yeux se radoucirent. Elle ne répondit pas, elle respirait encore par à-coups, comme si elle retenait quelque chose. Un cri, peut-être ou des larmes. Je dis alors :

— Viens.

— Où ça ? Demanda-t-elle.

Elle se méfiait.

— Tu verras.

Elle hésita, puis haussa un sourcil. Enfin, elle acquiesça.

Un peu plus tard, nous étions dans la forêt. À la lisière d’une clairière, c’était là que je venais m’entraîner, parfois. Deux épées d’entraînement étaient appuyées contre un tronc. J’en ramassai une, lançai l’autre vers elle. Elle la saisit instinctivement, comme si elle avait fait ce geste mille fois.

— Tu sais manier une épée ? demandai-je.

Elle fit tourner la lame. Testa le poids, l’équilibre.

— Un peu, dit-elle avec un sourire en coin.

Je levai un sourcil. Elle mentait, je le sentais. Ce n’était pas « un peu », c’était naturel. Presque trop. Je me mis en garde. Fis un pas. Attaquai, sans viser fort. Juste pour voir. Elle esquiva, fluide. Répliqua aussitôt. Mon bras para, de justesse, l’impact me remonta jusqu’à l’épaule.

— Pas mal, soufflai-je.

Elle restait muette. Son regard fixé sur moi. Calculateur. Je frappai de nouveau. Deux fois, trois fois. Elle déjoua tout. Ses mouvements étaient précis, sans fioritures. Elle ne cherchait pas à impressionner, elle cherchait l’efficacité. Je reculai essoufflé.

— Tu m’as menti.

— À quel sujet ? demanda-t-elle.

— T’es bien meilleure que "un peu".

Un léger sourire étira ses lèvres. Elle jouait avec la garde de l’arme, presque distraitement. Pourtant, elle restait sur ses appuis. Prête.

— Gabriel ne m’a pas appris que la magie. Il m’a entraînée au combat aussi. Longtemps. Tous les jours.

Je fronçai les sourcils. Mon père ne faisait ça que lorsqu’il voyait… un potentiel rare.

— Et dans l’autre monde ? Tu as continué ?

— Là-bas, dit-elle en pivotant doucement, on apprend vite. Parce que ne pas savoir, c’est mourir.

Elle attaqua vraiment cette fois, je dus bloquer avec toute ma force. Le choc me fit vaciller, elle enchaîna, mena la danse, me repoussa.

Elle lisait dans mes gestes, chaque attaque anticipée, chaque défense contournée.

— Tu te bats bien, lançai-je. Entre deux souffles.

— Toi aussi. Mais…

Elle tourna, me désarma, ma lame vola, retomba dans l’herbe. Elle pointa la sienne vers moi, un éclat de malice au fond des yeux.

— … pas assez bien.

Je ris. Essoufflé. Elle m’aida à me relever. Son rire, léger, s’échappa aussi, vrai, simple. Il chassa la fatigue d’un coup.

Nous reprîmes, plus vite, plus fort. Moins pour gagner que pour… sentir. Ressentir. Nous frappions, esquivions, nous croisions. Une danse, rythmée, hachée, belle. Nos souffles se mêlaient. Nos rires aussi, parfois, et puis ce fut la fin. Plus un geste, plus une attaque, juste nos deux corps, haletants. Les pointes baissées, nos regards liés. Un sourire, complice, muet.

Nous reprîmes la route. Le combat avait laissé des traces, autant sur nos muscles que dans nos pensées. Le silence nous accompagnait, mais cette fois, il ne pesait pas. Il était apaisant comme si, l’espace d’un instant, nous avions laissé tomber nos masques.

— Tu t’es bien défendu, dit-elle sans se retourner.

— Tu m’as battu, reconnais-le.

— Peut-être mais t’as tenu plus longtemps que je l’aurais cru.

Elle sourit. Pas par moquerie mais presque par respect.

Le chemin serpentait entre les arbres, la lumière filtrant en taches douces sur le sol.

— Tu crois qu’on a une chance ? demanda-t-elle soudain.

— Contre Lucas ? Peut-être, si mon père ne nous fait pas exploser avant.

Elle rit. Un vrai rire, sans défense. Ça me surprit. Elle marqua une pause.

— Un jour, j’aurais pu le suivre n’importe où. J’aurais tout fait pour lui. Aujourd’hui… je suis plus sûre de rien.

Je n’avais rien à répondre parce que je ressentais la même chose, sans l’oser.

— Je pensais que fuir Ostaria serait la fin, ajouta-t-elle. Mais parfois je me dis… qu’on est juste dans un autre piège.

Le silence revint mais cette fois, il avait le goût d’une vérité partagée. Quand on arriva en vue des premières maisons, elle s’arrêta.

— Merci pour ce moment, James. C’était… simple. J’en avais besoin.

Je hochai la tête.

— Moi aussi.

La nuit tombait, douce. Les arbres filtraient la lumière. Le silence, cette fois, n’était pas tendu. Il était paisible. Chez moi, tout était calme, trop calme, mais ce soir, ça ne me pesait pas. Je m’allongeai. Le plafond au-dessus de moi semblait plus haut. Je fermai les yeux, mes muscles me rappelaient chaque mouvement, mais mon cœur était léger. Mia était plus qu’une magicienne. Elle était une flamme, une combattante, un rappel qu’on peut tout perdre sauf le courage. Je sombrai dans le sommeil, sans lutte cette fois. Demain, tout recommencerait, mais ce soir, nous avions gagné un peu de paix. Mes cauchemars me laissaient tranquille cette nuit, le sommeil paisible m’avait trouvé, nous allions gagner car nous avions un élément en plus dans la bataille, un bonus, Mia.

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