Chapitre 15 : Lucas

4 minutes de lecture

La magie revenue, brûler cette ville n'était plus qu’un jeu, un divertissement. Autrefois, elle débordait de vie, des rires, des courses d’enfants entre les étals, des voix entrelacées sur les places pavées, maintenant, seules mes flammes me répondaient, elles grimpaient, libres, comme des bêtes affamées, elles avalaient les toits, rongeaient les murs, dévoraient bois, tissus, souvenirs. L’air vibrait : chaleur, cris étouffés, cendres en spirale. Un geste, une pensée et elles m’obéissaient.

La fumée rampait, d’abord fine, puis dense, elle avançait comme une bête lente, traînant son ventre noir dans les ruelles. Elle montait, étranglait le ciel, bouchait l’horizon. En dessous, plus rien. À peine deux mètres de clarté, le souffle manquait, l’odeur âcre du brûlé, mêlée au désespoir, collait à la peau et les gens couraient, hurlaient. Fuyez, misérables. Leurs silhouettes flottaient entre les ombres, se cognaient aux murs, se perdaient, mais elle, elle restait là. Fière, silencieuse. Mia.

Ma bouche s’étira. Un sourire, sec, glacial. Pas de joie, pas d’amour, juste le souvenir d’un passé exhumé.

— Tu as bien grandi, soufflai-je.
Ma voix passa les flammes, un murmure venimeux. Elle se tut. Ses yeux, sombres, plantés dans les miens, pas de peur mais un mépris franc. Elle me défiait. Elle était une femme maintenant plus une enfant. Sa magie l’entourait, vivante mais discrète dû au manque de pratique depuis toutes ces années à vivre dans ce monde. Son regard, ce refus, m’arracha un rire, un son rauque, brut, sans chaleur, juste la cruauté. Le poison que je suis.

— Toujours aussi rebelle, hein ? Mais ça passera, tu verras.

Elle leva les yeux, calme et moqueuse comme si je n’étais qu’un vieux souvenir, puis elle avança, un pas, puis un autre. Le feu s’écarta, sa magie le repoussa, comme une seconde peau. Elle passa le brasier, sans un cri.

— Tu ne gagneras jamais, Lucas.

Sa voix était droite, mais je perçus la fêlure, minuscule, un souffle. Elle avait peur et elle le cachait mal. Moi, je le sentais, dans son souffle, dans ses muscles. Elle n’était pas prête.

Je bougeai à peine. Le feu bondit, une muraille, une tempête. La fumée l’enveloppa, épaisse.
Elle toussa, s’étrangla, piégée.

— Tu crois t’échapper. Tu crois te dresser contre moi, mais tu es de mon sang. Tu finiras par le comprendre.

Elle voulait rassembler ses forces, elle essaya de lutter, mais l’air brûlait et la magie chancelle quand le corps faiblit. Ses jambes plièrent et elle s’effondra. Le feu l’avala, je m’avançai, un pas après l’autre. Le sol grinçait sous mes bottes, je savourais chaque battement de temps. Je me penchai.
— Et oui, ma chère Mia… Toujours frapper en traître.

Je tendis la main, ses poignets étaient inertes. Le feu refermé sur nous et nous disparitions. Je la posai dans sa chambre d’enfant, pas de fenêtre, pas de soleil, juste de la pierre, mouillée, froide. Le sol, irrégulier, un lit de fer, rien d’autre.

Je soulevai une dalle, en dessous, il y avait un coffre et dans ce coffre : les menottes noires anciennes en obsidienne, forgées dans un alliage d’un autre temps. Elles tuaient la magie dès qu’elles se refermaient.

Mia reprenait conscience, ses paupières tremblaient. Je m’approchai, vite, précis. Les menottes claquèrent, elle sursauta, mais trop tard. Elle était à moi.

— Tu ne t’enfuiras plus, dis-je.

Je l’attachai au lit, pas de faille, pas d’oubli, ni ruse, ni force ne l’aideraient. Elle me regarda, ses yeux brûlaient, mais derrière la rage il y avait la peur, une peur lente, une peur qui comprend. Elle comprenait, ce n’était pas juste un enlèvement, c’était… un retour.

Je me levai et quittai la pièce. La porte de fer grinça quand je la refermai.
— Je m’occuperai de toi plus tard.

Dans les couloirs, je marchais lentement. Les pierres me parlaient, les portraits étaient arrachés, les miroirs brisés, les meubles détruits. Tout suintait le passé, de mes états de colère. Un cadavre vidé de son sang, mais maintenant qu’elle était là…quelque chose bougeait, un frisson ancien.

Je poussai la porte de mon ancienne salle d’étude, les grimoires m’attendaient, poussiéreux, interdits. J’en touchai un, le cuir craquelé mais la magie encore chaude. Tout ce savoir, je pourrais le lui transmettre, elle pourrait être mon emprunte sur cette terre, elle pourrait être comme moi, et elle finira par l’être, elle détruire tout car je lui apprendrait, mais d’abord, elle devait oublier, oublier Gabriel, oublier cette lumière

Je vais briser cette étincelle dans son regard. Cette flamme absurde, orgueilleuse, qui la pousse à me défier, à croire qu’elle peut me résister. Cette rébellion puérile, nourrie par des illusions de justice et de tendresse, je l’éteindrai lentement. Systématiquement. Elle finira par se tenir à mes côtés. Non par adhésion, mais par compréhension, parce qu’elle aura vu, de ses propres yeux, que la compassion n’est qu’une chaîne, que l’amour, qu’on glorifie comme une force, n’est qu’un poison doux, lent, insidieux. Elle apprendra que la faiblesse commence là où naît l’espoir, et que ceux qui espèrent finissent toujours déçus, brisés ou morts.

Pour régner, il faut être tranchant froid et cruel. Le monde ne récompense pas les âmes généreuses, il les dévore. Je lui ouvrirai les yeux, je lui montrerai ce que l’ombre peut offrir à ceux qui l’embrassent pleinement. Le pouvoir, le respect, la peur, l’immortalité du nom, au prix de la moralité et si elle refuse… alors je l’arracherai à elle-même. Pièce par pièce jusqu’à ce qu’il ne reste que le reflet de ce que j’aurai voulu qu’elle soit. Mon héritière, une souveraine de cendre et d’ombre. Je vais la laisser réfléchir seule enfermé dans son ancienne chambre, que les souvenirs lui reviennent. Pendant ce temps, moi, je vais préparer tout mes plans, car j’ai plus d’un as dans ma poche, et j’ai plusieurs éléments pour faire plier Mia.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lilou Deladeuille ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0