Chapitre 21 : Gabriel

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Mon plan était clair, rassembler tout le monde, les préparer à la guerre, coordonner les forces pendant qu’en parallèle, je partirais seul en reconnaissance. C’était la seule option viable. Je ne pouvais pas risquer un affrontement à l’aveugle. Il fallait d’abord comprendre, observer, jauger leurs défenses, leurs mouvements et surtout, il fallait retrouver Mia si une ouverture se présentait, si une faille se dessinait dans leur vigilance, je la ramènerais, mais si les circonstances ne le permettaient pas si elle était trop bien gardée, ou si le moindre faux pas pouvait nuire à la mission, alors je prendrais le temps. J’établirais un plan d’attaque précis, froid et imparable. Ce n’était pas de l’héroïsme, c’était une nécessité, chaque décision devait peser juste pour les autres, pour tout ce qu’on avait encore à défendre. Je n’avais pas droit à l’erreur.

Les gardes étaient nombreux. Lucas avait renforcé sa sécurité, visiblement conscient que sa forteresse n’était plus aussi imprenable si je venais. Mais cela m’importait peu. Je n’étais pas venu pour la discrétion ni pour une attaque furtive. J’étais venu pour frapper. Pour faire trembler ses murs. Les premiers soldats s’étaient élancés sur moi avec une détermination admirable. Elle fut de courte durée. Je les repoussai sans effort, les projetant contre les murs avec une force nourrie par ma magie et une colère qui montait en moi comme une marée noire. Leurs cris résonnaient dans les couloirs de pierre, étouffés par les impacts sourds de leurs corps fracassés, mais plus j’avançais, plus ma fureur prenait le pas sur le contrôle. Je ne me contentais plus de les neutraliser. Je les écrasais sans pitié. Le sang tapissait les murs, glissant lentement sur les pierres comme une offrande grotesque, et moi, je continuais d’avancer, impassible, mon regard fixé droit devant, rien ne m’arrêterait.

Je m’approchais du donjon. Ce lieu… Je le connaissais. C’est là qu’il avait enfermé Mia autrefois, lorsqu’elle n’était encore qu’une enfant sous son emprise. Je le sentais au plus profond de moi : il la retenait encore là-bas. Chaque pas que je faisais me rapprochait un peu plus d’elle. De son regard. De sa liberté et cette fois, je ne repartirais pas sans elle.

Lucas fini par arriver, il n’est pas seul. Il tient quelqu’un avec lui… Non. Ce n’est possible. Mon souffle se bloque dans ma gorge. Cette femme… Je la reconnaîtrais entre mille, même dans cet état. Mais c’est impossible. Émilie. Je ressens un frisson glacial me parcourir l’échine. mon expression, un mélange de stupeur et d’horreur, me tord l’estomac. Ma femme. Celle que j’ai crue morte pendant des années. Mais elle n’était pas morte. Elle est là, devant moi. Brisée. Anéantie.

Une rage incontrôlable s’empare de moi. Lucas arbore un sourire cruel et déclare d’un ton tranquille, presque moqueur :

— J’ai un marché à te proposer, Gabriel. Tu oublies Mia.. et en échange, je te rends ta femme. Du moins… ce qu’il en reste.

Le silence s’abat sur la pièce, aussi lourd qu’une chape de plomb. Je ne dis rien. Je fixe Émilie, mon regard glissant sur elle, détaillant chaque blessure, chaque marque de souffrance imprimée dans sa chair. Lucas rit. Un rire bas, glacial, méprisant.

— Ah… tu hésites.

Il penche la tête sur le côté, un sourire mauvais aux lèvres, et croise les bras, l’air triomphant, observant la moindre micro-expression sur le visage de mon père.

— L’une est la femme que tu croyais perdue et que tu as aimée l’autre est une stupide sorcière rebelle qui ne t’a jamais été d’aucune utilité.

Il ricane à nouveau, puis pose son regard sur moi. Son sourire s’agrandit en voyant mon expression. Lucas savoure cet instant. Il rit encore, lentement, pleinement satisfait.

— Quelle délicieuse tragédie…

Le silence pesait sur la pièce, aussi oppressant qu’un étau qui se refermait lentement sur ma gorge. Je sentais le regard de Lucas peser sur moi, scrutant chaque parcelle de doute qui m’habitait. Il savait. Il savait que je ne pouvais pas ignorer ce qui se trouvait sous mes yeux. Émilie. Mon Émilie. Son corps frêle, son regard éteint… Je n’aurais jamais cru la revoir, encore moins ainsi, brisée, comme un spectre de celle qu’elle était autrefois. La haine que je portais à Lucas était plus grande que jamais, mais ce n’était plus aussi simple qu’avant. Il venait de renverser l’échiquier en un seul mouvement, et je me retrouvais acculé, piégé entre mon passé et mon présent.

— Alors, Gabriel ? Demanda Lucas, une pointe de satisfaction dans la voix. Mia, ou elle ?

Je serrai les poings, chaque muscle de mon corps tendu à l’extrême. Je pouvais sentir le regard de James sur moi, brûlant d’une colère que je n’avais pas encore osé affronter. Il attendait. Il attendait que je fasse ce qui était juste. Mais qu’est-ce qui était juste ?

— Gabriel… murmura Émilie d’une voix brisée.

Je fis un pas en avant. Je n’avais pas le choix.

— J’accepte, soufflai-je finalement.

Un silence assourdissant s’abattit sur la pièce, suivi d’un bruit sourd. Il fut brisé par Lucas qui ria doucement.

Je fermai les yeux un instant, sentant mon propre cœur se serrer sous le poids de la décision que j’allais prendre. Je savais ce que j’étais en train de faire. Ce n’était pas une erreur. Ni un acte de lâcheté. Ni même une faiblesse. C’était une certitude, un fait immuable que je portais en moi depuis toujours : s’il s’agissait d’Émilie, je sacrifierais tout. Le monde entier pouvait s’effondrer, Mia pouvait hurler mon nom dans le désespoir, James pouvait me haïr de toutes ses forces… Cela n’avait aucune importance. Car elle, elle était là, brisée, méconnaissable, mais vivante. Et tant qu’il y aurait un souffle en elle, je ne laisserais rien ni personne la ramener à la mort.

Je levai les yeux vers Lucas, qui m’observait avec un pur ravissement.

— Tu as gagné, admis-je.

Les mots avaient un goût amer dans ma bouche.

— Tous te laisseront en paix, poursuivis-je. Tant que tu nous laisses en paix.

Lucas hocha la tête, savourant sa victoire.

— Toi et ta femme pouvez partir, déclara-t-il en se détournant avec désinvolture. Mia est à moi, désormais.

Je ne répondis rien. Je n’avais plus rien à dire. Je me contentai de récupérer Émilie, la serrant contre moi comme si ma vie en dépendait, et je disparus avec elle, laissant derrière moi une prison et une âme sacrifiées.

J’avais quitté les lieux sans me retourner, pas un mot, pas une excuse, pas même un adieu. Je n’en avais pas la force. Je portais Émilie, son corps tremblait, son front contre ma clavicule, ses doigts accrochés à ma tunique, crispés, faibles, obstinés comme si elle craignait que tout cela ne soit qu’un rêve. Elle ne parlait pas, mais son souffle était là, irrégulier, son cœur battait, affolé.
Elle vivait et c’était tout ce qui comptait.

Le vent me giflait dehors, froid, sec, tranchant, mais rien ne mordait plus profondément que ce que j’avais laissé derrière moi, ce que j’avais fait. Je n’avais pas trahi Mia par haine, ni par oubli. Je l’avais sacrifiée, pour Émilie, pour une vie que j’avais déjà perdue une fois, pour le reste de l’humanité. Je la laissais aux mains de celui qu’elle avait apprit à fuir. L’ironie est froide, cruelle. Le cercle est refermé.

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