Chapitre 22 : James
Mon père entra. Mais il n’était pas seul. À ses côtés, une femme… blonde. Mon cœur se figea. Ce n’était pas Mia. Et pourtant… Je reconnus ce visage. Impossible. Émilie. Vivante. Sous mes yeux. Je restai figé, incapable de prononcer le moindre mot. Mon regard allait de l’un à l’autre, perdu, noyé dans une incompréhension brutale. Mon esprit refusait d’assembler les pièces de ce puzzle absurde.
— Je suis désolé, James… Mia est…
Je fronçai les sourcils, la gorge nouée.
— Mia est quoi ?
Un silence. Un battement de cœur trop fort. Puis la phrase tomba, lourde, irrévocable.
— Elle est morte…
Le temps sembla se briser autour de moi. Le sol sous mes pieds céda. Non. Pas elle. Pas maintenant. Pas comme ça.
— J’ai tué Lucas, poursuivit mon père dans un souffle. Mais… il était déjà trop tard.
Je ne l’écoutais plus. Je ne voyais plus rien. Tout vacilla. Sans un mot, je quittai la pièce. Chaque pas était un effort, chaque respiration un supplice. Mon esprit hurlait une vérité qu’il refusait d’accepter. Mia ne pouvait pas être morte. Elle ne devait pas. Je marchai à travers la ville sans but, les visages autour de moi flous, lointains. Le monde était devenu étranger, puis mes jambes cédèrent. Je tombai à genoux. Là, dans le silence pesant de mes pensées dévastées, je compris une chose : sans elle, plus rien n’avait de sens. J’aurais dû venir… J’aurais dû l’accompagner… peut-être que j’aurais pu changer les choses… J’aurais peut-être pu la sauver…
C’est comme si quelque chose s’était brisé en moi. Un éclat sourd, invisible, mais définitif. Quand mon père a prononcé ces mots, « Elle est morte » j’ai senti le monde s’arrêter. Tout est devenu flou. L’air s’est vidé de son oxygène, et mon cœur… Mon cœur s’est contracté dans ma poitrine comme s’il refusait de battre sans elle. Mia… partie, arrachée à moi. Je n’ai pas crié, pas pleuré, le choc était trop violent, trop irréel.
Je repensais à ses sourires, à sa force, à sa façon de me défier, de m’apaiser, de me faire sentir vivant. Elle représentait tout ce que j’avais de bon, de vrai. Elle était devenue mon encrage dans ce monde en ruine, et maintenant… il ne restait plus rien. Rien que le vide.
Je voulais hurler, tout détruire, ou simplement m’effondrer et ne plus jamais me relever. Comment continuer sans elle ? Comment respirer dans un monde où sa voix ne résonne plus ? Je n’avais pas de réponse. Seulement cette douleur brûlante au creux de l’âme, celle qui ne partirait jamais
Je suis resté là, à genoux le visage tourné vers un ciel sans lumière, incapable de bouger. Le sol était froid sous mes paumes, mais je ne le sentais même pas. Je ne sentais plus rien. Ni la douleur dans mon corps, ni les battements de mon cœur, juste ce vide immense, ce gouffre qui me dévorait de l’intérieur.
Lentement, j’ai levé la tête. Les souvenirs me heurtaient un à un comme des vagues contre la roche : son rire discret, son parfum de noix de coco, la façon dont elle fronçait les sourcils quand elle doutait, ou cette lumière dans ses yeux quand elle se battait pour ce qu’elle croyait juste. Mia ne méritait pas de mourir. Pas comme ça. Elle méritait de vivre, de se reconstruire, de rêver, et maintenant… tout ça avait disparu.
Je restai là, peut-être une minute, peut-être une heure. Le temps s'était dissous, il n'avait plus d'importance. Autour de moi, la ville continuait de vivre, des pas résonnaient sur les pavés, des voix murmuraient, des portes claquaient, mais tout me paraissait lointain, irréel, comme si j’étais devenu un spectre parmi les vivants. Un corps sans but, un esprit sans ancrage.
Je me relevai mécaniquement. Sans pensée, je marchai droit devant moi vers nulle part, chaque pas m’éloignait d’elle et pourtant, je continuais. Parce que rester immobile m’aurait tué. Un vent glacial se leva, il passa sous ma cape, mordit ma peau. Je ne frissonnai même pas, mon cœur, lui, était déjà gelé.
Je revoyais son visage, pas celui qu’elle portait dans la souffrance. Non. Celui des jours volés. Quand elle riait malgré les ombres, quand elle me lançait ce regard plein de feu et de défi. Ce regard qui disait : « Tu ne me briseras pas. Personne ne me brisera. » mais elle avait été brisée, par lui, par tous les choix que je n’avais pas faits. Je sentais la colère monter, une colère sourde, étouffée. Elle ne hurlait pas, elle rampait, elle se glissait dans mes veines, lente et brûlante.
Je m’arrêtai, face à l’arbre où elle m’avait un jour défié à l’épée, sourire aux lèvres, transpirante et victorieuse. Je posai la main sur le tronc rugueux, une trace, un souvenir, un éclat de vie. Ma gorge se serra et soudain, enfin, les larmes vinrent, pas en cris, pas en sanglots déchirants, en silence. Elles coulèrent lentement comme si mon âme cherchait, goutte après goutte, à la retrouver.
— Je suis désolé, Mia…
Ma voix était brisée, faible.
Je restai là, sous cet arbre, comme si l’univers pouvait m’entendre, comme si quelque chose, quelqu’un, quelque part, allait me répondre, mais il n’y eut que le vent et le silence. J’aurais tout donné pour la revoir, un instant, une seconde même pour lui dire adieu mais je n’avais rien, ni son regard, ni son souffle, ni même son corps. Elle était partie et moi… j’étais resté avec ce poids, cette faute, cette absence. Alors je fis la seule chose que je pouvais encore faire, je me jurai de ne pas l’oublier, de faire vivre sa mémoire dans chaque acte, chaque souffle, chaque pas, de ne pas laisser sa mort être vaine. Tant que je respirerais, je porterais son nom comme un cri et je détruirais tout ce qui avait voulu l’effacer, même si cela devait m’engloutir, même si je devais me perdre en chemin. Elle avait été lumière, moi, je serais le feu.

Annotations
Versions