Chapitre 25 : Lucas
Cela fait deux semaines que je lutte contre cette lueur persistante dans les yeux de Mia, une lueur qui ne veut pas s’éteindre. Chaque jour, je la soumets à des épreuves, je l’oblige à obéir, mais cette flamme dans son regard reste intacte, défiant mon contrôle. Elle me résiste, encore et encore. Je la brise petit à petit, je la pousse à se soumettre, mais elle ne cède pas, pas encore. Ce n’est pas suffisant, elle n’est pas prête à détruire Ostaria, elle n'est pas prête à m'obéir entièrement. L’impatience commence à m’envahir. Je me fâche contre ma propre incompétence, contre cette résistance obstinée qu’elle oppose. Elle est trop têtue, trop fière, et cette flamme… elle ne la laissera pas mourir facilement, mais moi, je suis plus déterminé qu’elle. Je prends une profonde inspiration, mes mains se serrant autour de la table en bois de mon atelier. Si elle ne veut pas plier, la magie le fera. Il n’y a pas de place pour la faiblesse. Je me dirige vers les étagères, prenant les ingrédients nécessaires avec une précision méthodique. La potion sera prête. Je la ferai boire à Mia, et cette fois, elle n’aura plus d’échappatoire. Sa volonté s’effondrera sous l’emprise de cette concoction. Elle deviendra ce que je veux qu’elle soit. Elle m'obéira, sans résistance, sans pensée propre. Je ne peux plus attendre, la patience n’est plus une option. Elle devra céder.
Je marche d’un pas décidé dans le cachot où Mia est enchaînée. L’odeur humide des pierres me semble plus lourde que d’habitude, comme si l’air lui-même sentait l’échec, mais cette fois, ce ne sera pas comme les autres fois. Cette fois, j’ai la clé pour la briser. Je m’approche d’elle, ses yeux toujours emplis de défi, mais je n’hésite pas. D’un geste ferme, je lui saisis le menton, l’obligeant à lever la tête. Son regard rencontre le mien, et pour la première fois, je vois un éclat d’incertitude dans ses yeux. Une fraction de seconde, elle semble douter, mais je n’ai pas le temps de m’attarder sur cette hésitation. Sans un mot, je lui fais avaler la potion. Elle tente de résister, mais ma poigne est plus forte, implacable. Le liquide glisse dans sa gorge, et je sais que tout va changer. Elle se débat, mais ça n’a plus d’importance. Le poison de l’obéissance coule en elle, et je la sens déjà se décomposer sous l’effet de la magie. Je la relâche enfin, la laissant vaciller un instant avant qu’elle ne se redresse.
Je l’observe, silencieux. Quelque chose a changé. Il y a une lueur différente dans ses yeux, un abîme de soumission qui remplace la flamme indomptable de sa rébellion. Elle n’est plus la même. Elle est mienne. Son corps semble plus lourd, comme si la résistance qui l’habitait s’était soudainement évaporée. Elle m’appartient désormais, sans condition. Tout chez elle est différent. Ses yeux, ses gestes, son silence... Tout crie une soumission que je n'avais pas vue jusque-là et dans ce silence, je m'apprête à la façonner à l'image que j’ai toujours voulu. Gabriel tu ne le sais pas mais bientôt ton monde partira en fumée.
— Ma fille chérie, murmurai-je, ma voix douce mais pleine de malice.
Le terme « fille » n’avait jamais eu pour moi cette connotation de tendresse, mais ce soir, je le disais presque avec un mépris calculé, comme une ironie qu’elle ne pouvait pas comprendre
Je la fixe avec insistance, un sourire qui s’étire lentement sur mes lèvres. Je vois son regard se perdre un instant, comme si elle tentait de lutter contre l’effet de la potion, mais c’est vain. La magie a pris, et il n’y a plus de place pour la rébellion. Elle est comme une marionnette dont les fils sont tirés par des mains invisibles, les miennes. Je vois son visage se tendre, une lutte intérieure évidente. Elle n’a plus le choix, et moi, je la regarde, savourant chaque seconde de sa chute.
Je ferme les yeux un instant, savourant la victoire silencieusement, mais dans mon esprit, je ne vois que l’avenir. L’avenir où Mia, totalement brisée, sera prête à accomplir sa destinée, où elle détruira tout ce que j’ai toujours haï, et moi, je régnerai, avec elle à mes côtés.
Les yeux de Mia n’ont plus cette flamme, ce foutu feu que j’ai passé des années à vouloir éteindre. Elle reste immobile, enchaînée mais droite, attendant mes ordres. Mon sourire s’étire, satisfait.
— Très bien, Mia. Il est temps de prouver ta loyauté.
Je claque des doigts. Deux gardes entrent, traînant un homme entre eux. Sale, ensanglanté. Un rebelle. Il n’a rien d’impressionnant, mais il faisait partie de ceux qui voulaient libérer Ostaria, qui croyaient encore pouvoir me renverser. Je m’approche de ma fille, me penche vers elle, doucement.
— Tue-le.
Elle ne cille pas, ne bronche pas. Elle regarde l’homme, puis moi.
— Oui père.
Elle se lève mécaniquement, et saisit la dague que je lui tends. L’homme se débat, hurle, la supplie du regard, mais elle avance, sans émotion. Je l’observe avec une fascination morbide. Est-ce qu’elle va le faire ? Je veux voir si elle est vraiment brisée. Au moment où elle lève la lame… une ombre traverse son regard. Une hésitation. Une seconde à peine. Je me crispe. Ce n’est rien. Juste un réflexe, un reste de l’ancienne Mia.
Elle poignarde l’homme, un coup net, précis. Il s’effondre mort. Je souris de plus belle, mais elle, elle reste là, figée. Sa main tremble légèrement. Je le vois. Elle obéit… mais elle n’est pas encore vide. Pas complètement. Je vais y remédier et je sais exactement comment faire.
Je la conduis lentement jusqu’à l’atelier, silencieux et baigné d’une lumière froide. Au fond de la pièce, recouvert d’un vieux drap, se trouve un miroir ancien, immense, au cadre noirci par le temps. Je retire le tissu d’un geste brusque, dévoilant la surface lisse et frémissante du verre enchanté. Il ne reflète pas simplement la réalité. Il révèle l’âme. Je place Mia face au miroir. De l’autre côté, une silhouette identique à la sienne se débat. Ce n’est pas un simple reflet. C’est la part d’elle-même qui résiste encore, cette dernière étincelle de volonté qu’aucune potion n’a complètement étouffée. Cette version d’elle se débat contre des chaînes invisibles, le regard chargé d’une détresse muette, comme si elle appelait à l’aide.
— Mia… entre dans le miroir. Tue-la.
Ma voix est calme, impérieuse, presque douce. Elle m’obéit, sans un mot. Son pas est lent, presque incertain. Elle traverse la surface du miroir comme une brume glissant sur l’eau. De l’autre côté, elle s’arrête face à son double. Son reflet vivant. Elle hésite. Ses yeux croisent les siens , les siens, mais emplis de peur, de désespoir… d’humanité. Un pas en avant, puis un en arrière. Le doute gronde en elle, silencieux mais puissant. Ce n’est qu’un instant, suspendu hors du temps. Puis quelque chose cède. Le poignard qu’elle tenait glisse entre ses doigts et transperce la poitrine de son double dans un mouvement aussi fluide que froid. Il n’y a ni cri, ni résistance. Juste un souffle, et l’image s’effondre. C’est à ce moment précis que je le sais : la dernière étincelle de Mia vient de s’éteindre. Ce miroir, ce rituel, ce meurtre symbolique… tout cela a achevé sa transformation. Il n’y a plus d’hésitation en elle, plus d’attache à ce qu’elle était. Elle est désormais ce que j’ai toujours voulu façonner, et Ostaria en payera la prix.
Elle sort du miroir, lentement, comme une ombre exhalée par un cauchemar. Son visage est calme, vidé, et pourtant, une étrangeté me frappe. Ce n’est pas le silence d’une obéissance parfaite. C’est… trop lisse, trop net comme si elle savait jouer, comme si la marionnette avait appris à danser sans tirer sur les fils mais je chasse l’idée. Elle a tué. Deux fois. D’abord un homme, puis son propre reflet. Il ne reste rien plus rien
Je m’approche d’elle, effleurant sa joue du dos de mes doigts. Elle ne tressaille pas, pas un battement de cil. C’est parfait, presque trop.
— Bien. Demain, nous raserons ce qu’il reste des villageois qui soutiennent la résistance. Tu mènera le guerre, toi en première ligne.
— Je les mènerai, répond-elle d’une voix monocorde.
Je suis Lucas, le conquérant, le créateur de la nouvelle ère. J’ai réussi ce n’est plus qu’une question de temps avant de voir le monde à pieds.
Le lendemain, au lever du soleil, la ville basse est encore calme. Le vent balaie les ruines du vieux quartier Est, là où vivaient les familles des premiers résistants. Là où Gabriel avait caché certains des enfants marqués. Mia marche en tête, armure légère, visage de marbre. Autour d’elle, les soldats et trolls obéissent sans poser de question. Ils la craignent, autant qu’ils la vénèrent. Elle est la fille du Tyran, la lame de son père.
Les premiers cris éclatent alors qu’ils traversent les rues. Les maisons brûlent derrière eux. La purge a commencé mais alors que tout se déroule comme prévu… quelque chose dévie. Une enfant, dix ans à peine, surgit d’une porte entrebâillée. Elle se jette aux pieds de Mia, pleurant, implorant.
— Pitié ! Ma mère ! Ils vont la tuer ! Pitié !
Je la vois hésiter, une fraction de seconde. Sa main ne se lève pas, elle ne repousse pas l’enfant. Elle baisse les yeux vers elle. Je serre les dents, du haut de la tour d’observation où je la surveille par l’intermédiaire d’un sort de vision. Ce n’est pas normal et alors, contre toute attente, Mia se penche. Elle saisit la petite dans ses bras. Se relève et se tourne vers l’un des soldats.
— Amène-la au camp. Qu’on la soigne. Qu’on la cache.
Le soldat reste pétrifié.
— Maintenant, gronde-t-elle, la voix chargée d’une autorité froide.
Il obéit. Je hurle de rage, de frustration. Elle a brisé l’ordre, contredit le programme, sauvé une vie. Je quitte la tour en trombe. Je la rejoins à cheval, furieux, le vent fouettant mon manteau noir. Lorsqu’elle me voit approcher, elle se fige.
— Qu’as-tu fait ?!
Elle me regarde, calme, trop calme.
— Elle n’était pas une menace. Là tuer n’aurait rien changé.
— Tu n’es pas là pour juger ce qui est nécessaire, je gronde. Tu es là pour obéir. Seulement obéir.
Son regard se fixe dans le mien. Lentement, elle incline la tête.
— Je comprends. Cela ne se reproduira pas.
Si elle recommençait, si après cette guerre elle fait preuve de gentillesse, elle signerai sa sentence, car moi, Lucas, je suis prêt à tuer ma propre fille si c’est ce qu’il faut pour maintenir le pouvoir.

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