VI

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 « On a l’habitude de certaines choses, par exemple que le Ciel soit bleu quand il est vide de tout nuage. Parce qu’à mémoire d’Humains, personne ne l’a vu d’une autre couleur en pleine journée et qu’aucune des sources historiques n’évoque une journée particulière où le ciel n’était pas bleu.

Pourtant rien ne nous dit que le ciel ne doive devenir tout vert un certain jour dans le siècle à venir. Lorsque que cela arrivera, à notre niveau d’êtres humains, on ne comprendra pas comment le Ciel est devenu vert, on ne comprendra rien d’autre qu’un signe du chaos revenu sur la Terre d’E et on prophétisera la fin imminente du tout ce que l’on connait. Alors que, si cela se trouve, ce sera une journée des plus normales pour le Ciel. Il est devenu vert, oui, mais c’était prévu, et d’ailleurs il attendait ce jour avec impatience, il pourra dépoussiérer un peu l’habit qu’il met tous les jours et le tendre sur le fil à linge, loin de notre vision ridicule et mince. Si cela se trouve, une fois toutes les millionièmes années le Ciel devient vert et on ne le saura jamais parce qu’on ne pourra prendre cette journée que sous les auspices d’une catastrophe.


 De la même façon, lorsqu’un enfant ou un adulte se comporte bizarrement, disons plutôt d’une manière différente des autres, on pense tout de suite au chaos que cela provoque. Parce que cette personne n’agit pas comme les autres, elle fait de l’ombre à l’ordre commun. Alors que, si cela se trouve, cette personne est autant naturelle que les autres, elle fait partie d’un cycle de la vie qui dépasse notre petit et friable entendement humain. Au contraire d’apporter le chaos, si cela se trouve, cette personne met en perspective les travers et les coutumes dépassés de notre quotidien, comme le Ciel, précédemment, peut enfin se permettre de dépoussiérer son habit bleu lorsqu’il se revêt du vert.

Voilà, c’est un peut tout ce que je voulais dire ce soir. Ma fille est dans cette situation-là, elle est trop curieuse depuis toute petite, elle est très intelligente, elle compte plus vite que n’importe qui, du coup elle a été rejetée par l’école de notre petite ville, au Sud d’Elberon, elle n’a pas d’amis de son âge, ni d’autres âges d’ailleurs et cela nous a causé du tort également à ma femme et moi. Nous avons engendré un monstre dise certain dans notre dos, j’ai retrouvé une lettre de menace de mort un matin, devant ma maison. Et d’autres choses dont je n’ai pas envie d’en faire la liste.

Alors qu’au contraire, un jour, où j’étais dehors à discuter avec le voisin à propos d’un de mes arbres qui lui fait de l’ombre l’après-midi, elle est entrée dans mon bureau et à jeter un œil aux finances de mon commerce. Je suis rentré dans le bureau après, elle m’a interpellé sur des erreurs de calculs et m’a proposé une nouvelle idée pour rembourser mes dettes et payer autrement les employés qui feraient circuler moins d’argent à la fois. Elle n’avait que… sept ans ce jour-là. »



 Aujourd’hui plus que les jours précédents, on s’ennuyait vraiment sur la route. Qu’en peut-on ? On roule ou marche sur un chemin dans une forêt qui n’a ni début ni fin à nos yeux, c’est déjà une vérité entre nous. Notre maison est un lointain souvenir, elle est derrière nous et derrière nous il y a des arbres. La seule chose qui puisse briser notre monotonie est l’arrivée quelque part devant nous et devant nous il y a des arbres. Peut-il avoir dans cette forêt, sur notre droite, sur notre gauche, autre chose que des arbres ?

J’ai écrit « on » et « nous » parce que ce constat je le partage avec un groupe de cinq personnes que j’ai rencontré aujourd’hui, je ne les avais pas encore croisés autour des feux les soirs et dans le courant de la journée, ils sont arrivés à droite et à gauche de moi, sur ma petite charrette, pour discuter. Le départ était tout à fait ridicule « il fait beau temps, hé, c’est plutôt pas mal, non ? » mais cela a ouvert à une discussion intéressante : anciens écuyers, anciens pages, ou autres serviteurs des grands de notre monde, ils ont choisi de prendre la route un jour et n’ont jamais arrêté depuis. Mais là n’est pas ce qui m’intéresse ; je n’ai pas cet esprit où vivre sa voie toute tracé est d’un ennuie mortel et que le contraire, vivre sa liberté, le désordre et tout cela soit super bien, non, loin de moi cette caricature. J’ai été sous le charme de leur façon de voir le monde, tout simplement. L’embêtant à ne faire qu’une seule chose de sa vie c’est bien de voir la vie sous cette unique perspective. Changer de vie, de métier, de rôle, dans sa vie, cela donne un recul sur sa propre limite et son cloisonnement mental. Ces âmes errantes ont certes été écuyers ou pages, au début, puis ils sont devenus un an potiers, une autre année forgerons, à Elbe des gardes civils, en Acar des chasseurs et près de Elberon des apprentis marchands. Dans le cadre de ce dernier métier ils ont été embauchés dans la caravane. Avec ces expériences, ils agissent en ayant dans leur réflexion plusieurs visions des artisans qui vont probablement dépendre de la réussite de notre entreprise. Ils ont ainsi un recul supplémentaire par rapport à tous les autres, moi y compris.

De ce fait, discuter avec eux, en fait les écouter en silence, fut enrichissant, j’ai fait cela tout l’après-midi et j’en suis bien content. Je vais me coucher ce soir plus censé que je ne l’étais ce matin et cela fait bien plaisir en repensant à l’ennui mortel vécu ce matin.

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