Chapitre 2
Actarus voulait profiter de sa visite sur Pallas pour s'accorder quelques jours de repos avec son ami Pollux et voir les travaux du Centre robotique pour le projet Grendizer. Il s'était mis en rapport avec les officiels pour que son arrivée reste discrète. Abandonnant son escorte et le vaisseau royal, il était arrivé avec sa navette personnelle tôt le matin pour profiter du calme avant de commencer sa mission diplomatique. Pollux l'avait accueilli à l'aérodrome et l'avait emmené aussitôt à la découverte de la Capitale.
***
J'avais hâte de revoir mon ancien mentor, Phytélios, qui avait été mon professeur sur Euphor et qui avait été muté sur ma planète peu de mois auparavant.
Nous arrivâmes devant le centre robotique. La base était un bloc rectangulaire avec une seule ouverture. Un étage le surplombait donnant un peu d'ombre à l'entrée. Il avait la forme d'un coquillage avec un toit en plaques d'acier. Des gardes se tenaient de chaque côté de la grande porte. Marcus, le responsable du Centre sortit précipitamment.
— Prince, je vois que vous n'avez pas pu attendre longtemps pour quitter les officiels.
Marcus était un petit homme aux cheveux bruns, très courts. Il portait une petite barbe. Il arrivait à mes épaules.
— Venez, je vais vous faire un badge le temps de votre visite dans notre ville comme cela vous pouvez venir à tout moment.
Après s'être arrêtés au bureau de la sécurité, Marcus nous conduisit au sous-sol.
Les scientifiques des deux planètes travaillaient en étroite collaboration sur le projet de communication intergalactique. Pour l'instant, les navettes et les vaisseaux spatiaux naviguaient d'une planète à l'autre dans la galaxie de Véga. Les télescopes avaient repéré d'autres systèmes solaires avec possibilité de vie. Les composants étaient pratiquement identiques : étoile solaire, satellite lunaire et une planète sur neuf avec de l'oxygène. Le roi de Fleed envisageait d'envoyer un vaisseau dans les trois prochaines années. Ayant été promu responsable du projet Grendizer, malgré mon jeune âge, j'avais envisagé d'utiliser mon robot pour cette mission.
Sur Pallas, le centre de robotique et d'aéronautique étudiait le matériel d'exploration qui pourrait être embarqué. Phytélios continuait à m'épauler en travaillant sur l'armement défensif de la soucoupe et du robot.
— Où en êtes-vous sur l'utilisation du rayon électrique ? demandai-je à Marcus tandis que nous avancions vers le laboratoire.
Celui-ci avait une hauteur de plus de trente mètre et presque autant de long. C'était une grande cavité souterraine dont la moitié était séparée par une vitre d'un mètre d'épaisseur. Des robots, guidés par des scientifiques, vissaient, polissaient et perçaient deux tubes reliés sur un casque.
— Cela se présente assez bien. Nous savons maintenant rassembler l'énergie venant d'une source atmosphérique quel que soit le temps, ensoleillé ou pluvieux, et la recracher par le biais de ces deux antennes, répondit Marcus en montrant les tubes. Nous devons encore travailler sur la puissance de cette énergie, son stockage et sur la méthode d'impulsion.
Je hochai la tête.
— De notre côté, nous avons trouvé le code mathématique pour activer des ordres par la voix. Cela donnera une force supplémentaire au pilote et nouera un lien particulier avec le robot.
— Et le lien entre robot et soucoupe ?
— Les impulsions électriques qui font avancer le robot sont les mêmes que pour la soucoupe. L'un ne va pas sans l'autre. Si le robot s'éloigne trop de la soucoupe, il perd de sa puissance. Avec l'activation des ordres par la voix, quand le pilote sera dans le robot, il pourra aussi guider la soucoupe pour une aide complémentaire, lors d'un affrontement sur les deux côtés.
La porte derrière nous s'ouvrit et Phytélios nous rejoignit.
— Ah, voici mon élève ! Je vois que le protocole a toujours ta défaveur. Comment vas-tu, Duke ?
J'eus un léger sourire, suivi d'une grimace.
— Heureux de vous revoir, professeur. Je jouerai mon rôle de prince suffisamment longtemps ce soir lors du bal.
— J'ai entendu des rumeurs selon lesquelles Véga souhaite une alliance avec Fleed ?
J'acquiesçai sans en dire plus.
— Eh bien, espérons que cela puisse aboutir. J'ai appris aussi que le satellite de Stykadès montrait des signes instables. Le Grand Stratéguerre est de plus en plus déterminé à trouver une autre planète d'accueil.
Je crispai les poings en me tournait vers le laboratoire.
— Est-ce vrai que les prisonniers sont envoyés sur Akéreb ? Cette planète verdoyante est devenue invivable depuis l'exploitation de minerai de Lasernium.
— C'est ce qui se dit. Les notables des familles princières, les personnes de valeur sont envoyées là-bas, certains scientifiques sont chargés au péril de leur vie de travailler pour Véga. Et les autres...
Phytélios ne continua pas. Ma mâchoire se contracta sous l'effet de la fureur qui m'envahissait.
— Un an. Il lui a suffi d'une année pour anéantir tous les efforts de paix que mon père a menés dans la galaxie. Comment a-t-il fait ? Nous ne devons pas laisser faire.
— Au contraire de votre père, le roi de Pallas a promulgué une loi demandant que tous les pallasiens âgés de plus de treize ans soient formés à la navigation aéronautique et au combat.
Je pinçai les lèvres. Ce sujet était source de conflit avec mon père. Je n'avais pas une âme de guerrier pourtant je savais que tôt ou tard, je devrais combattre pour défendre ma planète. J'espérais que l'union des deux familles aboutisse à un effort de paix mais avec quelles conséquences ? Qu'en sera-t-il de l'impartialité d'Euphor ? Est-ce que Véga n'en profitera pas pour accentuer son pouvoir sur cette partie de la galaxie ?
Une sonnerie retentit.
— Professeur, le vaisseau royal de Fleed vient de se poser. Une navette attend le prince à l'entrée du Centre pour le reconduire au palais, fit une voix dans un haut-parleur.
— Nous remontons.
Sur le chemin vers le palais, j'appuyai la tête sur le siège arrière et fermai les yeux. Je ne pouvais pas abandonner les espoirs d'un peuple pour mon plaisir. J'essayai de me convaincre que mon mariage avec Végalia m'apporterait un peu de réconfort et une relation amicale sinon amoureuse.
***
Une réception d'accueil fut organisée vers midi au palais. En tant que prince héritier de Fleed, Actarus fut reçu par le roi lui-même avec tous les honneurs dus à son rang. Il représentait ses parents tant au niveau diplomatique que social. La reine de Fleed présidait pour deux ans le conseil pour la protection de la jeunesse et des droits de l'enfant. Elle aidait des associations d'aide pour l'éducation, la pauvreté et la naissance. Le roi, quant à lui, était un des membres fondateurs du conseil de sécurité du CIPUPCET. Il participait à tous les conseils politiques, communiquait et donnait des directives et des conseils aux autres chefs. Cette fois, il jugeait son fils prêt pour faire ses preuves en diplomatie.
Le roi de Pallas le prévint qu'un bal serait organisé le soir même pour accueillir les deux héritiers des planètes-mère du CIPUPCET.
— La navette de la princesse Végalia a pris du retard à cause des rebelles qui sévissent dans l'espace. Elle arrivera ce soir juste pour le bal. En tant qu'invité d'honneur, pouvez-vous m'aider à accueillir les hôtes à l'entrée aux côtés de Pollux ?
Actarus fut soulagé d'apprendre qu'il avait encore un sursis avant de rencontrer sa future fiancée.
Ses rapports avec la gente féminine étaient particuliers. Il était la coqueluche de l'université. Une nuée de filles l'entourait où qu'il aille. Elles appréciaient son calme et savaient trouver chez lui un confident et un homme capable de les écouter sans chercher à approfondir une relation bien qu'elles rêvaient de pouvoir le mettre dans leur lit et faisaient des paris sur celles chez qui il prêtait une attention privilégiée. Il ne cherchait pas l'aventure. Il savait qu'un jour, il rencontrerait la femme qui le comprendrait, l'aimerait pour ce qu'il était, lui, Actarus, jeune homme discret, passionné de mécanique et de nature et non Duke, au charisme princier qui apprenait à faire bonne impression devant la population et les diplomates mais qui ne rêvait que de s'évader, sa mandoline à la main. Ses amis aimaient à se moquer de lui. Ils étaient à un âge où le regard masculin apprécie les courbes féminines et ils cherchaient à exercer leur séduction. La seule fille qui retenait son attention était sa cousine Aphélie. Ils se connaissaient depuis l'enfance, avaient presque été éduqués ensemble. Ils avaient fait leurs plus belles bêtises, faisant enrager la soeur ainée d'Aphélie ou la gouvernante d'Actarus. Ils se promenaient sur leurs montures, des bêtes pataudes et peu vives, à travers la campagne. Aphélie était la seule fille de son entourage qui pouvait le faire rire chaque jour. Elle était vive, tout en ayant une forte tête. Elle savait le pousser dans ses retranchements par des discussions politiques et guerrières. Elle lui manquait. Il n'avait pas eu l'occasion de lui parler du projet de mariage, avant son départ. Il s'interrogeait sur sa réaction. Assurément, cela ne lui plairait pas.
Actarus se courba à la requête du roi.
— C'est avec honneur que je serai à vos côtés ce soir.
Le roi regarda Actarus et lui fit un clin d'oeil.
— Terminons votre accueil officiel même si je vois que vous souhaitez plutôt vous cacher. Connaissez-vous Cassiopé ? C'est ma nièce. Elle vit sur Concordia mais suit des cours d'aéronautiques. Une brillante élève m'a dit ma soeur. Vous avez des points communs.
La jeune fille qui passait près d'eux, s'arrêta et fit une révérence.
— Vos altesses.
Elle ne semblait pas à l'aise dans sa longue robe orangée. Le roi de Pallas la redressa.
— Cette jeune fille est plus à l'aise dehors en pantalon, à parcourir la ville sur son astronef. Je vous la laisse pour faire plus ample connaissance.
Actarus et Cassiopé se regardèrent. Ni l'un ni l'autre ne savait comment engager la conversation malgré le point commun qu'ils semblaient avoir. Pollux s'approcha, un sourire espiègle aux lèvres.
— Ah, ma cousine préférée. Sais-tu, Duke, que cette gamine m'en a fait voir de toutes les couleurs enfant ? Heureusement qu'elle ne venait qu'un mois par an pour ma tranquillité de garçon sage.
Actarus sourit en regardant Cassiopé. Il lui tendit le bras.
— Allons-nous promener dans les jardins. Avec cette chaleur, la plupart des invités semblent vouloir profiter de l'ombre des arbres. Et ainsi, j'aide mon ami à échapper à vos espiègleries.
Elle posa sa main sur son avant-bras.
— Votre altesse, commença-t-elle
— Duke, appelez-moi ainsi, je ne suis pas pour les titres.
Elle hocha la tête.
— On m'a dit que vous avez le projet de construire un robot moderne dans l'alliage Gren. J'ai eu l'occasion de tester la puissance de cet alliage. C'est extraordinaire ce qu'il offre comme possibilité.
— Oui, nos scientifiques ont réussi un exploit avec cette découverte. L'alchimie de plusieurs matériaux a permis cette grande avancée.
Actarus n'en dit pas plus. La fabrication de cet alliage était un secret dans les laboratoires euphoriens. Seuls quelques scientifiques savaient que son créateur n'était autre que le prince. Cassiopé et lui se lancèrent dans une discussion sur l'intelligence artificielle et les intégrations dans la vie quotidienne et dans l'armement.
Dehors, le soleil commençait à descendre à l'horizon. Le parc s'étendait à perte de vue. Des bosquets cachaient des coins romantiques où il était facile de s'isoler.
Les deux jeunes gens marchaient dans les allées, souriaient au croisement d'autres personnes. Ils arrivèrent près d'un bâtiment ancien dont les fenêtres étaient en partie brisées et protégées par des planches en bois.
— Qu'est-ce que c'est ?, demande Actarus
— Ce bâtiment à l'abandon servait autrefois d'orangerie. Les jardiniers en ont construit un autre plus grand de l'autre côté du palais.
Actarus chercha l'entrée. Quand il la trouva, il actionna la poignée et la porte s'ouvrit avec un grincement. L'odeur était imprégnée de terre. Quelques objets de jardinerie trainaient çà et là. Les fenêtres occultées laissaient passer quelques rayons de soleil orangés. Actarus n'aimait pas cet endroit abandonné, il ferma la porte et respira un bon coup.
— La nuit tombe déjà. J'avais oublié que les jours étaient plus courts ici. Je vais vous raccompagner au palais.
En revenant devant les portes intérieures, ils se saluèrent. Actarus prit congé du roi et de la reine et se dirigea vers ses appartements pour se reposer et se préparer pour la soirée.
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