Chapitre 3

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Habillé d'un pantalon noir, d'une tunique bordeaux rehaussée de broderie dorée, mon médaillon visible sur la poitrine, j'attendais à l'entrée de la salle de bal au côté du roi de Pallas, de son épouse et du prince héritier Pollux. Pendant la première heure, les invités furent annoncés par le majordome puis accueillis par les hôtes. Un sourire discret pour chacun, une poignée de main, parfois un mot d'accueil, je tenais mon rôle à la perfection. Un œil averti s'apercevrait cependant de ma tension aux épaules, de ma nuque raide, de mon regard furtif vers la porte d'entrée.

Soudain, l'atmosphère s'alourdit et les discussions diminuèrent de volume. Une légère agitation eut lieu à l'entrée. Puis apparut une jeune fille belle comme le jour. Ses cheveux d'un rouge flamboyant encadrait son visage jusqu'en bas du dos. Ils étaient rehaussés sur la tête et maintenus par une couronne de roses. Sa robe aux manches allongées bouffantes était cintrée sous sa poitrine et s'évasait à la taille jusqu'aux pieds à peine visible. Ceux-ci étaient chaussés de fins escarpins. L'ensemble était d'un vert émeraude qui faisait ressortir ses yeux de la même couleur. Elle était menue et perdue. Son regard semblait fouiller l'assistance jusqu'à ce qu'il accroche le mien.

Le majordome l'annonça

- La princesse Végalia de Stykadès.

Aussitôt, elle redressa les épaules, empoigna délicatement sa robe pour avancer vers moi, un sourire éclaira son visage tandis qu'une rougeur colorait ses joues.

Elle était suivie par son escorte. Des hommes humanoïdes au visage vert. Leur vêtement était discret mais ne cachait rien de l'arme cachée sous les bras. Ils avaient une allure assez martiale qui contrastait avec la marche délicate et aérienne de Végalia.

Quand elle fut proche du roi et de la reine, elle plongea en une révérence sans faute.

- Majestés, au nom de Véga mon père, je vous remercie de l'accueil et de l'aide que vous m'avez apportés.

- C'est un plaisir pour moi de recevoir une si jolie princesse. Bienvenue sur Pallas, répondit le roi. Il me fit un signe.

- Je vous présente mon deuxième invité d'honneur, son Altesse Duke Fleed.

Je m'inclinai doucement.

- Enchanté de faire votre connaissance, Princesse.

Je ne laissais rien paraître sur mon visage. Mes yeux perçants restaient fixés sur ceux de la jeune fille. Je pris la main qu'elle me tendait et l'embrassai.

- J'espère que votre voyage s'est bien passé.

Végalia baissa les yeux.

- Nous avons été chassés par des soucoupes renégates mais nous avons pu leur échapper.

Je hochai la tête sans dire un mot.

- Mes enfants, reprit le roi de Pallas. Il est temps d'aller voir nos invités et d'ouvrir le bal. Prenez une coupe de cordilius, proposa-t-il en arrêtant un serveur qui tenait un plateau. C'est un vin pétillant de la région des Grands lacs très renommé.

Végalia prit un verre de vin tandis que je jetai mon dévolu sur un jus de fruits couleur rosé.

- Duke, voyons, profitez de cette soirée. Vous ne voulez pas goûter ce vin ?

- Non Majesté, l'alcool ne me réussit pas et je profite aussi bien de l'ambiance, l'esprit clair.

- Eh bien, félicitations, je ne connais peu de jeunes de votre âge resté aussi sobre à une fête, surtout quand les parents ne sont pas là pour les limiter, dit-il avec un léger sourire vers son fils qui baissa les yeux et se dandina sur les jambes gêné. Bien je vous laisse, amusez-vous bien.

Le roi posa la main de la reine sur son bras et s'avança dans la foule qui les happa aussitôt. Pollux le suivit un instant après pour rejoindre un groupe de jeunes garçons. Je me tournai vers Végalia mal à l'aise. La princesse me sourit timidement.

- Depuis combien de temps êtes-vous sur Pallas ?

- Je suis arrivé ce matin, assez tôt. Etes-vous déjà venue ici ?

- Non, c'est la première fois. Mon père m'y a un peu contrainte.

- Ah, vous ne désiriez pas venir.

C'était plus une constatation qu'une interrogation.

- Je vois très peu mon père, surtout depuis que notre satellite donne des signes instables et qu'il est parti à la recherche d'une planète d'adoption. Je reste souvent au palais. Ma mère gouverne la planète à la place de mon père. C'est pour cela qu'aucun n'a pu m'accompagner.

Je ne pus m'empêcher de marquer mon étonnement :

- A la recherche d'une planète d'adoption ? Que savez-vous à ce sujet-là ?

- Pas grand-chose. Je sais qu'il négocie avec les dirigeants et qu'il a déjà pu installer quelques groupes sur certaines planètes.

Je me raidis mais n'ajoutai rien. Je changeai de sujet.

- Venez, nous allons nous mêler à la foule et faire quelques connaissances.

Végalia mit sa main sur mon avant-bras et releva sa jupe de l'autre main. Elle souriait délicatement à chaque personne que nous rencontrions. Pourtant, il y avait de l'hostilité dans les yeux des convives mais elle fit comme si de rien n'était.

Le majordome annonça ensuite le début du souper. Je l'emmenai donc dans la salle à côté. Je lui tins la chaise pendant qu'elle s'asseyait. Puis j'attendis que le roi s'installe avant de prendre place à mon tour. Le repas se passa rapidement. La conversation fut assez simple et courte. Végalia discutait avec son autre voisin de table, un vieil homme tout fripé qui avait l'oreille un peu dur. Je participais à la conversation uniquement lorsqu'on s'adressait à moi. Je mangeais silencieusement tout en écoutant la princesse et analysant l'ambiance de la salle.

Puis vint l'heure du bal. Le roi me fit comprendre que je devais l'ouvrir au bras de Végalia. Il était au courant du projet de mariage et comptait bien que celui-ci aboutisse pour éviter un bain de sang dans cette partie de la galaxie.

J'attrapai la main de ma voisine et l'emmenai au centre de la salle de bal. Les premières notes annonçaient une danse universelle, connue de toute l'aristocratie interplanétaire. La main gauche sur la taille de ma partenaire, l'autre lui tenant la main un peu à l'écart sur la droite, je commençai à tourner emportant Végalia dans une ronde autour de la salle. Les invités nous regardaient, un peu perplexe de voir le Prince d'Euphor s'occuper aussi souvent de la fille de Véga.

Après la première danse, d'autres cavaliers vinrent danser avec la jeune fille ce qui me laissa la possibilité de rencontrer d'autres jeunes filles mais surtout de me réfugier sur la terrasse qui surplombait les jardins du palais.

Je respirai un bon coup et repensai à ce que Végalia m'avait dit en début de soirée. Ainsi, elle ne semblait pas au courant que loin de négocier, son père s'imposait par la force sur les autres planètes au point de supprimer la liberté de mouvement et de pensée aux habitants. J'escomptais que mon mariage permettrait d'arrêter ces exactions.

Je fus bientôt rejoint par Phytélios.

- Alors mon garçon, quelles sont tes impressions sur la princesse ?

Je pris mon temps pour lui répondre.

- C'est l'innocence personnifiée. Elle ne se doute pas de ce que fait son père. Je ne pense pas non plus qu'elle connaisse les raisons de sa présence ici.

- Te sens-tu le courage de conclure ce projet ?

- Ce n'est pas question de courage. Je le ferai à n'importe quel prix pour que cesse ce bain de sang.

Je crispai les poings.

- Je ne peux pas croire ce que vous m'avez appris sur Akéreb tantôt. Pourquoi, nom de Fleed ?

Mon professeur mit une main sur mon épaule.

- Le pouvoir fait plus de mal que de bien.

***

Le lendemain, le soleil à peine levé, je me rendis au Centre de recherche. La nuit n'avait pas été reposante et de nouvelles idées avaient germé dans mon esprit. Je voulais les partager avec Phytélios.

Le professeur était déjà présent et fut ravi de découvrir mes idées. Nous discutâmes à bâtons rompus des avantages et inconvénients puis nous nous séparâmes. Je m'enfermai dans un bureau et, muni d'un bloc de feuilles et d'un crayon, commençai à noter, dessiner et poser des formules mathématiques.

Marcus vint m'interrompre trois heures après.

- Duke, vous n'avez pas de loisir autre que votre robot ?

Je levai des yeux troubles d'avoir été concentré en passant une main dans mes cheveux. Puis je me redressai et étirai mes épaules.

- Je n'ai pas vu le temps passé. Vous avez raison. Je vais aller à mes obligations.

Je regardai mes schémas et rassemblai mes papiers. Marcus me tendit une clé.

- Voici l'accès d'un coffre pour déposer vos documents, ils seront mieux protégés.

- Merci.

Le soleil était maintenant haut dans le ciel. Pas un nuage ne venait perturber la clarté de cet astre.

En sortant, j'admirai la couleur intense du ciel et inspirai un bon coup. Je me dirigeai ensuite vers l'arrière du palais du côté des cuisines.

Mon entrée dans cet espace réservé au personnel amena de l'effervescence. Je rassurai la cuisinière d'un geste.

- J'ai raté le diner, auriez-vous un en-cas que je puisse emporter ?

- Votre Altesse, répondit la femme en me saluant d'une révérence. Bien sûr, souhaitez-vous que je vous l'apporte dans vos appartements ?

- Oui s'il vous plait.

Je la remerciai et grimpai l'escalier de service précédé d'un page pour me guider vers mon étage. Dans ma chambre, je me changeai et m'allongeai sur le lit. Après mon léger repas, je descendis à la recherche de Végalia. Celle-ci était dans un petit salon, occupée à lire. Je lui proposai de découvrir les jardins.

Je l'emmenai le long des allées, chargées de fleurs de toutes les couleurs. Je lui nommai celles que je connaissais, lui parlai de la nature et des animaux d'Euphor, de ma famille notamment de ma petite sœur. Le seul sujet que j'évitai concernait la guerre.

Au fil des jours, je divisai mon temps entre le centre de recherche et mes promenades avec Végalia. J'appréciai la simplicité de la jeune fille mais aussi sa vivacité cachée par une légère timidité lorsqu'elle était entourée de plusieurs personnes. Je n'avais toujours pas abordé le projet de mariage alors que mon départ approchait.

***

Le dernier matin de mon séjour, je me dirigeai vers le centre comme à mon habitude.

- Duke!

Je m'arrêtai à l'appel de mon nom. En jetant un œil au-dessus de mes épaules, j'aperçus Végalia qui se dépêchait de me rejoindre.

- Princesse, je ne m'attendais pas à te rencontrer si tôt.

Je m'inclinai pour la saluer.

Mes yeux scrutaient le visage de la jeune fille.

- Je n'ai pas réussi à dormir. Du coup, j'ai préféré faire une promenade. Je suis inquiète et intriguée.

- Oh !

- Hier, j'ai entendu des bribes de conversion sur l'oppression qu'exercerait mon père sur certaines planètes et aussi sur un projet de trêve. Je voudrais en parler avec toi.

Je tournai la tête en direction du Centre puis revins vers elle.

- Que dirais-tu d'une promenade en barque ? Je t'attends au débarcadère du lac dans une heure.

- D'accord, à tout à l'heure.

Après avoir récupéré ma mandoline, je rejoignis Végalia. Je la fis monter sur une barque, l'aidai à s'installer et pris les rames. Arrivés au centre du lac, je déposai ces dernières et pris mon instrument de musique que je grattai légèrement pour faire sortir une petite mélodie.

- Duke, pourquoi crois-tu que mon père m'a envoyée ici ?*

Je fis semblant de ne pas comprendre.

- Le grand Stratéguerre ? Mais Végalia, je l'ignore.

- Il pense que notre union pourrait être un gage de paix.

- Serait-ce possible ?

- Duke, tu ne me crois pas ? Veux-tu dire que tu ne m'aimes pas ?

Je baissai les yeux

- Végalia, ce n'est pas ce que je voulais dire !

- Alors quels sont tes sentiments envers moi, Duke ?

Gêné, je regardai les fleurs sur la rive. Je fus captivé par une fleur dont la couleur ressemblait à celle de la jeune fille. L'aimais-je ? Je pensais que la vie commune me permettrait d'éprouver des sentiments plus forts. J'appréciais sa conversation. Mon malaise du début avait disparu mais je ne ressentais pas la petite étincelle chaleureuse, proche de l'amour lorsque j'évoquais son visage.

- Eh bien, je trouve que tu es une magnifique petite fleur rouge !

Ce n'est pas ce qu'il y avait de mieux en poésie, mon précepteur s'arracherait les cheveux.

- Et toi, quand penses-tu ? T'imagines-tu sur Euphor, loin de ta famille ?

Végalia me regarda avec admiration.

- Tu es si secret et distrait en société ! Vivre avec toi doit être si facile. Tu ne t'encombres pas de choses qui ne t'intéressent pas. La description que tu m'as faite d'Euphor me donne envie de la découvrir. J'envie les anecdotes avec ta petite sœur. Je suis seule.

Elle se tut et me prit la main.

- Oui, je peux quitter ma famille et apprendre à mieux te connaître. Nous ferons un couple uni et solide.

Je fermai les yeux.

- Bien, je vais informer ma mère de cette décision. Je ne sais pas quand le mariage pourra avoir lieu.

Je repris les rames et ramenai la barque sur la rive. Je sortis en premier de l'eau et lui pris la main pour l'aider. En posant le pied au sol, Végalia perdit pied et serait tombée si je ne l'avais pas retenue. Je la gardai contre moi un instant avant de m'écarter. Calmement, nous remontâmes la pente vers le palais.

- Je repars demain, dit Végalia. Te reverrai-je avant mon départ ?

- Je vais essayer de me libérer.

Je pris mes distances, lui souhaitai bon voyage et repartis vers le centre.

***

Végalia le regarda partir, un voile de tristesse assombrit son visage.

- Oh Duke, murmura-t-elle, si tu savais comme ces quelques jours m'ont fait du bien. Ta discrétion me change par rapport à l'exubérance de mon entourage. Merci.

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* Les textes italiques sont une reproduction du dialogue entre Actarus et Végalia à l'ép. 72

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