Chapitre 5

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L'architecture du palais était totalement euphorienne. La partie centrale, accessible par une cour pavée, avait la forme d'un grand ovale bombé avec des petites tours sur le devant. Chacune d'elles se terminaient par une pièce en champignon qui servait de lieu de surveillance pour les gardes. La base rectangulaire du bâtiment principal était réservée aux bureaux administratifs. Les conseillers avaient chacun un bureau qui leur permettait de recevoir leurs administrés. Une statue de Fleed, protecteur de la planète, trônait dans le hall face à l'entrée. Un escalier sur la droite emmenait les visiteurs au deuxième étage. Celui-ci était composé d'une grande salle pour les réceptions officielles. Le trône du roi était installé à l'opposé de l'entrée. Le côté nord avait de larges baies vitrées, le côté sud était décoré des peintures des rois précédents. Le toit était un dôme ouvert sur le ciel.

Dans la partie Est du palais, d'autres tourelles partaient en courbe et étaient reliées entre elles par des passerelles. La structure de l'aile Ouest était identique. Une arche de chaque côté faisait la jonction avec la partie centrale.

Duke entra dans une des tourelles Ouest et passa par ses appartements pour se changer. Son logement était face à celui de sa sœur. Il avait un salon avec vue sur le parc, une chambre et une salle de bain. Chaque pièce était sobrement décorée. Quelques cadres représentant sa famille et des paysages bucoliques embellissaient les murs. Le salon, dans les tons vert et bordeaux, comprenait un fauteuil de deux places, une bergère que Maria Grâce adorait utiliser, une petite table basse avec quelques magazines sur la nature. Un grand écran prenait toute la surface du mur côté chambre. Quelques meubles étaient installés çà et là pour compléter l'aménagement.

Sa chambre était plus sombre. Le tissu des rideaux et de la courtepointe de son lit était en velours noir rehaussé d'un liseré jaune doré. Les murs étaient tapissés de papier ocre avec des motifs orangers. La salle de bain était accessible via cette pièce. Un dressing était installé juste à côté.

Après sa douche, il choisit un ensemble gris : le pantalon épousait la forme de ses jambes et mettait en valeur sa musculature ; sa chemise en soie, aux manches longues et col cintré était resserrée à la taille par une ceinture. Il plaça son collier au-dessus du vêtement, mît la bague princière à son annulaire droit et un ruban doré autour de sa tête pour maintenir sa chevelure. Il était prêt pour son rendez-vous quotidien avec son père.

Il rejoignit la partie centrale par le haut de l'arche, puis une tourelle de l'aile Est par un couloir accessible uniquement pour les membres privés de la famille royale qui donnait sur le parc.

Le bureau du Roi de Fleed était au premier étage. Une antichambre permettait aux visiteurs qui avaient audience d'attendre patiemment. Elle donnait sur la cour extérieure. Un petit homme, installé au bureau d'accueil, se leva à l'arrivée du prince.

- Votre Altesse, votre père vous attend. Si vous permettez.

Il s'avança vers le fond où deux gardes surveillaient la double porte. Ils se mirent au garde à vous. Duke les salua avant d'entrer dans la pièce.

Le bureau du Roi de Fleed donnait sur les jardins privés. La baie vitrée et le dôme lumineux donnaient un éclairage particulier surtout à cette heure tardive de la journée. Des lustres descendaient du plafond pour compenser le faible éclairage.

Le roi était assis derrière son bureau. Son secrétaire particulier, debout devant lui, prenait des notes avec un stylet sur une tablette. Il s'interrompit en voyant Duke.

- Votre Altesse, salua-t-il avant de se tourner vers le roi. Avez-vous encore besoin de moi ?

- Non, laissez-nous pour ce soir. On terminera demain à la première heure.

Le secrétaire s'inclina et recula jusqu'à la porte. Enfin seuls, le Roi regarda son fils.

- Et bien Duke, je t'attends depuis une heure.

- Excusez-moi, père. J'étais à une réunion en ville et je devais me changer avant de vous retrouver.

- Tu veux boire quelque chose ?

- Non merci.

Le roi se dirigea vers le bar. Il se servit une liqueur ambrée dans un verre en cristal. Il désigna ensuite un fauteuil.

- Assieds-toi. Quelles sont les nouvelles des jeunes ?

Duke résuma ce qu'il avait appris de Cornelius et parla de son projet de coopération.

- Qu'en pensez-vous ?

Le roi mit sa main sous son menton et réfléchit.

- Ce serait jouer sur deux fronts. Nous négocions actuellement avec Véga pour unifier les planètes de cette partie de la galaxie. Il serait mal venu d'envoyer des navettes au risque qu'elles tirent sur nos futurs alliés…

Duke se figea.

- Père ! Ce mariage doit amener la paix, mais pas une paix sous domination !

- Je comprends, mon fils, mais nous n'avons pas les moyens d'accepter autre chose.

Le prince se leva et se dirigea vers la fenêtre. Il regarda les étoiles qui commençaient à briller, notamment la Croix du sud qui était l'étoile frontière vers un autre univers.

- L'autre moyen est de nous défendre. C'est bien pour cela que nous construisons Grendizer ! La jeunesse refuse cette inertie.

- Tu crois que Grendizer seul saura protéger la planète ? Non. Duke, Grendizer fait partie de ton contrat de mariage, asséna le roi.

A ces mots, Actarus se retourna vivement, les poings serrés.

- Quoi !

Son père le fixa avec insistance. Duke secoua la tête.

- Non père, non, je ne peux pas croire…

Il regarda son père avec horreur puis recula jusqu'à la porte.

- Duke, attends…

- Excusez-moi, je dois…

Il ferma les yeux mais ne continua pas sa phrase. Il sortit de la pièce et se précipita au dehors.

***

Je courus à perdre haleine dans le parc. La peur que je sentais diffuse depuis mon retour de Pallas m'étouffait. Je ne pouvais croire ce que je venais d'entendre. Cet aveu me faisait mal bien que je m'en doutais déjà depuis que mon père avait associé Stykadès à la construction de la machine. Comment le roi, si juste et si clairvoyant, pouvait-il trahir ses convictions ? Je me réfugiai dans la petite cabane construite dans un arbre à l'orée du parc qui me servait de jeux et cachette quand j'étais petit.

Assis, les genoux repliés contre mon visage, les mains sur mes cheveux comme pour me protéger, je ne pus retenir mes cris de désespoir et mes larmes, les paroles de mon père tournant en boucle dans ma tête.

***

Aphélie était assise sur l'appui de fenêtre de sa chambre, dans l'aile Est du palais. Sa tourelle comprenait plusieurs logements pour les membres de la famille royale. Elle revenait de la taverne après avoir déposé Octavius dans ses quartiers près de l'université. Épuisée et en nage, elle n'avait pas encore eu le courage de se doucher. Son camarade l'avait sans cesse interrogé sur les travaux de Duke en lui posant des questions, assez indiscrètes. Elle avait détourné le sujet vers le projet de communication mais il revenait sans cesse à la charge. Elle était contente de s'en être débarrassée pour ce soir.

La jeune fille avait le regard vague, perdue dans ses pensées. Duke lui manquait. Quand Octavius lui avait annoncé le but de ce voyage, son cœur s'était arrêté de battre un instant, elle était devenue pâle, prête à s'évanouir et puis la colère était venue. Elle préférait éviter sa présence depuis son retour de Pallas. Maintenant, elle le regrettait. Un mois sans pouvoir le toucher, rire avec lui, c'était trop. Quel bonheur avait-elle ressenti lorsqu'il avait repoussé une mèche tout à l'heure à la taverne !

Son regard fut soudain attiré par un mouvement flou dans le jardin. Une silhouette s'éloignait vers le fond du parc. Elle regarda attentivement. Oui, c'était bien Duke qui allait dans la cabane, leur cabane.

Cet endroit était la cachette de Duke, petit, lorsqu'il avait besoin de s'isoler. Puis ce lieu était devenu leur refuge lorsqu'ils avaient besoin de se voir loin des regards indiscrets.

Elle se nettoya, se vêtit rapidement d'une légère robe à bretelles puis sortit à son tour vers le bois. En arrivant, elle entendit des gémissements.

Duke, assis sur le sol, avait la tête appuyée sur ses genoux relevés.

- Argh, non, non, je ne veux pas… je ne peux pas y croire, murmurait-il en gémissant.

Elle s'approcha doucement et lui caressa les cheveux. Il ne s'en rendit pas compte. Elle s'assit alors pour le prendre dans ses bras. Au bout de quelques minutes, Duke bougea et l'enlaça.

- Oh mon chéri, que se passe-t-il ? Je n'aime pas te voir ainsi.

- Aphélie, Aphélie...

Il la regarda, une expression douloureuse dans les yeux. Elle soutint son regard puis elle posa sa bouche sur ses lèvres et sans attendre l'embrassa. Après une légère hésitation, il empoigna ses cheveux et plongea sa langue dans un baiser désespéré. Aphélie gémit. Elle glissa les mains sur ses épaules, les fit glisser sur son dos pour les enfouir sous sa tunique. Elle frémit en sentant les muscles contractés de son compagnon. Doucement, elle le massa tout en penchant la tête un peu plus pour profiter de ce baiser si longtemps attendu.

Duke l'allongea. Sa bouche picorait de baisers légers les joues, les paupières, le nez avant de revenir vers les lèvres qu'il mordilla. Puis il descendit sur le menton, le cou avant de s'aventurer vers sa poitrine. Il inspira profondément et releva la tête.

- Aphélie, je...

Elle mit un doigt sur sa bouche.

- Chut, j'en ai envie. Viens, s'il te plait. Je veux aller jusqu'au bout cette fois.

- On ne devrait pas, tu le sais bien.

- Tant pis pour les convenances. Viens, viens, chuchota-t-elle

***

La nuit était bien avancée. Une petite bougie éclairait la cabane et nos corps nus. Nous étions allongés sur une couverture, repus de fatigue et de bien-être. Aphélie avait posé sa tête sur mon torse et me caressait le ventre pendant que je jouais avec ses cheveux.

- Veux-tu me dire ce qu'il s'est passé, tout à l'heure ?

Les yeux fermés, je ne répondis pas tout de suite. Je passai ma main sur mon visage. Elle releva la tête plongeant ses yeux verts dans les miens. Que pouvais-je lui dire de la honte que je ressentais ? Pouvait-elle percevoir les enjeux que moi-même je ne comprenais plus. Devant mon silence qui perdurait, elle essaya de s'asseoir. Je la collai à moi pour la retenir.

- Le roi va donner le robot à Véga. Cela fait partie du contrat de mariage, avouai-je enfin.

- Comment se peut-il ? Aphélie était choquée par cette information.

- Je ne sais pas, et ne veux pas le savoir. Je ferais en sorte que ce robot - Ah comme je le déteste maintenant - que ce robot serve Fleed quoiqu'il en coûte. Il est hors de question que Véga mette la main dessus.

- Tu vas aller à l'encontre de ton père...

Je regardai son amie.

- Que faire d'autre ? Tu as entendu et vu tous ces jeunes à la réunion ? Ils sont dans l'attente d'un mouvement. Nous devons commencer à préparer une résistance. Les cauchemars de Maria Grace sont prémonitoires. Le combat va arriver. Quand ? Je ne sais pas.

- Oh, mon chéri. Je voudrais tant enlever ce poids sur tes épaules. Toi qui n'aime pas la guerre et les affrontements. Et ton mariage ?

- Pour l'instant, je veux garder l'espoir au fond de mon cœur. Je n'ai pas eu le temps d'y penser. Je vais répondre au courrier que Végalia m'envoie pour tâter le terrain de son côté.

Je vis poindre un sourire moqueur sur ses lèvres.

- Elle t'a envoyé des lettres ?

- Deux ou trois, oui.

- Et tu ne lui as pas répondu ?

- Je n'ai pas eu le temps.

Son rire fusa dans la cabane.

- Duke, comment oses-tu ? Que fais-tu de ta bonne éducation ? Et de ton romantisme ?

Je fronçai les sourcils.

- Je ne comprends pas. Elle sait que j'ai d'autres obligations et que veux-tu que je lui dise ?

- Hum, oui, difficile d'être honnête en effet. Personne ne connait ses relations avec son père.

- De ce qu'elle m'a dit, elle le voit peu et ne sait pas ce qui se trame dans la galaxie.

Je lui caressai le visage, soulevai son menton et l'embrassai furtivement sur la bouche.

- Aphélie, merci pour ta présence et ce partage entre nous.

- Je t'aime, Duke. Ces dernières semaines étaient une punition pour moi. Excuse-moi pour mon absence.

Je posai les doigts sur les lèvres de mon amante.

- Non, tu avais raison. Je ne suis plus le même depuis le début de cette guerre. Nous sommes encore protégés mais tout cela me ronge.

J'inclinai la tête. Aphélie prit ma main et la porta à sa bouche.

- A la fin de la semaine, je déménagerai dans le quartier des étudiants.

- Pourquoi ? demandai-je, stupéfait.

Elle encadra mon visage et m'embrassa.

- Cette nuit restera un souvenir cher à mon cœur. Ce soir, tu avais besoin de moi et je suis contente d'avoir été là. Je sais que nous ne pouvons pas envisager un avenir ensemble. Je suis jalouse de Végalia qui passera sa vie dans tes bras. C'est ainsi.

Je fermai les yeux.

- Tu vas me manquer.

- Toi aussi mais tu dois te consacrer à Végalia et faire en sorte que ce mariage arrive vers une paix durable et équitable. Je serai un poids pour de toi si je reste. De mon côté, je vais me consacrer à la création de groupes de résistance. Si on ne peut pas apporter notre aide dans l'espace, faisons-le d'ici.

- Oui, tu as raison.

Elle quitta la cabane après un dernier baiser et s'enfuit vers le palais. Je la regardai partir, le cœur lourd. Un pan de ma vie venait à nouveau de se fermer.

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