Au petit matin, je m'enfermai dans mon bureau et sortis trois lettres d'un tiroir que je relus.

"Cher Duke,

Je suis sur le chemin de Stykadès. Les quelques jours passés sur Pallas m'ont permis de voir combien ma vie est protégée. J'ai découvert là-bas des personnes formidables.

Je suis heureuse de penser à notre avenir ensemble.

Dès que je verrais mon père, je lui demanderai des informations concernant les rumeurs que j'ai entendues. Je ne veux pas croire que cela soit fondé. Hélas, j'ai un mauvais pressentiment.

Bien amicalement

Végalia"

"Cher Duke,

Je n'ai pas eu de réponse à ma première missive. J'espère que tu l'as bien reçue. Mais je me suis rendue compte que rien ne nécessitait un retour de ta part.

Cela fait 15 jours que je suis revenue. Ma mère prépare le mariage, je suis déjà dans l'essayage de la robe. Je voudrais te la décrire mais la coutume présage d'un malheur si le fiancé la voit même en image.

Je n'ai pas vu Père. Je suis gardée dans mes appartements. Même ma mère dévie la conversation quand je l'interroge. Elle dit seulement que ce mariage servira à consolider la paix dans la galaxie. J'ai découvert pendant mon voyage que nous étions en guerre. Je suis dégoûtée de ma naïveté. Tu as dû être choqué par tout ce que j'ai pu dire comme bêtise.

Ce mariage est, pour nous deux, forcé, j'en conviens. Je comprends que tu ne dois pas être dans un état d'esprit ouvert pour l'accepter. Je discerne mieux maintenant les réactions distantes que tu as eues lors de notre semaine de rencontre. Je voudrais que l'on puisse construire quelque chose ensemble, quelque chose de positif.

Le permettras-tu ?

Amicalement

Végalia"

"Duke,

Mes missives se sont-elles perdues en cours de route ? Je suis inquiète. La distance entre nos deux planètes est grande mais je sais que de nombreuses correspondances font la navette. Je suis triste et déçue.

Je reste enfermée dans mes appartements. L'atmosphère de la planète devient dangereuse et irrespirable. Sous prétexte de me protéger du fait de nos fiançailles, ma mère m'oblige à me couvrir de la tête aux pieds dès que je mets un pied dehors. Personne ne doit me voir. Je soupçonne même mon courrier d'être lu alors je n'en dirais pas plus.

J'aimerais tant qu'une date soit enfin fixée et pouvoir te revoir.

Amicalement

Végalia"

Je posai les lettres sur mon bureau et réfléchis. Il était temps de finaliser ces fiançailles. Je les rangeai dans le tiroir et me dirigeai vers les appartements du roi.

***

Le roi logeait dans une tourelle supérieure de l'aile ouest. Je pris un ascenseur qui reliait les appartements royaux et entrai dans un petit salon. A cette heure de la journée, mes parents prenaient un léger repas ensemble avant de se séparer pour vaquer chacun à leurs occupations.

— Duke, je suis heureuse de te voir, s'exclama ma mère.

Elle me scruta attentivement et remarqua des cernes sous les yeux.

— Comment vas-tu ? J'ai l'impression que tu as fait une nuit blanche.

J'attrapai sa main pour la porter à ma bouche puis l'enlaçai. Je saluai ensuite mon père.

— C'est un peu cela. Il est temps de parler ouvertement de ce mariage, n'est-ce pas, Père ?

— Fils, tu es parti un peu vite hier avant d'entendre mes explications.

— J'avais besoin de réfléchir.

— Assieds-toi.

Je pris place sur une chaise en face de mes parents. Je me servis une boisson chaude et attendis que mon père prenne la parole.

— L'idée de ce robot m'est venue un jour en rêve, bien avant ta naissance. Je n'ai pas compris les implications de ce que cela allait apporter avant les premiers signes de combat. C'est à ce moment-là que je t'ai demandé de travailler sur le projet car je savais que, grâce à tes capacités, tu allais apporter des modifications bénéfiques en défense et que tu en serais le pilote. Du fait du pacte de non-agression signé entre nos deux planètes, Véga a demandé de participer au projet, ce que je ne pouvais lui refuser. Lorsque le mariage a été mis sur la table des négociations pour renforcer le pacte, il a suggéré de faire de ce robot un cadeau au CIPUPCET pour preuve de bonne volonté.

Il se leva alors et se positionna derrière moi en mettant ses mains sur mes épaules. Il se pencha pour me chuchoter à l'oreille.

— Tu ne m'as pas déçu. Lorsque Véga viendra réclamer son dû, il ne pourra rien en faire. Je me trompe ?

— Non, père, vous avez raison, confirmai-je en souriant. Je ferais maintenant plus attention aux regards fouineurs des véghiens au laboratoire.

— Bien, en ce qui concerne ton mariage, le sujet est plus délicat.

Il se mit à marcher, les mains derrière le dos, le dos droit.

— Je comprends tes réticences, reprit-il. Elles sont tout à fait légitimes. Je ne suis pas dupe, je sais aussi que ton cœur est tourné vers quelqu'un d'autre.

Il jeta un œil à sa femme, lui sourit et continua :

— Quand nous nous sommes mariés, ta mère et moi, nous ne nous étions jamais vu. Les familles royales font des mariages de convenances pour s'assurer des alliances. Ta mère vient d'une petite planète qui ne pouvait plus assurer sa survie seule. Nos parents se sont associés pour s'entraider. Chacun avait un enfant en âge de se marier et cette union leur permettait de légitimer les conventions que les planètes avaient établies ensemble.

— La première fois que je vis ton père, intervint ma mère, ce fut à l'autel. Il attendait dans son costume militaire. J'avais une coiffe qui protégeait mon visage. J'avais peur, je tremblais et j'avançais avec peine.

— De mon côté, je ne voyais qu'une silhouette blanche qui avançait. J'ai vu son visage après les vœux échangés. Aucun portrait n'avait été échangé entre nous auparavant.

— Nous nous sommes apprivoisés petit à petit et nous ne regrettons pas les années vécues ensemble, pourtant notre famille a connu quelques deuils. Tu fus notre première joie après cinq ans de mariage. Une naissance inespérée, nous perdions espoir. Quand ta sœur est arrivée, longtemps après, je savais que ce serait notre dernière enfant.

Le roi se positionna devant moi et me regarda droit dans les yeux.

— Pour te dire qu'il y a toujours espoir et que si l'amour ou l'affection n'est pas là, cela peut venir petit à petit.

Je fis un geste de la main.

— Ce n'est pas cela qui me fait peur et craindre ce mariage. Ce sont les implications d'une entente avec Véga. Qu'avez-vous promis ?

Le roi resta un moment sans répondre, ses épaules s'affaissèrent.

— Dans les conditions actuelles, nous ne pouvons opposer aucune résistance. Je ne veux pas condamner mon peuple comme ce fut le cas sur les autres planètes. Il a promis de ne pas s'ingérer dans la politique intérieure. En échange, il demande notre aide dans la conquête de la galaxie.

— Mais père, coupai-je, vous savez que Stykadès est bientôt une planète morte avec son satellite instable.

— Je me rends bien compte, continua-t-il, qu'à terme, il devra trouver un lieu pour son propre peuple. J'espère que ce ne sera pas Fleed. Il m'a parlé d'une autre galaxie, assez similaire à la nôtre dont une seule planète serait viable.

Je grimaçai.

— Il n'en finira jamais, n'est-ce pas ? Que lui apportent toutes ces planètes ? Comment peut-il espérer gérer cela ? C'est énorme.

— Suite au mariage, toi et Végalia serez les gouvernants. Cela est aussi une clause du contrat. Par sa fille, il compte aussi mettre main basse sur nos exploitations minières, les métaux précieux.

— Hum, et il espère que je vais le laisser faire ? m'insurgeai-je.

Mon père ébaucha un sourire.

— Eh bien, ton coté discret à un avantage. Il te croit assez simple et facilement manipulable.

Je poussai une exclamation de surprise. Je réfléchis à ce qu'il venait de dire. Officiellement, il ne pouvait s'engager contre Vega de peur des représailles sur le peuple. Cependant, à demi-mots, il venait de donner sa bénédiction pour la résistance.

-– Bon, je vais retourner alors à mes travaux. Sachez que les jeunes se rassemblent et ne se laisseront pas faire.

Le roi hocha la tête.

— Laisse-moi dans l'ignorance de ceci. J'ai confiance en toi. Pour ce qui concerne le mariage, il aura lieu lors de la fête du renouveau, dans deux mois.

***

"Végalia,

Je suis contrit par l'oubli de réponse à tes lettres. Je n'ai aucune excuse.

Ta vie me semble bien triste et j'espère que notre mariage te permettra de sortir de ta chrysalide.

Celui-ci est prévu pour la fête du renouveau, dans deux mois. Ce sera un bel événement pour concrétiser la paix.

J'ai appris que ton père souhaitait que nous gouvernions suite à notre union. Ne serait-ce pas un bon point de départ pour toi pour sortir de l'innocence qu'on veut continuer à te faire subir? Parles-en à ta mère afin que tu puisses dès maintenant comprendre les grandes lignes du pouvoir. Elle ne peut pas rester insensible.

De mon côté, il est prévu que mon robot soit offert au CIPUPCET. Je ne te cacherai pas que je suis inquiet du futur de la machine. Elle est conçue principalement pour être défensive et je ne vois pas ce que cette organisation pourra en faire.

Je t'attends donc dans deux mois pour lier notre destin.

À bientôt

Duke Fleed"