Chapitre 9
La salle de réunion qu'Actarus avait réservée était située dans une tour champignon du Palais. Elle était pourvue de longues fenêtres qui donnaient sur le parc. Le mur du côté du palais était muni d'un écran blanc. Une table ovale d'une dizaine de place était au centre de la pièce.
Octavius était installé près de l'ordinateur. Il terminait un graphique représentant une série de réseaux complexes. Aphélie était assise à l'opposé. Elle dessinait sur un carnet, la tête penchée sur le côté, les jambes repliées sous elle. Ils étaient arrivés ensemble depuis 20 mn et attendaient l'arrivée d'Actarus, de Pollux et de Cornelius.
— Mais qu'est-ce qu'ils font ? s'agaça Aphélie
— Bah, Monsieur le Prince prend certainement ses aises, répliqua Octavius avec amertume
Aphélie le regarda, les yeux plissés, les lèvres pincées.
— Que se passe-t-il, Octavius ? Tu sais bien que Duke n'est pas ainsi. S'il y a bien un homme qui se met en quatre pour les autres avant de penser à lui et même à sa charge, c'est bien lui.
— Ah, voilà la demoiselle protectrice de son grand héros.
— Arrête, Octavius. Ce n'est pas drôle. S'il n'était pas là, la planète n'aurait aucun défenseur.
— Parce que tu crois qu'à lui seul, il saura éviter la guerre ! En voilà une belle preuve de bêtise fleedienne. Les véghiens ne vont certainement pas arrêter leur extension parce que Duke se sacrifie pour épouser une marionnette.
Aphélie lui jeta un regard glacial.
— Ça suffit, Octavius. A t'entendre, j'ai l'impression que tu en connais plus sur les projets de Vega.
Elle s'adoucit.
— Tu es prêt ? Je viens d'entendre la sonnerie de l'ascenseur.
Elle eut à peine fini que les trois retardataires entrèrent dans la salle.
***
Lorsque j'entrai dans la salle, accompagné de Pollux et Cornelius, je sentis l'atmosphère tendue entre Aphélie et Octovius qui étaient déjà présents. Je m'avançai directement vers lui et lui tendis la main. Je le vis la regarder avec hésitation avant de la prendre et de la serrer mollement.
— Désolé, Octavius pour ce matin. J'avais un projet urgent à terminer et ne pouvais pas me libérer. Au moins, ce soir, nous aurons plus de temps pour discuter. C'est pourquoi j'ai invité Pollux et Cornelius.
Je me tournai ensuite vers ma cousine.
— Tout va bien ?
Je ne fis pas mention de notre rencontre aérienne et elle n'insista pas sur le sujet. Elle me fit un signe de tête et un léger sourire.
— Tout est prêt, Octavius ?
Octavius alluma le rétroprojecteur et se lança dans une explication.
— A ta demande, j'ai travaillé sur une manière simple et efficace de communication orale pour les membres spécifiques d'un groupe. J'utilise le réseau mis en place à l'université en lui ajoutant un code spécifique. Il y a plusieurs niveaux de sécurité en fonction des responsabilités de chacun.
— Quels sont les supports que tu préconises ? demanda Cornelius
— Soit le téléphone, soit la montre ou tout objet connecté à un satellite. Chacun a au moins un de ces gadgets sur lui. Il suffit d'entrer une adresse sécurisée, ou un point d'accès chiffré puis de taper son mot de passe qui est personnel. Voyez le schéma.
Sur l'écran, une pyramide représentait des traits entrelacés de couleurs.
— Voici le schéma général. Là, vous avez l'université, c'est le point de départ. La ligne au-dessus est reliée à un satellite déjà présent dans l'espace. Les différentes couleurs représentent les niveaux de sécurité. Duke, tu seras propriétaire de la ligne de niveau 1. Cette ligne a accès à toutes les communications qui auront lieu sur les autres lignes. Sur le support que tu choisiras, tu auras un point lumineux qui s'affichera. La couleur déterminera le niveau qui est activé. Il te suffira d'appuyer sur un bouton pour entendre la conversation.
— Qui pourra avoir accès à ce niveau ?
— Je n'ai prévu pour l'instant qu'un seul. Mais si tu as une personne de confiance à me donner, je pourrais mettre en place le même système.
Je hochai la tête en guide d'accord.
— Le niveau 2 est la ligne particulière aux responsables de groupes. J'ai supposé que vous allez travailler en sections disséminées sur la planète avec des missions particulières. Les responsables pourront communiquer entre eux sans que les subalternes en aient connaissance. Le responsable pourra accéder aux communications de sa section à leur insu. Le niveau 3 est spécifique à la section.
— Quelle est l'étendue du réseau ? demanda Pollux. Tu pars de l'université et tu le dis justement, nous pourrons être amené à aller aux quatre coins de la planète. Qu'est-ce qui prendra en charge la puissance du réseau ?
— J'ai pensé que je pouvais utiliser une infime partie de la puissance du prochain satellite qui doit être mis sur orbite dans une semaine. J'aurais besoin de l'accord de Duke pour faire les démarches nécessaires.
— Je vais t'arranger un rendez-vous avec le centre aérospatial pour demain, répondis-je. Qui sera responsable pour donner les accès ?
— Toi ou ton délégué si tu décides d'avoir une autre personne pour le niveau 1. Cette liste sera cryptée et gérée par ordinateur pour plus de facilité.
— Et tout cela peut être opérationnel à partir de quand ?
Octavius fit un rictus
— Maintenant. C'est l'avantage d'utiliser quelque chose d'existant.
Aphélie prit la parole.
— Y a-t-il une géolocalisation dessus ? Cela pourrait être intéressant pour connaître la situation des membres lors des missions ou des appels de rassemblement.
Octavius hésita. Ses yeux se troublèrent un bref moment sans que personne ne s'en aperçoivent.
— Je peux le mettre en place pour les niveaux 1 et 2.
— Pourquoi pas le niveau 3 ?
— Pourquoi pas en effet, lui répéta-t-il.
— Tout cela est bien sympa, reprit Pollux, mais cela veut dire qu'avec la géolocalisation, il n'y a plus de vie privée. Je ne suis pas sûr que les jeunes apprécient.
— C'est un problème en effet sur lequel vous devez y réfléchir.
Les bras croisés, j'avais le regard posé sur la fenêtre. La nuit était tombée depuis une heure et le ciel était illuminé de petites étoiles brillantes. Je fus attiré par la Croix du Sud, la plus visible. Je réfléchissais aux implications de ce réseau. Mes yeux se posèrent brièvement sur Aphélie qui dessinait sur son carnet, néanmoins attentive à la discussion.
— Nous ne pourrons pas faire autrement. La résistance n'est encore qu'un embryon et ces membres ne sont pas définis. Ceux qui voudront s'impliquer un peu plus devront signer une décharge à ce niveau-là.
Je regardai Octavius.
— Il y a moyen de désactiver manuellement et individuellement le réseau ?
— Oui.
— De toute façon la géolocalisation existe déjà sur les téléphones et peu la désactive. Le centre de sécurité doit avoir la possibilité de repérer toute personne connectée.
— Pas pour ce réseau, insista Octavius
— Non, pas pour celui-ci mais pour un réseau moins sécurisé oui.
— En effet.
Je survolai l'assistance en vue d'autres interventions.
— D'autres questions ?
Chacun des intervenants secoua la tête.
— Bien, alors nous terminons pour ce soir. Octavius, es-tu libre demain vers 9h00 ? Tu m'expliqueras en détail la procédure et je te donnerai le nom d'une autre personne pour ce réseau.
Alors que tout le monde sortait et qu'Octavius fermait l'ordinateur, je retins Aphélie.
— Peux-tu m'accompagner ?
Aphélie me fit un grand sourire sans voir le regard glacial que lança son ami dans son dos. Que se passait-il entre eux ?
— Avec plaisir. As-tu eu l'occasion de manger ce soir ?
— Non, trop accaparé comme toujours.
— Duke, tu vas finir par te rendre malade.
— C'est bien pour ça que j'ai besoin de ta présence, ce soir, fis-je avec une moue que je savais irrésistible.
***
Nous descendîmes en direction de l'aile Ouest vers mes appartements. Notre bavardage était insouciant, à mille lieux des préoccupations actuelles. Mon comportement inhabituel devait étonner un peu Aphélie. Depuis que j'étais à l'école des officiers, je l'avais habituée à des discussions plus philosophiques oubliant les moments de bêtises enfantines que nous avions pu faire lors de nos escapades.
Mon bras sur ses épaules me faisait un bien fou. Je ressentais le besoin d'une chaleur réconfortante que je n'avais pas encore retrouvée depuis qu'elle était partie.
— Alors, comment s'est passé cette première semaine ?, lui demandai-je
— Bof. Je n'ai pas encore trouvé mes marques. J'ai la chance qu'Octavius est mon voisin. Il m'aide assez bien.
— Tu l'aimes bien, non ?
— Il est touchant dans sa tristesse. J'ai encore du mal à le comprendre alors que je passe plus de temps avec lui qu'avec toi, depuis un an. A croire que j'aime les caractères insaisissables.
— Même moi, je ne le comprends pas. Il attend de nous quelque chose. Je n'ai jamais su le deviner. Je voyais bien son manège, enfant. Il voulait s'intégrer et dès que je faisais un pas vers lui, il reculait.
Nous arrivâmes au salon. Aphélie s'installa sur le fauteuil alors que je me dirigeai vers l'interphone.
— Que veux-tu manger ? Le menu du jour est un mijotée de bœuf avec bière ou une omelette aux petits légumes. Mais si tu veux autre chose, le Chef pourra le préparer.
— Non, je ne veux pas trop déranger en bas. Le mijotée me tente bien.
— Ok, mets-toi à l'aise pendant que je passe commande. Tu veux boire quelque chose?
— Un thé bien chaud.
Je sentais son regard dans mon dos pendant que je passai commande. Je l'entendis soupirer et eus un petit sourire. Lorsque je revins vers elle, elle avait les yeux vagues posés sur moi. Je l'interrompis dans sa rêverie.
— Tout va bien ?
— Hum ? Elle secoua la tête, ses longs cheveux vinrent sur son épaule. Oh, oui. Je suis exténuée. Les étudiants sont très intéressés par notre projet.
Je m'assis près d'elle et repoussai une mèche derrière son oreille, puis mon doigt descendit sur sa joue.
— Je suis soulagé que notre inertie prenne fin. Je t'ai obéi, tu sais ? J'ai envoyé une lettre à Végalia. J'ai insinué qu'elle devait de son côté être plus proche de son père et apprendre la diplomatie. Mon père m'a informé que Vega comptait bien sur ma naïveté pour faire main basse sur Fleed. Avec le mariage, de ce fait, il ne devrait pas y avoir de combat.
— Et qu'en est-il de ton robot ?
— Je ferais en sorte qu'il ne puisse pas servir entre des mains ennemies.
— Cela risque de ne pas plaire.
— Non, mais je ne peux pas me résoudre à ce que cet engin serve pour autre chose que la défense de Fleed.
Nous nous se tûmes un instant. Je passai une main dans son dos.
— Veux-tu regarder un film pendant le repas ?
— Que me proposes-tu ?
Je tendis la main vers la bibliothèque.
— A toi le choix.
Aphélie se leva, regarda les rayons de films, triés par genre. Elle choisit un film assez romantique, l'inséra dans la machine et prit les télécommandes. Ensuite, elle retourna s'installer près de moi, et se lova contre mon flanc, les jambes repliées sous elle. Elle mit la main sur mon ventre qu'elle caressa en de petits cercles légers. Je jouais avec ses cheveux tandis que je lançai le film.
Des coups tapèrent à la porte.
— Entrez.
Je tournai la tête pour saluer le domestique venu apporter le repas.
— Vous pouvez déposer sur la table basse ici.
— Souhaitez-vous autre chose ?
— Non, ça ira, merci. Bonne nuit.
Nous nous assîmes à même le sol et commençâmes notre dîner sans parler. Aphélie jetait un œil de temps en temps sur l'écran. Elle connaissait l'histoire par cœur.
— Dis donc, c'est une belle soucoupe que vous avez fait là. Elle est bientôt finie, non ?
— Il reste la finition sur le robot. je dois encore voir pour son autonomie. Ce n'est pas encore au point. Au fait, tu peux me dire ce qu'il s'est passé ce matin? Ni le centre de sécurité ni l’aérospatiale n'ont détecté des perturbations dans les ondes radio et satellites.
Aphélie soupira.
— Je ne sais pas trop. Je suis montée pour sortir dans l'ionosphère et d'un coup, tous mes instruments ont perdu le contrôle. Je ne les ai récupérés qu'en basse altitude.
Je baissai les yeux, mes sourcils froncés sous la réflexion.
— Je vais voir avec Cornelius s'il peut faire une sortie avec son appareil en sortant à l'opposé du désert rose et de vérifier l'espace en se dirigeant vers cet endroit.
Ayant fini de manger, nous nous remîmes sur le canapé. Aphélie reprit ses caresses sur mon ventre.
— Nous ne devrions pas mais...
Je lui pris le menton et le levai vers moi.
— Mais... juste un moment de détente.
Et je lui mordillai sa lèvre inférieure avant de plonger ma langue dans sa bouche. Elle gémit et s'accrocha à mes épaules. Soudain, un hurlement retentit.
— Qu'est-ce? demanda Aphélie
— Maria Grâce.
Je me mis aussitôt debout.
— Je suis désolé Aphélie, je dois la rejoindre. Elle fait d'horribles cauchemars en ce moment et je suis le seul qui arrive à la calmer.
— Va, je vais rentrer.
Elle se tut un instant et me regarda de ses yeux verts.
— Et puis c'est mieux ainsi.
Je hochai la tête, lui déposai un baiser léger et sortis.
***
Je me dirigeai vers la chambre de ma sœur. La petite était assise sur son lit, les yeux grands ouverts. J'entendais son cœur battre la chamade. Sa gouvernante, Dame Antonella, était auprès d'elle, elle lui parlait doucement mais Maria n'entendait pas.
— Prince, elle dormait tranquillement et soudain, elle s'est mise à pleurer, s'agiter jusqu'à ce hurlement où elle s'est figée ainsi. Je n'ai pas osé la toucher. La dernière fois, cela avait apporté plus d'agitation.
Je m'assis sur le lit et posai la main sur son épaule.
— Maria ? C'est Duke.
D'un coup, elle s'affaissa contre moi et nicha le nez dans mon cou. Je resserrai mes bras autour d'elle et chantonnai. Elle commença à pleurer doucement.
— Qu'a-t-elle fait aujourd'hui? Y a-t-il eu un événement particulier ?
— Non, au matin, elle était en cours avec Irénius. Je ne sais pas sur quel sujet il a travaillé. Elle a mangé tranquillement à midi et au soir. Cet après-midi, nous avons été nous promenées à l'extérieur, je l'ai emmenée au musée d'histoire naturelle où elle a rencontré Cyrus. Avec sa mère, nous les avons emmenés au parc de jeux.
— Vous n'avez rencontré personne d'étrange ?
Dame Antonella secoua la tête.
— Non, demain, je verrais avec Dame Edmée, la mère de Sirius si de son côté, elle a repéré quelque chose.
— Pouvez-vous nous laisser ? Je vais rester près d'elle jusqu'à ce qu'elle se rendorme. Je vous préviendrais quand je quitterai la pièce.
— Bien, votre Altesse. Elle me salua avant de quitter la chambre.
Je m'allongeai et installai ma sœur dans le creux de mon épaule en lui caressant les cheveux. Ses petits bras entouraient ma poitrine, les doigts agrippés à ma tunique. Elle gardait les yeux fermés. Je ne savais pas si elle s'était rendormie. J'étais plongé dans mes pensées quand j'entendis un murmure.
— Feu, feu. Maman, papa... J'ai peur.
Je resserrai son étreinte.
— Je suis là, pucinette. Tu es dans ton lit. Tout le monde dort. Papa et Maman sont dans leurs appartements.
— J'ai peur, Duke.
Je sentis alors ses tremblements se calmer, sa respiration fut plus régulière. L'étreinte de Maria se desserra. Je restai encore un instant près d'elle puis, quand je fus sûr qu'elle dormait, je la remis sous les couvertures et la laissai aux soins de sa gouvernante.
***
Je ne réintégrai pas de suite mes appartements. Je descendis dans la salle de sécurité pour y trouver Lukas, le garde de veille.
— Tout va bien au Palais ?
— Oui, Aphélie est partie il y a une heure. Octavius la suivait de près.
— Octavius ? Il aurait dû quitter le palais peu de temps après la fin de notre réunion. Savez-vous ce qu'il a fait ?
— Non, je n'ai pas réussi à le repérer sur les vidéos de surveillance. Je ne l'ai vu qu'à l'extérieur.
— Etrange.
Mon front se rida, soucieux.
— Encore un souci en plus. Le centre aérospatial n'a repéré aucun mouvement suspect ?
— Non, ils ne m'ont pas contacté. Je vais vérifier.
— Merci. S'il se passe quelque chose, contactez-moi directement.
- Bien, votre Altesse.
Je me dirigeai ensuite vers mon bureau. Je m'approchai de la bibliothèque et tirai sur un livre. L'étagère pivota pour laisser le passage sur un escalier en pierre. J'allumai une torche et descendis une centaine de marches en colimaçon puis longeai un couloir assez sombre pour arriver devant une porte en métal. Je sortis mon collier étoilé et l'appliquai contre le symbole identique. La porte s'ouvrit sur une petite salle avec une autre porte en face. Je procédai à la même ouverture après avoir regardé par l'œilleton. Rassuré par le calme du lieu, j'ouvris pour me trouver dans le hangar souterrain de Grendizer. En le traversant, je jetai un œil vers la tête du robot puis me dirigeai vers mon laboratoire pour me mettre au travail.
***
Octavius s'était attardé après la réunion pour s'aventurer dans les différents couloirs du palais. Il n'avait pu aller que dans l'aile Est. La partie Ouest était gardée et accessible uniquement via un accès codé. Il avait remarqué l'emplacement des caméras et se mouvait pour les éviter. Il avait à son oreille un écouteur. Celui-ci était relié à Aphélie. Il avait eu l'idée dans la journée de glisser un mini-micro dans la poche du pantalon de la jeune fille. Il n'avait pas appris grand-chose sauf lorsque les tourtereaux parlèrent de Grendizer. Il pourrait annoncer à Sogradi l'information par rapport à la finition du robot et aussi la mission commandée par Duke. Quand il apprit qu'Aphélie quittait le palais, il la suivit discrètement jusqu'au campus. Il fut déçu quand elle rentra dans sa chambre.
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