6.1

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Nora Kirk n’avait qu’un défaut, enfin c’était ce qu’elle pensait. Sa dépendance aux cigarettes. Pas accro au point de fumer un paquet par jour mais assez pour céder à la tentation régulièrement, surtout après les repas. Dès le petit déjeuner englouti, elle prétextait une excuse afin d’aller prendre l’air accompagnée d’une clope. La dégustation rapide lui procurait un semblant de bien-être, parfois contrecarrée par une toux grasse. Ce détail la préoccupait, ainsi que l’odeur persistante de tabac froid dans ses cheveux. Elle envisageait de mettre un terme à cette addiction sans pour autant y parvenir. Un jour peut-être, un jour sûrement. Pour le reste, la haute estime qu’elle avait de son corps allait de pair avec celle de son intelligence, tout était parfait. Le galbe de ses mollets, la tenue de ses cuisses, l’arrondi de ses fesses, son ventre plat, la courbe de ses seins, sa ligne d’épaule, sa bouche, son nez, ses yeux verts et pour finir sa crinière rousse. L’ensemble, dirigé par un cerveau bien fait, la propulsait au rang des personnes désirables et désirées, mais à quarante-cinq ans, elle savait son apogée atteint et se devait d’en profiter. Dans ses filets se prenaient femmes et hommes, elle goûtait à chacun indifféremment, ces proies n’ayant pas d’importance. La dernière en date se nommait Kyle Fearghas. Un rustre. Cependant, elle lui concédait un petit faible, non pour ses performances sous les draps, mais pour avoir résisté à ses avances. Nora avait dû user de patience et de stratagèmes afin d’attraper le loup solitaire, tant il menait une vie monacale. Cet homme ne se consacrait qu’à son travail et ses sorties se résumaient à rendre visite à des amis et à ses parents résidant à Fort Augustus. Jamais il n’usait ses pantalons sur les tabourets des pubs de l’île, les établissements ne voyaient sa carcasse que lorsque les barmans appelaient la police pour régler une rixe. Sa présence calmait les esprits, tous redoutaient le côté bagarreur de l’inspecteur et ne tenaient pas à se frotter à ses poings. C’est devant la vitrine d’un fleuriste qu’elle avait engagé une première conversation.

– J’aime les hommes qui aiment les fleurs, avait-elle dit cash.

D’habitude cette phrase déclenchait un début de gêne chez l’intéressé, la réponse de Kyle avait refroidi ses ardeurs.

– Si j’en achetais, ce n’est pas à vous que je les offrirais.

Décontenancée, elle avait tourné les talons. D’autres tentatives avaient suivi, toutes infructueuses. Le veuf résistait à ses assauts, répondant à ses avances soit par un sourire en coin, soit par une réplique cinglante. Mais Nora avait de la suite dans les idées et, surtout, le temps lui était compté. Séduire Fearghas relevait du succès de sa mission, elle fonça donc tête baissée, à la manière de l’inspecteur.

Trois coups contre la porte du cottage de Kyle avaient suffi. Le battant s’était ouvert, il n’avait pas eu le temps de parler que les lèvres de la rouquine s’étaient posées sur les siennes. La seconde suivante voyait sa braguette descendue et une main fouillant son caleçon. Avec certains, seules les méthodes radicales portaient leurs fruits. Fearghas était de ceux-là. Une dizaine de jours plus tard elle investissait la maison et s’était mise au travail.

Le message reçu le mois précédent avait étiré une moue sur son visage alors qu’elle se prélassait à l’ombre des palmiers d’une plage caribéenne.

« Skye. Documents à récupérer. Tarif habituel. »

D’un geste nonchalant, elle s’était saisie de la Piña Colada posée sur un petit guéridon puis l’avait portée à ses lèvres. Deux gorgées avaient suffi à chasser le petit nuage noir du SMS, hors de question que ses vacances s’arrêtent. L’outrecuidant les savait sans fin, il en serait pour ses frais.

« Même pas en rêve, mon cher. »

Son interlocuteur n’avait renvoyé qu’un nom :

« Buclock. »


Dans la soirée, un avion avait décollé de Saint-Martin en direction de Londres. À son bord, Nora Kirk avait profité du confort de son box de première classe afin de prendre soin des ongles de ses mains, puis de les enduire d’un vernis rouge vif. Arme fatale, la couleur, contrastant sur sa peau blanche, aimantait les regards et les envies. Par ce geste, elle avait endossé son rôle de séductrice, de loin celui qu’elle préférait, la réussite de ses missions reposait dessus. La teinture sèche, elle avait déployé l’écran de son ordinateur puis débloqué l’accès à sa boite mail sécurisée. Le courrier stipulait la teneur du dossier sur lequel elle devait faire main basse, ainsi que le nom, prénom et les coordonnées de l’éventuel détenteur. S’ajoutait à cela une liste d’informations concernant son objectif et des pistes de recherches. Une procédure habituelle, détaillée et circonspecte, si ce n’était la dernière phrase, celle qui reprenait le nom pour lequel elle n’avait pas hésité à rempiler : « James Buclock dirige l’affaire. » Il ne perdait rien pour attendre celui-là, la vengeance se mangeait froide, mais elle avait préféré se concentrer sur sa cible, un dénommé Fearghas. L’autre, « le Ventrouillard » comme elle l’appelait, le commandant Buclock, goûterait à sa haine plus tard.

Une bagnole louée à son intention s’impatientait sur sa place de parking de Heathrow. Elle l’avait adorée au premier regard. Un engin qui en avait sous le capot, difficile à dompter mais qui vous propulsait dans les étoiles en un temps record. Son boss n’avait pas lésiné sur les moyens, il connaissait son attirance pour les belles cylindrées. Un rugissement avait accompagné la pression du bouton de démarrage, Nora s’en était délectée durant tout le trajet. C’est à regret qu’elle l’avait laissée chez un intermédiaire dans la ville de Lochalsh avant de passer le Skye Bridge, et avait récupéré une Mini plus discrète. Un brouillard épais écrasait toute l’île, une chape chargée de frissons, de spectres cotonneux, elle y avait vu un mauvais présage mais avait repoussé cette idée noire. Le flux de voitures lentes l’avait exaspérée, c’est les yeux rougis de fatigue qu’elle avait déposé ses valises dans un B&B au nord de Portree.

SUITE=====>

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