6.2

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Le lendemain, après une nuit agitée, ses repérages l’avaient menée devant la demeure de Fearghas puis aux alentours du poste de police où il exerçait. Repérer l’homme n’avait pas été pas compliqué, il dépassait son monde d’une tête et la photo du mail était récente. Elle l’avait suivi alors qu’il rentrait chez lui et avait attendu la nuit pour se faufiler jusqu’à une fenêtre éclairée. Elle avait espéré que se soit la salle à manger ou le salon, afin de se donner une idée de la disposition de la maison mais l’ouverture donnait sur la cuisine. Kyle assis à la table lisait un journal, un mug échappait sa chaleur à côté de lui. De nombreux meubles et plans de travail encombraient le sol et les murs, confirmant l’exiguïté de la pièce. La fouiller lui prendrait du temps, fallait-il déjà pouvoir entrer dans la maison. Fracturer une porte ne lui aurait posé aucun problème mais le type était flic, et s’il n’avait pas l’air trop futé, son job lui avait appris à se méfier des apparences. Fearghas n’était pas inspecteur principal pour rien. Un petit sourire s’était dessiné sur ses lèvres, elle emploierait ses charmes, comme à l’accoutumée, pour franchir le seuil du cottage. Ce gars vivait seul depuis vingt ans, aucun doute qu’une présence féminine lui serait bénéfique. Seulement voilà, la tâche n’avait pas été si facile, Kyle cumulait les adjectifs : rustre, revêche, abrupt, solitaire. Seule l’attaque de front avait porté ses fruits.

La fouille minutieuse de l’intérieur et de la petite grange attenante n’avait rien donné. Nora en avait été pour ses frais. Un premier rapport expédié à son patron avait indiqué que les documents ne se trouvaient pas dans cette maison, ni ailleurs peut-être, que ce job n’était que du vent et que le soleil des Caraïbes l’appelait. La réponse, rapide, avait mentionné que la présence de Buclock n’était pas anodine et qu’il restait un endroit à visiter, la maison des parents de Fearghas. L’idée de demander à Kyle d’y passer un week-end l’avait effleuré, mais avec lui dans les pattes, impossible de chercher une cachette sans se faire repérer. Elle avait dû ruser.

– Kyle, cette maison au bord de l’océan, c’est là où tu vivais avant ?

– Tu parles de la photo sur le meuble ?

– Oui, il y a des gens qui posent et je crois te reconnaître enfant.

Un tablier entourant sa taille, l’inspecteur l’avait rejoint.

– C’est la maison de mes parents à Clashnessie, ils tenaient un B&B.

– Ah oui ! Ils vivent encore là-bas ?

– Non, mon père est malade, ils sont à Fort Augustus maintenant. J’ai gardé la maison, je ne sais pas pourquoi, elle s’abîme avec l’humidité.

– Tu devrais la vendre.

– Là où elle est, elle ne vaut rien, avait-il dit en retournant à la cuisine.

– Ça, tu n’en sais rien ! Beaucoup de personnes recherchent le calme de nos jours. Tu sais que je connais un agent immobilier qui pourrait l’évaluer ?

– Je ne veux pas vendre, oublie ton idée.

Le ton sec avait coupé court la discussion, mais l’idée était semée. Connaissant le rapport de Fearghas avec l’argent, elle se doutait que la petite graine n’allait pas mettre longtemps avant de germer. Et de fait, le surlendemain soir.

– Comment tu m’as dit qu’il s’appelait ton pote vendeur de baraques ?

– Je ne te l’ai pas dit.

– C’est pas un Anglais au moins ?

Elle avait ri.

– Kyle, je suis Anglaise, tu m’aimes bien moi ! Qu’as-tu contre mes compatriotes ?

– Comme tu dis, tu es Anglaise, avait-il répondu en insistant sur « se. »

– C’est un MacCampbell, un pur produit Écossais. T’es content ?

Il avait bougonné.

– J’ai réfléchi, je vais peut-être la vendre la maison. Dans deux jours je vais jusqu’à Strathy rendre visite à… En rentrant, je prendrai quelques photos, t’auras qu’à les donner à Campbell.

L’hésitation de Fearghas avait ouvert une brèche, elle s’y était engouffrée.

– Kyle, tu devrais aussi tirer un trait sur ton passé. Celle à qui tu vas rendre visite orne tous les murs chez toi. Je me trompe ?

– … Non, mais cela ne te regarde pas.

– Je sais.

Nora avait posé sa main sur celle de Kyle.

– L’autre jour lorsque je t’ai abordé devant la vitrine du fleuriste, c’était pour elle que tu regardais les bouquets ?

– Hmmm !

– Elle est morte, n’est-ce pas ?

Il n’avait pas répondu.

– Prends-lui des roses rouges, elle comprendra que tu l’aimes toujours.

Une paire de phares apparut au bout de la route, leurs faisceaux rayèrent le ciel noir et tirèrent Nora de ses pensées. À la fenêtre du cottage, elle regarda les yeux de lumières qui s’approchaient, ceux du Range de Kyle. Enfin. Toutes ces journées à tourner en rond et sans personne à qui parler la rendaient folle. Si Fearghas s’exprimait peu, au moins sa présence amenait-elle un repère, de la chaleur. Elle se prit à le désirer, là, sur l’instant, puis repoussa mollement cette envie. Seule sa mission importait, une dernière fouille et elle se barrerait de ce coin paumé. Encore un peu de patience. Dans quelques instants, il lui donnerait les photos de sa maison de Clashnessie ainsi que les clés. L’homme lui mangeait dans la main dorénavant, une petite vingtaine de jours assortis de douceurs avaient suffi à plier ce grand dadais. Son charme vénéneux fonctionnait toujours. Elle se mordit les lèvres afin de ne pas rigoler. Cependant, une question se posait encore et brouillait ses sentiments au-delà de ce qu’elle voulait admettre. Avait-elle réussi à évincer sa rivale ? Elle le saurait dans peu de temps.

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