15.1

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Éric Blanchart entra dans la gare Saint-Jean et jeta un regard circulaire à la grande salle surplombée d’une verrière. Petit, c’est le sentiment qui s’emparait toujours de lui lorsqu’il pénétrait dans ce hall. Les hautes colonnes et la charpente métallique, n’y étaient pas étrangères, les bâtisseurs de l’époque ne s’encombraient pas de demi-mesure. Construire long, large, haut, et autant que possible avec de nobles matériaux. L’aura de la ville en dépendait. Mission accomplie. Il se dirigea d’un pas franc vers le sous-sol et s’arrêta en haut de l’escalier, bloqué par un flux ininterrompu de gens. « L’heure de pointe » pensa-t-il, ce n’était pourtant que 15.00 heures. Il en profita pour regarder en direction du magasin des Cannelés Bordelais, spécialité locale, s’il en était. Une foule se pressait dans l’échoppe, certains se ravitaillaient, d’autres demandaient un paquet cadeau, mais tous pouvaient se targuer d’être gourmand. Lui-même saliva. Depuis quand n’avait-il rien ingurgité ? Il réussit à descendre en imposant sa carcasse aux voyageurs pressés et fila au Caffè Ritazza qui disposait de quelques tables à l’abri de cloisons vitrées. Là, attendait son indic de toujours, un escogriffe pas plus épais qu’un câble électrique avec une touffe de cheveux verte et jaune. Quelle drôle d’idée ! Le type ressemblait à un fil de terre dénudé chargé d’électricité tant il avait du mal à rester en place. Ses mains et ses pieds battaient la mesure d’une musique inexistante, ou alors, les litres de café qu’il s’envoyait avaient eu raison de ses terminaisons nerveuses. Éric s’assit en face de lui et engagea la conversation.

– Calme-toi, tu vas finir par disjoncter.

Un sourire étira ses lèvres, l’autre ne réagit pas. Il reprit.

– Tu veux un truc à grignoter en plus du café ?

– Non !… Enfin, si, j’ai rien avalé depuis hier.

– On est deux, alors !

Au serveur qui passait, il commanda sandwichs et cafés, puis demanda.

– T’as besoin d’argent ?

– Ouais, un peu. Je travaille pas beaucoup ces derniers temps, mais comme t’es là, j’me dis que je vais empocher quatre cents balles.

Éric connaissait les tarifs prohibitifs de son informateur, mais ce mec était une mine d’or en tuyaux, et rares étaient les percés qu’il fournissait. Comment se les procurait-il, mystère, mais grâce à eux, l’inspecteur avait résolu plusieurs affaires. Cependant, tout se négociait.

– Deux cents maintenant, l’autre partie si ton renseignement tient la route.

– Je t’ai jamais filé d’infos bidons. Quatre cents de suite.

– Non ! L’affaire est toute chaude, je suis pas sûr que tu me dégotes ce que je veux, alors tu comprendras ma prudence.

– Chaude comment ?

– Pas plus tard que la nuit dernière.

L’indic se recula sur sa chaise, le serveur en profita pour déposer la commande.

– Ah ouais ! J’suis pas un magicien, tu sais.

– Je te vois venir avec tes gros sabots, arrête de baver !

– Et moi je te sens pas serein sur ce coup. Si t’es là, c’est que ça urge, allonge et on discute.

Ce gars n’était pas dupe, le temps pressait, Éric ne pouvait pas se permettre d’en perdre, ni de se montrer radin. La négociation ne tournait pas à son avantage, l’autre l’avait flairé. Quelle importance ? Pour Ayla, l’argent n’en avait pas, et une rallonge imposerait une pression supplémentaire à son indic. Il fit mine de réfléchir.

– Cinquante de plus si tu trouves du solide avant ce soir.

– Et en plus t’es dans la merde ! Je me trompe ?

– Occupe-toi de tes fesses ! J’attends !

– … Quatre cent cinquante si je dégote un truc à te mettre sous la dent… J’aime quand tu me parles comme ça. Tope là ! dit-il en en avalant son jambon beurre.

Éric sortit de la gare en songeant qu’il venait de balancer deux cents euros par la fenêtre. L’indic ne trouverait rien de concret, l’enlèvement était trop frais et le kidnappeur précautionneux. Cagoule, gants, le gars ne s’était servi que de ses poings et pas de son flingue afin de réduire au silence l’Américain. Un assassinat et tous les flics de Bordeaux auraient rappliqué. Non, pas de vague, une disparition n’était effective qu’après quarante-huit heures, de quoi parvenir à ses fins sans être inquiété. Sûr que les types pariaient là-dessus, mais le hasard avait voulu que se soit lui qui prenne la déposition de Tom. Non, pas le hasard, le destin, et lui, parfois, se forçait. Il fit quelques pas afin de s’éloigner de la foule et décrocha son téléphone.

– Frank, c’est encore moi. T’es à ton bureau ?

– À la machine à kawa ! Trente secondes, j’y vais. Tu as changé d’avis pour ton Américain ?

– Non ! J’ai besoin d’une confirmation d’adresse.

– Attends !… Je t’écoute.

– Fred Costelli, il crèche toujours du côté du Lac ?

– Oh toi, tu fouilles de ton côté ! T’as reniflé une piste ?

– Une intuition à vérifier. Pas un mot à Yves.

Frank ne releva pas la dernière phrase.

– Alors Costelli… Non, ton gus loge au 27 rue Borie, aux Chartrons. C’est un hôtel particulier.

– Dis donc, t’as mis une fusée dans ton ordi, ou quoi ? Ça arrive moins vite les infos d’habitude.

– Non, c’est toujours ma vieille machine… mais j’ai renversé du café sur le clavier, peut-être que…

Éric ricana.

– Aux Chartrons tu me dis, cette petite frappe a encore pris du galon.

– Ouais ! Dis, ça fait un moment que tu lui cherches des poux à ce Costelli, ton nom apparaît sur différents rapports le concernant.

– Une vieille histoire d’amour, mais j’ai Jamais réussi à pincer cet enfoiré.

– J’entends tes dents qui grincent. Bon, j’ai fini dans deux heures, si tu veux je te rejoins rue Borie.

– Non Frank ! Je vais rendre une visite de courtoisie à mon pote, rien d’autre.

– Comme tu veux, boss ! Fait gaffe à tes miches !

– On se voit demain. Tchao !… Et merci !

Blanchart contrôla que sa carte de flic traînait dans la poche de son blouson et prit place dans le tram C. Cinq minutes plus tard, alors que l’engin longeait les quais de la Garonne, son regard se perdit sur le miroir d’eau.

La finesse d’esprit d’Éric, n’avait d’égale que son gabarit. Et si l’un, de part sa présence, impressionnait, l’autre l’aidait à dénouer les imbroglios de certaines enquêtes. Plus jeune, sa préférence tendait à imposer son physique, rien ne l’effrayait ni le l’arrêtait. Courses poursuites, coups de poings sur la table d’interrogatoire, il avait aussi plongé dans les eaux boueuses du fleuve afin de sauver un type qu’il coursait. Un temps où le mot impossible n’existait pas. Tout c’était inversé le jour où sa bedaine avait pris le pas sur la vitesse de ses jambes. Parfois, il le regrettait, mais pas aujourd’hui. Blanchart en était certain, Costelli était mouillé jusqu’au cou et, d’une manière ou d’une autre, le truand le recevrait. Son vieux pote ne pourrait se permettre de l’éconduire sous peine d’éveiller encore plus les soupçons sur l’enlèvement de Ayla. À lui de la jouer fine, de poser les bonnes questions, de déceler la faille, mais surtout de regarder derrière lui lorsqu’il sortirait de l’hôtel particulier. Costelli ne manquerait pas d’envoyer un homme à ses basques, et ce type finirait par lui dire où est retenue la file aux yeux bleus, qu’il le veuille ou non. Son côté imposant prendrait le dessus et l’obligerait à parler.

Oui, parfois le destin avait besoin d’un coup de pouce.



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