20.2

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Nora dévisagea la personne rencognée dans le fond de la pièce. La petite fille des portraits de chez Kyle s’était métamorphosée en femme rayonnante. Le bleu vif de ses yeux, sa peau lisse et la douceur de ses traits la troublèrent, elle s’estima fatiguée, fade, passée. La beauté de cette fille la renvoyait aux vérités de son miroir. Hier mensonges, aujourd’hui sentences. Son temps s’effilochait, les rides envahissaient son front, le vert de ses yeux se noyait dans la fumée des clopes, ses seins s’effondraient, ses fesses tombaient. Où était sa jeunesse et le désir que sa fraîcheur provoquait ? Perdu, à tout jamais. Un sourire contrit marqua ses lèvres. Détester Ayla s’imposait, mais, elle qui ne s’encombrait pas de sentiments, ne put. Que n’aurait-elle donné pour ressembler, encore quelques années, à son image ?

Kirk s’avança. Sur son cou, elle ressentit le souffle animal de Shelby. Retenir ses ardeurs lui incombait, ce chien ne ferait qu’une bouchée de Ayla. Le Brummie trépignait, à l’inverse de la fille de Fearghas. Son calme l’étonna, elle le savait de façade, et l’étincelle qu’elle vit dans son regard le confirma. Sous la coque de flegme, brûlait le même tempérament que celui de son père, tirer des renseignements serait compliqué. L’affrontement qu’elle avait envisagé dans le taxi se profilait, mais la présence de Shelby modifiait la donne. Inutile d’avancer sur ce chemin, la gravure de Peaky Blinders se gaverait du spectacle avant d’imposer sa façon d’opérer. Elle opta pour une approche différente.

– Vous ne ressemblez pas à votre père !

– Non, c’est le portrait craché de sa chienne de mère, vomit Shelby.

Stupéfaite par la remarque, elle se retourna.

– Vous la connaissiez ?

Il ne répondit pas.

Ayla vit rouge. L'arrogance de ce type dépassait les bornes, de quel droit insultait-il sa mère ? Sans réfléchir, elle se jeta sur lui. Deux fois, ses poings trouvèrent le menton de Shelby, puis elle asséna un coup de pied dans un tibia. Mais l’homme, statue de pierre, ne bougea pas. C’est elle qui vacilla sous la douleur de ses phalanges. D’une pichenette, il la repoussa sur le matelas avant de s’approcher prêt à frapper. Nora intervint.

– Arrêtez, Shelby ! Sortez de cette pièce, vous lui faites peur.

– N'y comptez pas !

Kirk le foudroya du regard.

– Vous êtes le genre de type qui cogne avant de réfléchir ? Ça ne m’étonne pas venant d’un Brummie !

L’homme recula à la porte, puis s’y adossa.

– Ayla, reprit-elle, n’ayez crainte, il m’obéit comme un toutou… Je disais que je connais votre père, lui et moi sommes très proche, souvent, il me parle de vous. Si vous saviez combien vous lui manquez !

Ayla eut un sourire moqueur.

– Tu me crois assez débile pour avaler ta salade ? Mon père est flic, je connais le numéro du méchant et de la gentille, ton petit jeu, tu peux te le carrer où je pense. Cesse ton baratin et dit moi ce que je fais ici !

« Percée à vif », pensa Nora. Le sang de Fearghas coulait bien dans les veines de sa fille ou celui des Conwell. Sacré mélange ! Se cacher ne servait plus à rien, elle répliqua sèchement.

– Dis-moi où se trouvent les documents que ta mère a volés il y a vingt ans, sinon je t’abandonne à Shelby.

Ayla avait raison ! Les évènements passés et son enlèvement se liaient, la rouquine venait de confirmer. Mais de quels papiers parlait-elle ? Elle ne se souvenait pas de dossiers qu’aurait cachés sa mère. Cependant, alors qu’elle se levait, un souvenir d’enfance surgit. Une maison en bazar, deux hommes prenants soin d’elle, une course folle dans les rues de Bordeaux, un trajet en avion rendu chaotique par la nervosité de sa mère. Tout le temps de ce qui s’apparentait maintenant à une fuite, Evra avait serrée contre sa poitrine un tube en carton. Personne ne serait parvenu à le lui arracher. Jamais Ayla n’avait pu savoir si ce reste de mémoire appartenait au réel ou à un rêve, ses questions étaient restées sans réponses. Plus aujourd’hui. Cette protection cylindrique renfermait les documents volés, et leur importance expliquait son rapt vingt ans plus tard, mais peut-être aussi la mort de sa mère. Cette pensée fit monter une aiguille d’adrénaline, elle s’approcha du visage de Nora, prit un air de défi.

Fuck off, slut !

Kirk eut envie de la gifler. Elle n’en fit rien, cela démontrerait que l’insulte à portée. Elle répondit d’une voix monocorde.

– Tant pis pour toi.

Puis tourna les talons. Shelby lui ouvrit la porte et s’effaça à son passage. À lui de jouer maintenant.

Nora se posta derrière les trois hommes qui discutaient encore des 2 500 000 euros et de la façon de les dépenser. Chacun y allait de sa surenchère, ils se turent lorsqu’elle se racla la gorge.

– Donnez-moi cet ordinateur, exigea-t-elle.

L’homme le plus gros le lui jeta, elle s’en saisit dans un réflexe.

– Avec tout le respect que je dois à une femme de votre classe, vous avez une mine de vaincue… madame. La petite se montre rétive ? demanda-t-il.

Ses collègues ricanèrent. Pour réponse, elle leur adressa un majeur dressé, puis s’assit sur un coin de table. Elle fit pivoter l’écran du portable, la machine émit un ronronnement. Trois secondes plus tard, une photo des ruines du Duntulm Castle s’afficha, attirant son attention. Ces décombres se trouvaient à deux encablures de chez Kyle, plusieurs fois, il avait proposé de l’y emmener, mais elle avait refusé, les vieilles pierres l’ennuyaient. Comment pouvait-on aimer ce vestige de moisissures ? Elle pensa au cliché représentant Evra et Kyle posant devant… et poussa un juron.

Shit ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Quelle idiote !

Elle se saisit de son téléphone et appela son boss.

– Kristen, je désespérais d’avoir de vos nouvelles. La fille de Fearghas a parlé ?

– Non !

– Ennuyeux ! Avez-vous utilisé la force ?

– Shelby s’en occupe, vous pouvez lui faire confiance.

– Qui est ce Shelby ?

– Ne me prenez pas pour une imbécile ! Vous auriez dû me prévenir de la présence de ce Brummie.

– … Vous n’auriez pas accepté la mission.

– Peu importe maintenant, mais ça vous vaudra une rallonge. J’ai une question à vous poser. Savez-vous à qui appartient le château de Duntulm ?

Ayla ne recula pas lorsque Shelby, pointa son flingue en direction de sa tête. Il arma le chien.

– Tu es comme ta mère, tu braves le danger ! T’as cinq secondes pour parler, sinon…

– Sinon quoi ?

Il rit.

– Tu seras la troisième Conwell que je tue !

Soudain, elle s’effondra et fut prise de convulsions. Son corps se tordit, ses membres, devenus incontrôlables, cognèrent le sol, s’étirèrent dans toutes les directions, sa bouche se déforma sur un cri inaudible, un instant, ses yeux devinrent sombres avant de recouvrer leur bleu. Puis, elle se recroquevilla et fut prise de tremblements. Une chaleur intense brûla sa peau, ses muscles, tout son être, elle eut la sensation d’imploser. Après plusieurs secondes, son cerveau réussit à reprendre le contrôle, le calme la gagna. Elle voulut se relever, mais son organisme, exsangue, ne répondit pas. Bouger un doigt demanda un effort considérable, lever la tête fut impossible. Que cachait se subit accès de fièvre et cette fatigue insondable ? La réponse lui échappait. Elle comprit lorsqu’une ombre obscurcit ses prunelles. Sous le regard effaré de Shelby, elle ferma les yeux.

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