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Éric lâcha deux balles. Une ricocha contre un tube d’échafaudage, l’autre troua le mur derrière un des molosses gardant la porte. Un filet de poussière blanche recouvrit son crane chauve. Le tatoué s’épousseta, riposta. Son arme automatique cracha ses projectiles, obligeant le flic à se jeter par terre. Il roulait à l’abri de palettes au moment où Yves ouvrit le feu à son tour. Son adresse n’était plus à démontrer, sa balle trouva de la chair où se loger. Un des gardes s’écroula, la jambe perforée. L’autre se cacha derrière l’armature d’acier puis jeta un coup d’œil. Il vit trois hommes qui progressaient dans sa direction, deux étaient armés.

Cinq minutes plus tôt, les quatre flics avaient échangé les informations glanées chez Tom et par Blanchart. Toutes menaient au même endroit, au dernier bureau du premier étage de cet immeuble en finition. Éric avait décrit les lieux du mieux qu’il pouvait et avait prévenu qu’un comité d’accueil se trouvait sur place. Deux gardiens dans le couloir plus trois autres dans une pièce. Tous armés. Lorsqu’il avait évoqué qu’une femme et un type anglais, venu pour interroger Ayla, seraient là aussi, James leur avait parlé de Nora et de sa mission. Éric avait hoché, ses doutes se confirmaient. Quant à l’autre gars, il s’agissait à coup sûr d’un homme de Carlington. Il avait fait une grimace, ces types, des durs à cuire, ne laissaient derrière eux que sang et corps. L’urgence de l’intervention s’était faite plus pressante encore. Kyle avait baragouiné une phrase incompréhensible pour les Français, puis s’était mis en marche. Buclock l’avait retenu par la manche.

– Où allez-vous comme ça, tête baissée ? Vous faire descendre ?

Fearghas, le visage froissé par la colère et l’impatience, s’était défait, d’un coup sec, de l’emprise du commandant avant de réprimer une insulte. James s’était planté devant son nez et avait repris aussi calmement que possible.

– Nous sommes quatre pour deux flingues. Réfléchissez Kyle, ce n’est pas à vous d’ouvrir la voie !

– Le commandant a raison, monsieur Fearghas, seul, vous courez à votre perte, était intervenu Éric. Avec Yves, nous entrerons par l’entrée principale, monsieur Buclock viendra avec nous, Kyle, vous couvrirez la secondaire. Je n’ai pas envie d’avoir à vous surveiller lorsque nous serons dans le couloir.

– Permettez, inspecteur, était intervenu James. Nous allons inverser les rôles. C’est Fearghas qui va venir avec vous, alors que je garderai l’autre issue. Vous aurez besoin de sa hargne et de ses poings si jamais l’intervention tournait mal.

L’inspecteur et le capitaine avaient acquiescé. L’instant suivant les trois hommes s’étaient précipité dans les escaliers. James les avait regardés, puis avait rejoint la Mégane.

Nora, tentait d’ouvrir la porte de la pièce où Shelby corrigeait Ayla, n’y arrivait pas. La poignée déverrouillait la serrure, mais le battant refusait de pivoter. Quelque chose le plaquait contre le dormant. Les bruits sourds provenant de l’intérieur l’avait inquiétée, Shelby devait s’en donner à cœur joie, Ayla ne survivrait pas à sa fureur. Maudit Brummie ! Elle s’apprêtait à donner un coup de pied lorsque les deux déflagrations survinrent. Elle sursauta. Ce qu’elle avait pressenti se produisait, les flics avaient remonté la trace de la fille de Fearghas, la souricière se refermait. Les trois gardes, surprit eux aussi, dégainèrent leur flingue. L’un se positionna dans l’angle face à l’entrée, les deux autres renversèrent la table et se cachèrent derrière. « Bande d’imbéciles, vous feriez mieux de vous tirer », pensa-t-elle. D’autres coups de feu résonnèrent, Nora récupéra l’ordinateur portable puis se pressa vers la sortie. Elle ouvrit la porte, risqua un œil à gauche. Un garde gisait à terre et se lamentait. Sa jambe pissait le sang. L’autre, planqué, rechargeait son arme. À droite, le barre de fer bloquait toujours la tringle de manœuvre de l’issue de sécurité. La dégager ne demanderait pas d’effort, mais l’opération se ferait à découvert. Pas d’autre choix ! Un instant de calme dans le couloir, elle entreprit le tout pour le tout. Trois pas de course, elle enserra l’axe d’acier, le jeta. Une main poussa la traverse de sécurité, elle s’engouffra dans la cage d’escalier. Cinq secondes après, elle déboucha à l’extérieur du bâtiment. Des engins de chantier obstruaient le passage, elle se faufila jusqu’à la palissade de protection, avisa une brèche, l’emprunta. Elle reconnut la rue de son arrivée, deux voitures, bloquées au milieu, paraissaient abandonnées. Elle s’y dirigea, afin d’en dérober une, mais pensa qu’elles appartenaient aux policiers et continua son chemin. Plus loin, elle fractura la vitre d’un véhicule en stationnement, bidouilla sous le tableau de bord puis démarra en trombe. Concentrée sur sa fuite, elle ne prit pas garde à la Mégane qui lui filait le train.

– Police, pose ton flingue ! cria Yves à l’attention du molosse. Joue pas au con, ou tu vas y laisser la peau !

– Tu peux te brosser, flic de mes deux ! railla le cerbère.

Dans la foulée, il balança une rafale. Les balles se perdirent dans le couloir, une se logea non loin de Rassic. Déloger ce type ne serait pas coton ! Il fit un signe à Blanchart afin d’avoir son opinion sur la suite à donner, mais l’inspecteur répondit par une moue. Kyle se porta à sa hauteur, il chuchota quelques mots. Devant son incompréhension, il mima la possibilité de passer par-dessus les palettes puis l’échafaudage afin de se trouver à l’aplomb du garde et le prendre par surprise. Eux n’auraient qu’à couvrir son avancée. Le capitaine réfléchit un instant, donna son accord. Fearghas traversa le corridor puis escalada le tas de palette. Il attendit qu’Éric et Yves se positionnent et ouvrent le feu pour avancer. Au pied de l’échafaudage, il souffla quelques secondes, puis fit signe qu’il continuait. Il grimpa, progressa à quatre pattes. En une minute, il atteignit son but. Le crane du molosse s’agitait de droite à gauche au gré des balles qui fusaient, lorsque le calme revint, Kyle sauta derrière lui. Un corps-à-corps s’engagea. D’un choc sur l’avant-bras, Kyle le désarma, son adversaire le repoussa d’un coup d’épaule puis se jeta sur lui. Fearghas l’évita puis revint à la charge. Un poing trouva la mâchoire, l’autre explosa l’arcade. Visage en sang, le garde ne vit pas le troisième coup arriver. Le choc sur son nez projeta sa tête en arrière, son corps suivit. Il buta contre la porte de la pièce, arracha les gonds puis s’étala à plat dos, assommé. À l’intérieur, les trois hommes crurent qu’un bulldozer venait à leur rencontre. L’un d’eux vida son chargeur à l’aveuglette, maltraitant les tympans de ses acolytes. L’odeur de poudre et la fumée envahirent l’espace, ils suffoquèrent.

– Sortez un par un les bras en l’air, ou vous allez crever intoxiqués ! ordonna Yves.

Les trois hommes se concertèrent, comprirent que les deux millions d’euros s’envolaient, que leur vacance à vie se passerait à l’ombre. Résister ne servait à rien. Ils obtempérèrent la tête basse.

– Où est Ayla ? leur demanda Éric.

– Dans le bureau à côté avec cette saloperie d’Anglais, mais nous ne sommes pour rien dans ce qui s’est passé, dit l’un d’eux pour se dédouaner.

À ces mots, Kyle s’élança.

La porte ne résista pas à la percussion de son épaule. L’huis battit contre la cloison dans un claquement sourd. Il se rua à l’intérieur, prêt à en découdre avec ce type, dût-il être armé. Rien ni personne n’arrêterait sa fureur, ses pieds maltraiteraient, ses poings fracasseraient, quitte à donner la mort. Mais ses yeux fous butèrent sur une silhouette au sol puis sur une autre assise sur un matelas, la tête posée sur ses genoux. Il se figea. Son regard examina la masse inanimée puis ausculta celle recroquevillée. Plusieurs secondes passèrent avant qu’il ne comprenne la scène inversée. Sa fille s’était joué de l’Anglais. Contre toute attente, elle avait terrassé son adversaire, comme autrefois ceux du clan auquel elle appartenait. Aujourd’hui encore, de mère en fille, le sang des Conwell sillonnait leurs veines, prouvant la vigueur de la lignée. De quelle force étaient-elles capables ? Jamais il ne le saurait. Sa colère fit place à sa fierté. Ayla, dans son exode, n’avait pas oublié d’où elle venait, ni les valeurs inculquées par sa mère. Cette réflexion le ramena à la conversation dans la voiture avec Eliott, et toute l’étendue des possibles pour un fantôme hors de sa cage. Il ne ressentait pas sa présence, mais Evra était là, toute proche. Elle avait suivi Nora, jusqu’ici. Mais si la rouquine avait disparu, elle, était resté. L’homme étendu à terre le prouvait, avec sa fille, elles l’avaient terrassé. Savait-elle que cela signifiait sa perte ? Peut-être, mais le choix ne souffrait aucune hésitation.

Ses poings se desserrèrent. Il fit trois pas, s’agenouilla.

– Ayla !

Elle leva son visage où la fatigue dominait. Une étincelle passa dans ses yeux bleus. L’instant d’après, elle se blottit contre lui.

Leur étreinte dura longtemps, dix ans sans partager le moindre contact la justifiait. Les yeux humides, Ayla se redressa et dévisagea son père. Des rides marquaient son front, ses cheveux se parsemaient de blanc, le vieillissant un peu plus. Mais ses traits respiraient toujours la force et le caractère des Sgitheanach. Elle leva une main pour la passer sur la barbe naissante et remarqua une auréole bleue entourant ses phalanges. « Maman », murmura-t-elle. Kyle prit ses doigts, les déposa sur sa joue.

– Maman est là, avec moi. Avec nous. Mais elle est très faible.

– Je sais ma chérie, je sais.

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