23.1

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James Buclock avait appris à connaître Nora, ou plutôt Kristen, il ne savait plus, tant elle usait de pseudonymes. Cette femme changeait de nom comme de boucles d’oreilles, ses tiroirs devaient déborder de passeports. Souvent, il se demandait comment elle ne s’emmêlait pas avec ses clients, mais il la savait intelligente et assez retorse pour s’extirper sans dégât des situations dans lesquelles elle s’engageait. Nora décampait avant que la supercherie ne se dévoile, toujours le lendemain matin d’une folle nuit. Elle avait ce don de disparaître en laissant dans son sillage la fragrance de son corps et un sourire sur la face de ses victimes. James lui concédait cet avantage, tant pis pour ceux qui, envoûtés par la belle, perdaient des plumes. Cependant, à tant la côtoyer, il pouvait prédire ses faits et gestes, ses déplacements, ses échappatoires. Comme aujourd’hui.

Avant l’intervention, l’inspecteur Blanchart avait confirmé la présence d’une femme et d’un Anglais. Nora l’avait devancé à Bordeaux, il s’y attendait, leur voyage avec Kyle avait été catastrophique. Aussi, avait-il assigné Fearghas à l'assistance des flics français, alors que lui garderait l’issue secondaire. C’était d’abord un choix stratégique, trois hommes déterminés dont deux armés, valaient toute une armée et, au moindre coup dur, son bouillonnant inspecteur foncerait dans le tas. Un raisonnement à la morale douteuse, mais lui avait une mission autre que la libération de Ayla. Bien sûr, la vie de la fillede Kyle importait à ses yeux, mais, si Ayla intégrait le dernier cercle de son enquête, elle n’était que le déclencheur de l’ultime phase. Celle qui l’avait poussé à se mettre en recul afin d’attendre l’inéluctable : la fuite de Nora. Comment était-elle parvenue à fausser compagnie à ses collègues d’un jour n’avait pas d’importance, sa voiture fonçait dans les rues bordelaises et il lui collait aux fesses. Seul cela comptait.

À la faveur d’un ralentissement, il saisit son téléphone. Après trois sonneries, Ice man répondit.

– Soulagé d’avoir enfin de vos nouvelles, James !

– Désolé, Monsieur, je ne pouvais pas vous contacter sans mettre en péril la mission.

– Dois-je entendre par là que vous savez où sont les documents ?

– Non ! Mais je file celle qui sait.

– … Kristen m’étonnera toujours, nous avions fait le bon choix à l’époque de son recrutement. Tout comme je l’ai fait en vous choisissant.

« S’envoyer des roses ne coûtait rien », pensa Buclock.

Ice reprit.

– Vous êtes sûr de ce que vous avancez ?

– Monsieur, vous m’avez embauché pour ma logique et mon esprit de déduction, non ? Kristen roule en direction de l’aéroport, mon petit doigt à couper qu’elle a déjà une réservation sur le prochain vol pour Glasgow ou Édimbourg. Renseignez-vous, elle utilise le nom de Nora Kirk. Tant que vous y êtes, réservez-moi une place, ainsi qu’une voiture. Et ne lésinez pas, le voyage dans la charrette de Fearghas m’a suffi !

– La vôtre ne vaut pas mieux !

– Certes, mais mon antique Cavalier est une pièce de collection.

– … Redevenons sérieux, je vous prie. Suite à votre sarcasme, j’en déduis que l’inspecteur n’est pas avec vous.

– Non, je l’ai laissé avec deux policiers français dans l’immeuble où est retenue sa fille.

– Et vous ne savez pas s’ils ont réussi à la libérer ?

– Encore non ! Je le souhaite très sincèrement, mais j’en doute. Carlington a envoyé un de ses Brummies afin de s’occuper de l’interrogatoire, on sait comment cela finit en général.

– Pauvre fille ! Tout cela est regrettable, mais suit l’idée que vous m’aviez soumise chez Fearghas avant de prendre la route pour Glasgow. Votre plan fonctionne à merveille, vous voilà seul pour le dernier acte.

– La présence de Kyle m’aurait gênée ! Ses réactions étant imprévisibles, je doute que la confrontation avec Nora se passe sans accroc.

– Hmm ! Vous avez une idée de l’endroit où elle se rend ?

– Non. Je pencherais pour Skye, mais personne n’a jamais rien trouvé là-bas. J’irais où elle ira.

– Bien ! Votre réservation dans l’avion en partance pour Glasgow est effective, vous prendrez place dix rangs derrière votre Nora Kirk. Décollage dans quarante-cinq minutes. Vous y serez ?

– Absolument ! À la vitesse à laquelle nous roulons…

– Pour la voiture, une Mégane sport noire vous conviendra-t-elle ?

James sourit. Parfois les coïncidences se télescopaient.

Il monta par l’arrière de l’avion afin de ne pas croiser Kirk, et s’installa contre le hublot. Un coup d’œil à la rouquine lui indiqua qu’elle avait pris place aux côtés d’enfants bruyants, il espéra que son voyage soit un enfer. Une vieille dame s’assit sur le siège à sa droite, sa nervosité était palpable. Elle engagea la conversation sur sa phobie des avions, sur la mauvaise qualité des repas servis à bord, sur la piètre gentillesse du personnel. James, arguant d’une journée éreintante, coupa court en disant qu’il voulait profiter du vol afin de se reposer. Il se cala dans l’assise puis posa sa nuque contre l’appui-tête. Les yeux fermés, il fit mine de dormir, mais ses pensées fusèrent vers Nora et cette drôle d’attirance qui, à la façon d’aimants aux polarités opposées, s’exerçait entre eux.

Leeds, 2017. Ce lieu et cette date marquait leur première confrontation à distance, et l’orgueil qu’il avait retiré de sa victoire. Bercée par ses illusions de le berner, la belle n’avait pas pris garde à ses arrières, et s’était retrouvé dépossédée de l’arme du crime. Dans sa chambre qui plus était. Le coup parfait ! Il avait engagé un acteur de corpulence similaire à la sienne puis l’avait habillé comme lui. « Soyez au restaurant du Marriot demain midi », lui avait-il imposé avant de s’éclipser. Le lendemain, alors que Nora croyait qu’il déjeunait dans cette épouvantable cantine, il avait récupéré une statuette prouvant un crime, puis avait disparu en laissant un mot.

Ces deux ou trois phrases, il ne savait plus, avaient arguées de sa supériorité et de la satisfaction qu’il en avait tiré. Il allait les regretter quelques mois plus tard en retrouvant ce bout de papier entouré d’un ruban rose dans le tiroir de la table de nuit de son domicile londonien. La belle s’était introduite chez lui, peut-être avait-elle fouillé ses affaires avant de déposer la bafouille. Il avait pensé à une invitation à faire plus ample connaissance, il avait même imaginé des draps froissés. Après tout, ils se côtoyaient souvent, et les pires ennemis pouvaient aussi être les meilleurs amants. Voilà ce à quoi il avait passé sa nuit, entre le lent déshabillé et le corps de rêve de Nora, entre impatience et excitation. Le matin, de bonne heure, la sonnette de la porte d’entrée avait retenti. C’était elle ! Qui d’autre ? Il avait enfilé, à la hâte, un pantalon de flanelle et une chemise, puis s’était dépêché d’ouvrir. Mais, en guise de Nora, trois policiers l’avaient sommé de les laisser entrer et de leur remettre le mot. James, avait obtempéré, ne comprenant pas la scène dont il était l’acteur principal. C’est au poste qu’il avait découvert le plan machiavélique de la rouquine. Dans un angle du bout de papier, une goutte de sang à laquelle il n’avait pas fait attention, apparaissait. L’hémoglobine appartenait au seul témoin du cold case qu’il avait la charge de résoudre, témoin retrouvé mort dans la chambre qu’avait occupé Nora au Marriot Hôtel de Leeds. Il avait douté de son implication dans le meurtre, mais elle avait participé à son élaboration, jusqu’au choix de la chambre. La vengeance se mangeait froide, il l’avait goûté durant quarante-huit heures derrière des barreaux, avant que Ice man ne le fasse sortir.

James sourit. Il aurait payé cher pour voir sa tronche lorsque les flics avaient débarqué. Déconfite, pantoise, penaude… Encore heureux qu’il était habillé. Nora savait rendre les coups, au triple. C’en était presque devenu un jeu entre eux, sauf sur la dernière affaire. Celle de la goutte de trop, celle qui allait précipiter la fin de ses services à Ice. Son visage s’assombrit. Il essaya de repousser le souvenir qui parfois assaillait sa mémoire, jamais n’y arrivait.

Cassy Mount vivait à Falmouth, petite ville côtière du sud de l’Angleterre baignée par les eaux de la Manche. Elle y habitait une maison typique, mais sans caractère sur Tredinas Road, à deux pas de toutes les commodités et du petit port de plaisance. Toit de tuiles plates, façade blanche, petit jardinet, la bâtisse renvoyait un air cossu de déjà vu. Pour cause, celle de son voisin de droite était similaire, celle de gauche aussi. Cassy ne travaillait pas, nul besoin, elle occupait ses journées à l’écriture et la peinture, ses premières passions. Des tas de manuscrits incomplets encombraient ses étagères, des dizaines de tableaux inachevés couvraient les murs. Un jour, elle prendrait le temps de tout terminer, elle se l’était promis. Quand ? À la Saint-Glinglin, probablement. Dès que le temps le permettait, elle se rendait à pied au port. Ancré là, un voilier de dix mètres, le Clark I, du prénom de feu son mari, l’y attendait. Le yachting, son autre hobby lui coûtait un bras en frais de gardiennage et d’entretien, mais Cassy s’en moquait, son compte en banque était bien garni. Ses ressources venaient du défunt Clark, éminent entrepreneur mort dans des circonstances douteuses alors qu’elle était en France. L’enquête avait conclu à un affreux accident, Cassy, sans enfant, avait hérité de tout. Avisée, elle avait vendu les parts des multiples sociétés de son époux, et en avait retiré de quoi vivre sans se soucier du lendemain jusqu’à la fin de ses jours. Cette vente avait provoqué de multiples remous dans le microcosme familial de Clark, en particulier dans l’esprit de sa sœur qui n’avait jamais pu blairer Miss Mouth, comme elle l’appelait. Un an après le décès de son frère, elle avait fait appel à Ice man, un ami, afin qu’il fourre son nez là où la police ne l’avait pas mis.

Ice n’avait pas mis deux jours pour supputer une action de son vieil ami dans l’affaire, cet enfoiré reniflait l’odeur du fric à cent lieux. Le modus operandi ressemblait à ce qu’il avait coutume d’exploiter, envoyer la future veuve ou le futur veuf à des milliers de kilomètres pendant qu’un de ses hommes opérait. La formule fournissait un alibi en béton à son client, et gonflait son portefeuille de 500 000 Livres minimum payables en liquide. En bon business man, il acceptait les règlements en plusieurs fois. De ce fait, Miss Mouth, sans être l’exécutrice, était la commanditaire et, afin de le prouver, Ice devait s’emparer des preuves de son investissement. Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, les suspects laissaient toujours un indice, une trace, son plus fin limier le trouverait.

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