23.2

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James avait débarqué par une après-midi ensoleillée de mai de l’année précédente. Sa Cavalier garée, il s’était empressé de rejoindre la capitainerie du port afin de s’enquérir des bateaux disponibles à la location. Celui-ci servirait de base arrière et aussi de prétexte pour aborder Cassy, lui qui ne connaissait rien à la navigation. L’officier l’avait renvoyé à une agence spécialisée. Le soir, il prenait possession d’un Sun Odyssey 349 flambant neuf, ancré au ponton jouxtant celui du Clark I. « Un coup de chance » avait-il pensé. Sa cible était rentrée le matin du jour suivant, les yeux pétillants et un sourire pendu aux lèvres. Posté sur le caillebotis de la plate-forme, James n’avait vu que ça. Il avait posé son sac de provisions puis s’était proposé afin de récupérer le bout et amarrer le bateau. Elle lui avait envoyé la longe, toujours en souriant.

– Merci ! avait-elle lancé du pont de son voilier. Vous êtes de passage, c’est la première fois que je vous vois ici ?

– Oui ! J’ai loué ce voilier en espérant pouvoir prendre la mer rapidement, mais je me rends compte que tout est à faire à bord. Les voiles ne sont pas engagées, les cordes pas gréées, et je ne vous parle pas de l’intérieur. Du plastique recouvre encore le couchage !

Elle avait ri.

– Vous vous êtes fait avoir ! Ce Sun a été livré avant-hier, l’armateur n’a pas encore déballé son joujou.

– Je me disais aussi que c’était trop beau !

Il l’avait aidée à sauter sur le ponton. Le toucher de la peau de ses mains l’avait mis en émoi, il l’avait laissé paraître en bafouillant.

– Blocuk James… Non Buclock, James Buclock ! Désolé, je crois que vous me troublez.

– Ne le soyez pas, je fais souvent cet effet aux hommes. Mes yeux verts et la proportion de ma bouche, parait-il !

De rouge, James avait viré cramoisi en un claquement de doigts. Sa bouche, ses lèvres, ses yeux, ses cheveux, ses oreilles, pour lui, tout était parfait.

– Je suis Cassy. Dites, vous aviez l’intention de prendre la mer pour combien de jours ?

– Heu… Je ne sais pas vraiment. Pourquoi ?

– Votre sac de provisions ! Vous avez là de quoi vous nourrir pour dix jours !

– Oui ! C’est que j’adore cuisiner. D’ailleurs, afin de me faire pardonner, voudriez-vous dîner avec moi ce soir ? Je suis le plus fin cordon bleu de tout le sud de l’Angleterre.

Elle avait laissé échapper un rire franc.

– Et vous pardonner de quoi ?

– De rester devant vous la bouche ouverte et de vous laisser admirer ma dentition !

Cassy avait accepté l’invitation. Elle s’était régalée, James ne lui avait pas menti sur ses talents culinaires. À l’inverse de ses compétences de navigateur. Il n’y connaissait rien et n’aurait jamais pu sortir du port. Qu’à cela ne tienne, son humour avait déjà creusé un sillon dans sa carapace et, si cette présence aurait dû éveiller quelques soupçons, elle les avait balayés. Deux jours plus tard, à la faveur d’une éclaircie, ils étaient sortis en mer sur le Clark I. Gerrans Bay avait vu leur premier baiser maladroit, leur premier ébat aussi. Sans qu’elle s’y attende, cet homme avait pris, en peu de temps, une place importante dans sa vie.

James s’était confondu en excuses lorsque Ice, suite au manque de résultat de son enquêteur, lui avait remonté les bretelles. Certes, accrocher la veuve était une nécessité, mais pas de là à oublier la mission. Le soir même, prétextant une migraine afin de rester dans son bateau, il avait pris congé de Cassy en posant une bise sur une joue. Il n’avait pas remarqué la lueur sombre qui était passée dans son regard. Après minuit, il avait entrepris de fouiller de fond en comble le Clark I. Affairé à sortir un cahier d’une cache sous une couchette, le roulis du voilier et les bruits des pas sur le pont n’avaient pas éveillés ses sens. Le bloc contenait le détail des modalités des transactions faites à une société de Londres, ainsi que les montants déboursés. 575 000 Livres au total. La preuve qu’espérait Ice.

– C’est donc pour ça que tu m’as séduite !

Il avait sursauté au son de la voix puis s’était retourné. Cassy bouchait la lucarne d’entrée du carré des cartes. Ses yeux lançaient des éclairs, dans sa main, luisait la lame d’un couteau. Elle était méconnaissable et lui avait fait peur.

– C’était trop beau, cet amour soudain ! J’y ai cru et j’étais prête à tout te donner, alors que toi tu manigançais dans mon dos. Quelle idiote je suis ! Tu as trouvé ce que tu voulais ?

James n’avait pas répondu. Elle s’était jetée sur lui.

Il n’avait pu éviter le premier coup. Le tranchant de la lame avait entamé sa chair au niveau de l’épaule, lui arrachant un cri de douleur. Il avait esquivé le second puis le troisième, mais avait perdu l’équilibre et s’était retrouvé au sol, à sa merci. Il avait essayé de la raisonner, ne comprenant pas l’extrémisme de ses gestes, sans résultat. Cassy avait levé son arme. Au moment où elle l’abattait, une détonation avait retenti.

Kristen, bras tendu, tenait un flingue et n’avait pas hésité à s’en servir. Le corps de Mount recouvrait celui de James, une auréole rouge s’élargissait entre ses omoplates. Elle pointait toujours son arme dans sa direction alors que Buclock se dégageait. L’air hagard, il avait pensé, pour la deuxième fois, que sa vie s’arrêtait là, dans un voilier.

– S’en était moins une, mon cher ! s’était-elle exclamée en baissant son revolver.

– …

– Ne me remerciez pas ! Si vous saviez combien j’ai horreur de me servir de ces joujoux ! James, donnez-moi le carnet que vous tenez dans votre main, vous me devez bien ça.

– Sinon ?

Elle agita le Glock.

– Vous… Vous me tueriez ?

– Ne faites pas l’innocent, vous n’êtes pas crédible ! Je vous blesserais, tout au plus. Ce relevé de compte n’a aucune valeur pour vous ni pour moi, c'est différent pour nos Boss. C’est une vieille histoire entre eux, ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va se régler. Ils se chamaillent à travers nous, un coup à l’un, un coup à l’autre, vous savez que nous ne sommes que des pions entre leurs doigts. Ce matin, c’est moi qui gagne, la prochaine partie sera pour vous. Je vous le promets.

– Comment avez-vous su que j’étais ici ?

– Nous avons constamment un œil sur vous, commandant. Suivre vos déplacements n’est pas compliqué, au contraire des miens. N’est-ce pas ? Pris dans votre romance, vous n’aviez pas remarqué ma présence. Je me trompe ?

Il avait fait non de la tête.

– L’amour rend aveugle ! James, le carnet, avait-elle intimé.

Le cahier, il l’avait jeté sur le poignet tenant le flingue, puis, malgré son épaule endolorie, s’était levé d’un bond. Nora, surprise, avait lâché l’arme en reculant. James avait posé un pied dessus, et l’autre sur le bloc note. La force avait changé de camp.

– Je n’ai qu’un bras valide, mais vous ne faites pas le poids, Kristen. Je vous laisse un jour pour quitter le pays, passé ce délai, je ferai en sorte de vous inculper pour le meurtre de Cassy. Vos empreintes se trouvent sur l’arme.

– Je viens de vous sauver la vie !

– Et je vous en suis reconnaissant. L’organisation de votre boss ne tient plus qu’à un fil, je vous en prie, filez avant que je ne change d’avis.

Seul, il s’était penché sur le corps de Cassy. Un filet de respiration sortait de sa bouche, il avait saisi son téléphone afin d’appeler les secours. Elle avait ouvert les yeux, il s’était approché d’une oreille.

« En aucun cas je n’aurais divulgué ce carnet, je l’aurais jeté au fond de l’océan. Je n’avais qu’une envie, partir avec toi. »

Un sourire s’était dessiné sur les lèvres de Mount. Elle l’avait emporté à tout jamais.

Les jours suivant, James s’était enfermé dans son domicile Londonien et n’avait répondu à aucune sollicitation, en particulier celles de Ice. Il ne s’était nourri que de plats surgelés, de whisky et d’amertume. Le fantôme de Cassy le hantait. Que lui était-il passé par la tête pour agir de la sorte ? Il ne le saurait pas. Sur la table de son salon, scellés dans une poche hermétique, se trouvaient l’arme de Kristen et le carnet de Cassy. Il n’avait su que faire de ces objets encombrants. À y réfléchir, les deux pouvaient envoyer ses ennemis derrière les barreaux pour le restant de leur vie, mais d’autres prendraient leur place. La nature humaine à horreur de vide.

Ice avait débarqué à l’improviste, un matin où James avait enfin réussi à se laver et s’habiller. La table du salon était vide. Buclock lui avait raconté sa rencontre avec Miss Mouth, sa difficulté à remplir la mission, la mort de Cassy. À l’interrogation de savoir qui l’avait tuée, il avait répondu que le nuit était noire, que l’homme portait une cagoule. À celle demandant s’il avait trouvé quelque chose, il avait répondu « Non, et ça ne sert plus à rien, maintenant ».

La voix nasillarde crachée par le haut parleur au-dessus de sa tête l’informa que l’atterrissage approchait. Il boucla sa ceinture machinalement. Il sentit une main se poser puis serrer son avant-bras, il ouvrit les yeux. La vieille dame à ses côtés invoqua sa peur, il pressa les doigts osseux de la mamie entre les siens.

Il suivit Nora, le long des couloirs de l’aéroport, tout en respectant une distance de sécurité. Elle filait à grandes enjambées vers la sortie. Dehors, il reçut un message indiquant la position de la Mégane noire, perdit le contact avec Kirk, puis le retrouva au niveau de l’échangeur de l’autoroute M8. La rouquine conduisait une Ford grise, elle prit la direction du nord, droit vers les Highlands.

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