7.2

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Kyle se redressa puis coupa le moteur. Son téléphone à la main, il composa un numéro. Une personne avec qui il partageait tout décrocha, il ne pouvait garder sa certitude pour lui seul.

– Eliott… Je ne te dérange pas ?

– Tu sais bien que non. J’attends toujours ton coup de fil à cette date. Kyle, le ton de ta voix m’inquiète. Ta visite à Evra ne s’est pas bien déroulée ?

– Je ne sais pas. Il s’est passé quelque chose que…

– Tu as senti sa présence, c’est ça ?

– Oui. Enfin je crois.

– Je te connais mon frère, tu ne m’en parlerais pas si tu n’étais pas d’accord avec ton instinct. Comment s’est-elle manifestée ? De la grêle, du vent, du feu ?

– Du vent. Tu avais raison Eliott, personne ne meurt vraiment dans ce pays.

– Tu m’as ramené du royaume des morts, j’en sais quelque chose. Tu veux bien me raconter s’il te plaît ? Les manifestations de ce genre suivent un processus précis et découlent en général d’un acte fondateur.

– Je reconnais bien là le professeur MacAllister, enseignant le paranormal à Cambridge. Toujours à l’affût d’une histoire.

– Que veux-tu, on ne se refait pas ! rit Eliott.

– Je lui ai dit que je m’excusais pour ce que je lui avais fait, et aussi que je ne reviendrais plus la voir.

– Ah ! Toujours fidèle à lui-même, mon frère, la demi-mesure n’entre pas dans son vocabulaire. Je comprends sa réaction. En te perdant, elle perd un point de repère, et aussi une justification pour tes excuses. Par tes mots, tu l’as plongée dans l’incompréhension de son rôle dans notre monde. Que fait-elle là si ce n’est pour apprendre la vérité ? La balle qui a traversé sa tête lui a ôté toute mémoire, elle attend depuis vingt ans de connaître son passé. Comment réagirais-tu si la seule personne pouvant te le dire disparaissait ? Tu serais comme elle, en colère.

– J’ai du mal avec cette théorie que tu défends… Peut-être devrais-je dire, j’avais du mal.

– Nous avons si longuement parlé de tout cela ensemble, je n’ai jamais voulu t’imposer ma science. C’est bien que tu la découvres par toi-même.

– Hmm… Pourquoi n’ai-je pas eu peur ?

– Evra ne te veut pas de mal. Crois-moi, l’inverse t’aurait poussé à fuir. As-tu remarqué si le vent tourbillonnait autour de toi ?

– Oui, mais brièvement. Cinq ou six secondes, tout au plus.

– C’est déjà long. Sans le vouloir tu as déclenché ce que dans mon jargon j’appelle un « WIW, Wind Invisible Wall. » Evra n’a pu contenir sa colère, elle s’est déplacée rapidement entre les murs invisibles qui la retiennent prisonnière, provoquant ce tourbillon. C’est un phénomène relativement fréquent. Ces murs agissent comme une cage d’où s’échapper est difficile.

– J’ai aussi ressenti du froid dans ma main, comme si elle me la serrait.

– Pendant le vent ? C’est la première fois que j’entends ça.

– Non, lorsque je marchais vers ma voiture.

– Tu étais garé loin ?

– Environ soixante mètres.

– Kyle, c’est…

Eliott retint ses mots. Les paroles qu’il allait prononcer ne trouveraient pas d’écho ce soir, et ne provoqueraient que regrets. Son frère ne les méritait pas. Il les lui dirait bientôt, face à face. Il broda afin de donner le change.

– Surprenant. On considère que les cages ne s’étendent pas au-delà d’une trentaine de mètres autour du lieu de la mort. Si je crois tes paroles, ça voudrait dire qu’elle a réussi à te suivre. Je me souviens de divers témoignages relatant de faits similaires, j’ai eu l’occasion de les lire, mais, de part leur rareté, jamais ces allégations n’ont pu être corroborées. Kyle, tu comprendras que je sois sceptique.

– Et si je te disais que j’ai l’impression qu’elle est assise à côte de moi dans mon Range.

La phrase déstabilisa Eliott.

– Je… Trop tard pour demain. Je serais là jeudi, mon frère.

Son ventre émit un gargouillis alors qu’il raccrochait. La faim le tordait. Une tranche de lard et une omelette lui suffiraient, mais il se rappela qu’il avait fini les œufs ce matin et que les étagères de la cuisine étaient vides. L’horloge de son Range indiquait minuit passé, trop tard pour aller voir son voisin et lui quémander une boite de haricots. Demain matin. Si au moins la précieuse qui partageait sa maison était allée acheter de quoi manger, mais il en doutait. La belle ne mettait jamais la main à la pâte, encore moins dans une bassine à vaisselle, alors se rendre chez l’épicier… Elle avait d’autres atouts, non des moindres pour un vieux solitaire, et savait s’en servir. Son regard croisa sa silhouette se découpant en ombre chinoise dans l’encadrement d’une fenêtre. Nora l’attendait.

Son irruption dans sa vie avait déclenché une foule de questions auxquelles il avait partiellement répondu. D’abord rétif à l’insistance des avances, il s’était renseigné sur le pedigree de la femme aux ongles rouges, mais rien de suspect n’avait attiré son attention. Issue d’une riche famille Londonienne, elle vivait de ses rentes et parcourait le monde. Une aventurière en quelque sorte. Il se doutait qu’il n’était pas le premier à passer entre les mâchoires de la mante, mais elle ne semblait pas être pourvue de mauvaises intentions. Petit à petit sa suspicion s’était évaporée à la fragrance de la fille mais surtout à la vue de ses formes. Le soir où elle avait toqué à sa porte, sa méfiance avait volé en éclat.

Une autre femme dans sa vie. Pourquoi pas ? La solitude lui pesait après tout ce temps à ne rien attendre de son existence. Nora, en quelques jours avait rallumé une flamme qu’il croyait éteinte. Un rayon de soleil dans la turne d’un ours. Il avait envie d’elle, de la serrer, de lui parler, de l’écouter. Vendre sa maison de Clashnessie était une bonne idée, la bâtisse lui coûtait cher en impôt, s’il pouvait en tirer quelques sous, ils seraient économisés. Par contre, si le bouquet de roses rouges et sa dernière visite à Evra marquait le début de son oubli, il savait que cela prendrait du temps. Ce matin, en prenant la route, il espérait qu’elle patienterait encore avant qu’il lui appartienne, ce soir, en franchissant le seuil de son cottage, il se demandait comment Evra allait réagir à la présence de Nora.

Sur la table de la salle à manger, deux assiettes remplies d’un parmentier de poisson patientaient. Kyle pensa qu’il s’était trompé sur les talents de cuisinière de la belle, pas longtemps.

– Je nous ai fait livrer de la nourriture. Je pensais que tu allais avoir faim en rentrant.

Nora noua ses bras autour du cou de Fearghas et posa une bise sur sa joue.

Sur l’instant, une petite diode rouge s’alluma dans l’esprit de l’inspecteur. Son instinct se manifestait. Enfin.

*Clachan : Pierre en gaélique Écossais.

*MacAlister : Fils d’Allister en gaélique Écossais.

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